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Crise de l’offre ou de la demande ? Pourquoi la reprise soutenue de la consommation française est loin de suffire pour trancher
©Reuters

And the winner is…

Le dogmatisme des économistes affirmant que nous sommes toujours et encore dans une crise de l'offre nous empêche de voir la réalité. Le dernier article d'Etienne Lefebvre dans Les Echos en est une nouvelle fois la preuve.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Sur fond de débat sur la loi El Khomri, les experts économiques semblent une nouvelle fois s'affronter sur le thème de l'offre et de la demande, afin d'expliquer la cause de la crise que connaît le pays. Comment est-il possible de déterminer si une crise économique relève d'une crise de l'offre, ou si celle-ci relève d'une crise de la demande ?

Mathieu MucherieOn commence par regarder le profil du PIB nominal (l’ensemble des revenus nominaux de l’économie, l’activité au sens large), parce que cela résume presque toute l’information disponible. Et depuis 2008 le PIB nominal est en mauvais état, il a quitté sa trajectoire de long terme et la nouvelle trajectoire n’est pas brillante : c’est probablement un choc de demande négatif. Comme je ne suis pas au courant d’un vaste choc technologique négatif quasi-universel aux environs de 2008, je suppose que l’offre n’a que peu de rapport avec nos difficultés. Parfois, j’aimerais vivre dans le monde parallèle avec Jean-Marc Daniel et Denis Kessler, un monde où l’inflation est à nos portes et la hausse des taux toujours imminente. Mais j’ai trop peur des effets secondaires. 

Ensuite, on regarde un peu autour de soi. On regarde les prix d’actifs (peu inspirés en dépit du QE), les taux d’intérêt (je me souviens encore des fameux effets d’éviction qui devaient les propulser vers le haut..), le taux de chômage, le marché du crédit (anémique depuis des années alors que « les taux sont bas »), l’inflation (qui a disparu), le taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie (pas encore revenu à sa norme historique après des années sous l’eau et en dépit d’un sous-investissement long et massif), et après tout ça si on refuse toujours de conclure à la crise de demande agrégée c’est à désespérer.

Selon un article paru dans le journal "les Echos", le soutien à la demande servirait avant tout aux importations, et serait donc sans effet sur la compétitivité française. Cet argument est-il valable ?

Tout l’article du journaleux Etienne Lefebvre est surréaliste. Je sais bien que la Belgique est à la mode ces derniers temps, mais tout de même. 

Dans mon quartier, en effet, la « consommation est là » : je craignais un drame social quand Hediard a fermé boutique, nous avons été rassurés quand il a été promptement remplacé par un Petrossian. Mais en dehors du Parc Monceau, je me demande si la demande est aussi solide. Il parait que le revenu mensuel médian se traine à 1900 euros/mois à l’échelle hexagonale, et que c’est du brut, et que plus de la moitié des gens à ce niveau de revenu ne sont ni propriétaire de leur logement ni détenteur d’un emploi à vie chez Areva. Nier un gros problème de demande quand le sous-emploi concerne plus de 5 millions d’individus, c’est fort. 

Le droit du travail est une abomination, j’en conviens, mais son degré d’inadaptation au monde économique moderne n’a pas connu de grandes variations au cours de la dernière décennie (je me souviens des cours de Jean-Emmanuel Ray à la fin des années 90 à Sciences-Po…), alors que le niveau d’emploi, lui, a beaucoup changé au cours de cette période, et toujours dans le même sens. 

Ce n’est pas la politique budgétaire qui est en cause, mais la politique monétaire, car elle est plus puissante, et surtout le chemin emprunté par la BCE pendant des années a été très spécifique (refus de tout QE pendant 6 longues années, etc.) alors que les restrictions budgétaires ont été plus fortes aux USA que dans la zone euro prise dans son ensemble.

Et puis je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait dire du mal des importations. Encore ce soubassement néo-mercantiliste, nauséabond. Comme si nous étions au début des années 80, avec une demande soutenue qui profiterait aux Allemands et aux Japonais, et une inflation à 8%, et des problèmes de financement externe… 

Suivons maintenant l’article (si on peut appeler ça comme ça) pas à pas. 

