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Les dépenses en matière de santé continuent à augmenter, mais non, ce n’est pas de la faute des personnes âgées
©Flickr

Dans les orties

Le vieillissement de la population n'a pas un impact si important sur l'augmentation des coûts de la santé en France, contrairement aux investissements dans les nouvelles technologies et aux évolutions structurelles du milieu de la santé.

Atlantico : "Le vieillissement démographique ne représente que 3 points de pourcentage de la hausse de 54 % des ressources financières consacrées à la santé intervenue entre 1992 et 2000 en France", à en croire la revue de littérature que vous avez publiée sur la thématique "Hausse des dépenses de santé. Quel rôle joue le vieillissement démographique ?" Ce constat semble pourtant très contre-intuitif… comment peut-on expliquer un si faible impact du vieillissement dans les dépenses de santé ?

Marianne Tenand : Au cours des 50 dernières années, dans la plupart des pays développés, les dépenses de santé ont cru plus rapidement que le revenu national. Parallèlement, sous l’effet de l’accroissement de l’espérance de vie, les pays occidentaux ont connu un vieillissement démographique –c’est-à-dire une augmentation de la part que représentent les groupes d’âges élevés dans leur population. Si on calcule la dépense de santé engagée en moyenne par une personne une année donnée, on constate que celle-ci croît avec l’âge : en 2008, la dépense engagée pour une personne de 80 ans et plus était en moyenne 3 fois plus élevée que la dépense engagée pour un cinquantenaire. Si les seniors viennent à occuper un poids démographique plus important dans nos sociétés, alors, mécaniquement, ils devraient tirer les dépenses de santé vers le haut.  

Suivant ce raisonnement, le vieillissement démographique a longtemps été vu comme le principal facteur expliquant la hausse des dépenses de santé. Pourtant, il a été incriminé à tort ! Ce qui compte, ce n’est pas tant ce que chaque groupe d’âge dépense en moyenne à un moment donné, mais la manière dont la dépense par tête évolue au cours du temps. Des économistes ont montré que, entre 1992 et 2008, la dépense individuelle moyenne a augmenté pour toutes les tranches d’âge : vous dépensez en moyenne davantage en soins que vos grands-parents lorsqu’ils avaient votre âge. C’est dans ce "glissement" de la dépense par tête au cours du temps que se trouve l’explication principale de la forte hausse des dépenses agrégées de santé – pas dans l’augmentation de la population ni dans son avancée en âge. 

En dépit de la faible part du vieillissement dans les dépenses de santé, les ressources financières qui y sont consacrées dans le PIB persistent à croître. Quels sont les autres facteurs qui justifient une telle croissance ?

Le fait qu’à un âge donné, on dépense toujours davantage pour se soigner peut paraître curieux : après tout, l’état de santé est globalement bien meilleur aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Mais ce sont précisément les importants investissements qui ont été réalisés dans la recherche médicale, la construction de systèmes de soins performants et la mise en place d’assurances santé, qui ont – avec l’amélioration des conditions de vie – rendu possibles ces progrès.

De manière surprenante, c’est le progrès technique qui explique l’essentiel de la hausse des dépenses de santé des dernières décennies. Si les avancées technologiques permettent de faire baisser le coût unitaire des traitements, elles favorisent aussi le développement de traitements de pointe, coûteux, qui vont venir en remplacement ou en complément des interventions existantes. Le traitement de l’hépatite C par le sofosbuvir, qui fait l’objet de débats intenses, illustre bien les effets paradoxaux des innovations médicales : plus efficace que ses prédécesseurs, ce médicament va considérablement augmenter les sommes allouées au traitement de l’hépatite C. 

Les changements économiques et sociaux (hausse du niveau d’éducation et du revenu) ainsi que certaines des caractéristiques de l’offre médicale (rémunération à l’acte, notamment) ont également poussé les dépenses à la hausse. De manière plus générale, l’architecture du système de soins, la régulation des prix des médicaments et la place donnée aux assurances sociales et privées ont une influence importante sur les dépenses de santé. Pour se convaincre du fait que les facteurs non-démographiques ont un rôle majeur, il suffit de constater l’hétérogénéité des budgets alloués à la santé d’un pays à un autre. En France, les dépenses de santé, publiques et privées, représentent 11,5 % du PIB. Aux Etats-Unis, pays plus "jeune" que le nôtre, elles atteignent 17,1 % du PIB ! Bien que leur rôle soit difficile à quantifier précisément, les choix collectifs en matière d’organisation et de régulation du système de soins influencent considérablement la dynamique des dépenses.

