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Racisme et préjugés : quand des conversations de 10 minutes se révèlent plus efficaces que les grandes campagnes de Com' (à condition de savoir les mener)
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Le pouvoir des mots

Selon l'étude du docteur américain Robin DiAngelo, en matière de lutte contre les préjugés, on peut faire beaucoup de progrès en peu de temps.

Hugo Mercier

Hugo Mercier

Hugo Mercier est chercheur CNRS à l'Institut Jean Nicod à Paris.

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Atlantico : Une nouvelle étude démontre comment lutter contre les préjugés et les lieux communs. Pouvez-vous en décrire les tenants et les aboutissants ?

Hugo Mercier : L'objectif de cette étude était de tester l'efficacité d'un type d'intervention assez souvent pratiquée par les personnes luttant contre les préjugés, qui consiste en une conversation d'environ 10 minutes avec des électeurs potentiels. Au cours de cette conversation, on demande à ces personnes de s'imaginer à la place des gens pour lesquels on essaye de réduire les préjugés - dans le cas précis de cette étude, il s'agit des personnes transgenres. On leur demande, par exemple, de se souvenir d'une situation qu'ils ont vécu et au cours de laquelle ils se sont sentis un peu exclus ou rejetés, ce qui est censé les mettre à place de ces personnes souffrant de préjugés, comme les personnes transgenres ici. Dans l'étude que vous mentionnez, la moitié des personnes interrogées a eu un entretien de 10 minutes sur les personnes transgenres, tandis que l'autre moitié a conversé sur un autre sujet (le recyclage), utilisée comme un groupe contrôle, afin de voir si la conversation sur les personnes transgenres avait bel et bien un effet. 

Après cette conversion, à différentes intervalles de temps, des questions ont été posées à ces personnes, relatives à leurs habitudes vis-à-vis des personnes transgenres, mais aussi sur leurs positions à propos d'un projet de loi portant sur la discrimination à l'égard des personnes transgenres. La comparaison entre les habitudes des personnes qui avaient discuté du cas des personnes transgenres par opposition à celles des personnes ayant parlé du recyclage permet de voir si la conversation a eu un effet. Les résultats révèlent que la conversation a permis de réduire le niveau de préjugés contre les personnes transgenres.

Un autre aspect intéressant de l'étude montre que l'effet de la conversation se retrouve encore trois mois après la dite conversation. Néanmoins, entre le moment de la conversation et la mesure de l'effet de cette dernière trois mois après, les électeurs concernés ont vu une publicité attaquant les droits des personnes transgenres, qui a réactivé leur attitude négative à l'égard des personnes transgenres, mais sur une très courte durée. 

Qu'apporte-elle de plus que les autres études effectuées dans le domaine de la réduction des préjugés ?

L'apport principal de cette étude est méthodologique dans le sens où beaucoup d'études en sciences sociales - et en psychologie en particulier - sont menées sur les étudiants en faculté, auxquels les enseignants ont le plus facilement accès. Ici, le panel a été étendu à des électeurs potentiels. Par ailleurs, l'étude s'est déroulée sur une durée de 3 mois, alors que rares sont les études ayant cherché à démontrer l'effet des conversations à plus long terme. 

Comme l'explique l'étude, la plupart des individus ne réfléchiraient finalement pas vraiment lorsqu'ils prennent une décision sur un sujet de société. Par quoi leurs choix sont-ils alors automatiquement influencés?

Face aux milliers de sujets possibles, il est inenvisageable de pouvoir être informé sur tout afin de répondre au mieux. Ensuite, les gens cherchent des avis sur ce qu'ils ne connaissent pas en se tournant vers des experts, des éditorialistes et surtout chez les politiciens. Une étude montre que si l'on est de droite, et que sur un sujet donné nous n'avons pas d'opinion forte, on a tendance à adopter la position du politicien.  

Finalement, les préjugés et lieux communs, tels que le racisme, seraient-ils beaucoup plus faciles à vaincre que l'on pourrait le penser?

C'est vrai. Mais dans le cas des transgenres par exemple, il n'est pas dit qu'une personne ayant changé d'opinion se mette tout à coup à les adorer. Il y a, certes, un effet, mais il est possible qu'il ne soit pas si énorme. Il est peu probable de voir une inversion complète. Ceux qui avaient une vision très négative sur un sujet ne pourront pas en avoir une totalement positive.

Des opérations répétées peuvent faire changer d'avis les gens. Toutes les opinions sur toutes les formes de préjugés ont évolué de manière positive dans le temps. Aujourd'hui, il est dur de réaliser à quel point l'opinion vis-à-vis des femmes ou des minorités indiennes était il y a 20 ou 30 ans.

Certains préjugés sont plus faciles à vaincre que d'autres. Des études montrent également que les préjugés sont profondément ancrés dans les consciences. Mais une petite intervention peut avoir son effet.

Si de courtes conversations bien orientées suffisent à déconstruire les préjugés, le racisme mérite-t-il autant de campagnes de prévention, de discours, de débats ou d'essais?

C'est possible. Face à tous les préjugés, plus que des campagnes et autres formes de mobilisation, les interventions ne sont pas assez répandues. Il serait mieux de dépenser plus d'argent pour élaborer des interventions et il faudrait encore dépenser un peu plus pour les rendre plus efficaces.

C'est ce que l'on voit dans la campagne électorale américaine. Depuis une dizaine d'années, les gens dépensent plus en faisant de la recherche pour savoir ce qui marche ou pas, ce qui fait que les stratégies ont changé radicalement. Ils sont passés d'une stratégie visant à convaincre les gens de voter pour eux à une stratégie qui met en avant le fait d'aller faire voter les gens. On voit aussi la fin des immenses campagnes publicitaires au profit du porte à porte.

Le plus important reste de faire des tests et des essais d'intervention sur différents sujets afin de voir ceux qui ont le plus de chance de faire changer les opinions. Les campagnes et autres mobilisations demeurent toutefois importantes car même si leurs effets ne se font pas sentir et que les habitudes ne changent pas, la situation serait probablement pire sans.

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