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Deux ans après leur enlèvement, que sont devenues les centaines de jeunes filles kidnappées par Boko Haram au Nigéria ?
©REUTERS/Afolabi Sotunde

#BringBackOurGirls

Les 274 lycéennes de Chibok n'ont toujours pas été retrouvées, mais ce qui arrive aux autres filles capturées par Boko Haram glace le sang.

L'atrocité avait provoqué l'indignation mondiale. La nuit du 14 au 15 avril 2014, le groupe Boko Haram avait enlevé 276 filles de l'école secondaire de la ville de Chibok, dans l'état du Borno, au Nigéria. La vague de sympathie mondiale avait été énorme, avec notamment le mouvement #BringBackOurGirls. Et comme d'habitude, le soufflé médiatique était ensuite retombé. Deux ans après, que s'est-il passé ? Et surtout, qu'est-il arrivé à ces filles ?

La tragédie des femmes capturées par Boko Haram

Jusqu'à présent, aucune des victimes de Chibok n'a été retrouvée. Mais Boko Haram n'a pas fait que Chibok. Le kidnapping de filles et de femmes est une de leurs pratiques courantes. A janvier 2016, plus de 1 000 filles et femmes capturées par Boko Haram ont été libérées par les autorités nigérianes, même si aucune d'entre elles n'est une fille de Chibok. Si on ne sait pas avec certitude ce qui leur est arrivé, le sort des autres filles capturées permet de se faire une idée, et elle est atroce.

Tout d'abord, les filles non-musulmanes sont forcées à se convertir à l'Islam (Chibok était un village chrétien). De nombreuses filles kidnapées sont mariées de force aux combattants de Boko Haram, ou alors réduites en esclavage. Abubakar Shekau, chef de Boko Haram, a en effet déclaré que “Allah m'a donné instruction de vendre les filles. [...] Je vais appliquer ses instructions. [...] Dans ma religion, l'esclavage est autorisé, et je vais capturer des gens et en faire des esclaves.” Il a rajouté que les filles n'auraient pas dû aller à l'école—rappelons que le terme “Boko Haram” veut dire “l'éducation est un péché”—et auraient dû être mariées à la place, rajoutant qu'une fille est mariable à partir de 9 ans.

Il arrive parfois quelque chose de peut être encore plus glaçant aux filles capturées par le groupe : elles deviennent des combattants de Boko Haram,comme le relate une enquête de Dionne Searcey du New York Times. Elles sont entraînées à être des soldats, et parfois des kamikazes. “Coupe la tête par derrière, ton ennemi luttera moins”, leur explique-t-on. “Serre la bombe sous ton aisselle pour qu'elle ne remue pas.” Des centaines de personnes ont ainsi été tuées dans des attaques menées par des filles de Boko Haram, parfois y compris dans des camps de réfugiés fuyant les atrocités du groupe. Ce phénomène pose de graves problèmes aux services de sécurité et également aux organisations humanitaires, car jusqu'à présent les femmes ne présentaient pas de danger.

Les survivantes décrivent l'endoctrinement subi, qui s'assimile à du lavage de cerveau, avec privation de nourriture, instruction coranique et formation à l'attentat-suicide et à la décapitation.

Peut être plus atroce encore : certaines rescapées sont ostracisées à leur retour. Ali Abare Abubakar, envoyé spécial d'USA Today, fait le portrait déchirant de Jummai Usman, une femme de 45 ans, qui s'est échappée de Boko Haram après des mois de sévices sexuels, pour être ostracisée dans son village. Elle vit maintenant dans un camp de réfugiés. “On me traitait comme si moi aussi je faisais partie de Boko Haram. Mes relations, mes amis et mes voisins se méfiaient de moi”, explique-t-elle. Un phénomène loin d'être anecdotique, selon un rapport récent de l'Unicef et de l'ONG International Alert.

Conversion forcée, mariage forcé, esclavagisme, sévices sexuels, lavage de cerveau et enfin pour celles qui réussissent à en réchapper, ostracisme : la tragédie qui s'ajoute à la tragédie.

Boko Haram aggrave la situation d'un pays déjà pauvre

En 2015, l’Index global du terrorisme révélait que Boko Haram est plus violent que l'Etat islamique, accumulant 6 644 tués au moins pour l’année 2014, contre 6 073 au moins pour l'Etat islamique. A titre de comparaison, Boko Haram commet moins d’attaques (453 contre 1 071), ce qui accentue sa violence, qui d’ailleurs cible plus les civils (77% de ses victimes, contre 44% des victimes de l'Etat islamique). En 2014, Boko Haram a commis la moitié des 20 attaques les plus meurtrières.

Pour se figurer la violence du groupe, on peut citer la ville de Baga, qui a été littéralement rasée et incendiée en janvier 2015. Amnesty International évoque près de 2 000 morts.

L’agence de développement international des Etats-Unis (USAID) estime que près d’1,5 millions de personnes ont été déplacées de force depuis 2009. La sécurité alimentaire n’est pas garantie dans le pays : pour l’année 2014, l’agence avertissait de l’état d’urgence de la région du Nord – l’état d’urgence étant celui qui précède la famine. Ainsi, l’Agence nigériane de gestion des urgences (NEMA) ne reçoit que 10% des déplacés (les autres vont chez des connaissances) et pourtant peine à subvenir à leurs besoins les plus essentiels. Le Nigéria est d’ailleurs le grenier des pays voisins : une mauvaise récolte a toujours des répercussions sur les pays voisins du Sahel.

Le Nigéria est un pays en explosion démographique, au sous-sol très riche. Alors que 45% de la population a moins de 15 ans, la guerre accentue son défaut d’éducation dans le Nord du pays, où 40% des 6-11 ne sont pas scolarisés. L’UNICEF parle de 100 élèves par classe, et observe un décalage entre les sexes : il y a en moyenne une fille scolarisée pour deux garçons. Ceci pose de nombreux problèmes de long terme ; dans l’état actuel des choses, les infrastructures sont insuffisantes pour offrir une éducation décente à une population croissante. Un exemple : pour le primaire, en moyenne, il y a un cabinet de toilettes pour 600 élèves.

Le rôle du gouvernement nigérian mis en question

Le gouvernement nigérian ne semble pas tout faire pour arrêter Boko Haram. L’IFRA a publié un livre, Boko Haram : Islamism, politics, security and the state, qui met l’accent sur sa responsabilité. Les stratégies ont été changeantes, les infrastructures publiques sont inapprorpriées, et la répression a souvent été aveugle et sanglante. On peut évoquer le cas de la caserne de Giwa, située à Maidaguri. Amnesty International révélait déjà en 2013 que des centaines de détenus sont tués dans des circonstances troubles. Boko Haram avait tenté de libérer les prisonniers, mais les représailles militaires ont occasionné près de 600 morts selon l’ONG, " pour la plupart des détenus non-armés ayant été recapturés ". Daniel Eyre, chercheur à Amnesty, avait notamment accusé le général Ahmadu Mohammed, qui fut démis de ses fonctions en 2015 mais réintégré en 2016 alors que les preuves, selon Eyre, sont "irréfutables".

L’ONG a publié un rapport extrêmement explicite et accusateur, qu’elle intitule Des galons aux épaules, du sang sur les mains. Elle reconnaît que la dimension transfrontalière de Boko Haram joue un grand rôle dans l’essor et l’impunité de Boko Haram, mais elle soutient que l’insécurité a toujours arrangé une classe politique corrompue, parce qu’elle paralyse la surveillance et les contrôles de l’Etat.

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