Cette tendance s'inscrit-elle dans la durée ? A quel point les dépenses vont-elles continuer d'augmenter à l'avenir ?

Si le vieillissement démographique n’a eu qu’une responsabilité minime dans la hausse passée des budgets consacrés à la santé, il serait hasardeux d’affirmer que son impact continuera d’être négligeable. L’avancée en âge des baby-boomers devrait, de façon transitoire, pousser à la hausse la dépense globale. De manière plus structurelle, le type de vieillissement à l’œuvre aura une importance considérable : si les personnes avancent en âge tout en restant en bonne santé, alors l’augmentation de la part des personnes âgées dans la population continuera à avoir un impact modéré sur les dépenses. Mais la situation sera bien différente si les années de vie gagnées sont vécues avec des maladies chroniques ou des situations d’incapacités. En France, l’impact du vieillissement démographique sur les dépenses médicales s’est renforcé dans les années 2000, ce qui pourrait s’expliquer par la prévalence grandissante des maladies chroniques à partir de 50 ans.

Il est cependant très difficile de savoir si les années de vie gagnées à l’avenir seront des années passées en bonne santé. Pour cette raison, les administrations nationales et les organismes internationaux envisagent plusieurs scénarios dans leurs exercices de projection des dépenses médicales. La Commission européenne prévoit ainsi que les dépenses de santé, aujourd’hui de 7,1 % du PIB dans l’ensemble de l’Union européenne, atteignent 8,6 % du PIB en 2060 sans amélioration de l’état de santé aux âges élevés ; ce chiffre pourrait n’être que de 7,6 % dans l’hypothèse d’un healthy ageing.

Là encore, on s’attend à ce que le vieillissement démographique reste un facteur secondaire comparé aux innovations médicales. Et ce d’autant que les projections sont souvent réalisées à "politiques sanitaires et systèmes de soins donnés". Bien qu’il soit vain d’essayer de les "projeter", les choix politiques pris en matière d’organisation de l’offre de soins ou  de couverture par l’Assurance Maladie conditionneront les ressources économiques qui seront demain consacrées aux soins.

Dans quelle mesure pourrons-nous conserver un système à la fois efficace et égalitaire, tout en faisant face aux défis que pose le vieillissement du monde occidental (et français) ? Quel coût cela implique, et jusqu'où pouvons-nous le soutenir ?

Votre question suggère que le système de santé français devrait être conservé en l’état, alors que son efficacité et son équité peuvent – et doivent – encore être améliorées. Certaines inefficacités vont d’ailleurs se trouver exacerbées par la hausse de la longévité. Le principe d’un financement de l’Assurance Maladie par des cotisations sociales majoritairement assises sur les salaires se trouve remis en question par la baisse de la part des classes d’âge actives dans la population. Face à l’augmentation du nombre de patients âgés, souffrant souvent de pathologies multiples, les professionnels de santé sont poussés à redéfinir leurs pratiques. Les protocoles d’intervention doivent tenir compte de l’état de fragilité de ces patients et des situations de polymédication, pour limiter les risques iatrogènes et les complications. En amont, une meilleure organisation des soins doit être trouvée pour réduire les hospitalisations inutiles des personnes âgées, coûteuses en termes financiers et humains.

Face à ces défis, les professionnels de santé, chercheurs et acteurs publics se penchent sur les moyens d’améliorer les "parcours de santé" des personnes âgées. Pour que cette démarche puisse porter ses fruits, il faut "décloisonner" la réflexion sur les différents budgets publics, comme le souligne le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM). La France ayant séparé le secteur médico-social du secteur de la santé, la coordination entre les aides à la vie quotidienne apportées aux personnes âgées en perte d’autonomie et les soins médicaux qu’elles reçoivent reste difficile. Une meilleure cohérence entre les dispositifs sanitaires et médico-sociaux permettrait de retarder voire d’éviter des situations de dépendance aux âges élevés, lesquelles sont vecteurs de coûts sociaux et économiques appelés à augmenter avec le vieillissement démographique.

Même avec un système de soins "optimisé", la question du niveau des ressources qui doivent être allouées à la santé de la population reste posée. Plutôt que de considérer les dépenses de santé comme un fardeau, il faut les mettre en regard du bien-être qu’elles produisent. En relativisant le rôle des évolutions démographiques, on laisse sa place au débat sur les choix collectifs en matière de santé. La définition d’un niveau socialement optimal des dépenses de santé doit reposer sur le processus de décision politique et sur des critères éthiques – et pas sur des seules considérations économiques.

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