« La lecture des dernières statistiques de l'Insee infirme ce raisonnement », dit le pauvre journaliste. Les dernières statistiques, qu’est-ce qu’elles peuvent bien vouloir dire après deux crises majeures successives, jamais vues depuis les années 30, c'est-à-dire après sept années de vaches maigres ?

«  L'institut estime qu'il y a encore un « réservoir » de dépenses, au vu du taux d'épargne élevé ». Tu m’étonnes ! Et pourquoi le taux d’épargne est-il élevé, à votre avis ?

« Le gouvernement bénéficie de la faiblesse des prix du pétrole et du soutien monétaire de la BCE ». Toujours la même erreur conceptuelle (never reason from a price change) : si la baisse du prix du baril vient d’un choc de demande négatif plutôt que d’un choc d’offre positif, ce qui est très probable en zone euro, il est logique que les effets de stimulation soient minces ou inexistants. L’Elysée, Les Echos et bien d’autres n’ont toujours pas compris la théorie de base qui est derrière ce raisonnement, pourquoi pas, mais les faits empiriques ne sont pas mieux appréhendés, et en 2014-2016 comme en 2008-2009 (comme quoi les crises multiples ne servent à rien, pas même à élever le niveau des économistes amateurs).  

«  Quant au soutien à la demande, c'est à l'échelle européenne que la question mérite d'être posée, pas en France ». Ah bon, alors, au final, il y a bien un problème de demande. Mais comme c’est du ressort de la BCE, hein, vous comprenez, ma bonne dame... Tartuffe !!

Si l'on souhaite aller plus loin, comment se traduirait une crise de l'offre si celle-ci avait lieu aujourd'hui, et quels en seraient les symptômes ? Quelles sont les périodes que l'on pourrait qualifier de crise de l'offre, en France, au cours de ces dernières décennies ? 

La crise d’offre se traduirait pas de l’inflation ; il n’y en a pas. Et surtout le moindre type avec un projet entrepreneurial à peu près convenable ramasserait la mise dans un tel contexte, alors que les gens qui cherchent à innover aujourd’hui en France se font plutôt massacrer, si j’en crois par exemple le faible taux de survie des start-up (et le thème de la french touch et des licornes relève du baratin, c’est à peine l’équivalent boursier de deux ou trois mid-caps américaines). 

Passons aux chiffres, avec une petite comparaison avant-crise et après-crise. Avec une crise de l’offre, nous devrions avoir une chute très nette des gains de productivité. C’est effectivement ce que nous observons dans un certain nombre de pays émergents, Russie et Turquie en tête (et aussi au Brésil si on veut bien se souvenir que la productivité initiale y était déjà très faible) ; on voit que la zone euro (emu) a effectivement perdu près d’un point sur ce front, ce qui est certes très gênant, mais qui n’est pas au niveau de la crise que nous connaissons : 

Si le diagnostic d'une crise, entre offre et demande, est si aisé à déterminer, comment expliquer un tel débat idéologique ? 

Pendant 30 ans, la France souffrait d’un manque de réformes structurelles, du coté de l’offre. On pouvait déverser des centaines de pages structuralistes, elles étaient valables et le fait qu’elles disparaissaient dans le trou noir de la politique française permettait en outre de passer pour des experts incompris face aux forces obscures de la mitterrandie et de la chiraquie. Et puis, hélas, la machine à produire des textes structuralistes a continué sur sa lancée, en dépit de l’arrivée de la plus grosse crise de demande imaginable. Certains n’ont pas du tout adapté leur logiciel, parce que ce sont des feignasses, diront les non-économistes, parce qu’ils évoluent dans un monde académico-financier fort peu concurrentiel, diraient les économistes. Mais l’aveuglement face au réel n’est pas une exclusivité parisienne. Les Finlandais nous gonflent depuis des années avec leurs leçons structuralistes et leur jusqu’au-boutisme budgétaire et monétaire, eh bien, regardez ce qu’il leur arrive, à force de ne pas pouvoir dévaluer (la camisole de force de l’euro) et à force de ne pas traiter les problèmes de demande : un PIB réel 7 points plus bas qu’il y a 8 ans, et 17 points de retard (!!) accumulés sur cette période avec un pays voisin qui n’est pas mieux classé dans les conditions d’offre mais qui a fait preuve de moins de dogmatisme. 

Il y a 5 ou 6 ans, dans un petit texte sur les scores PISA, j’avais osé une petite critique de la Finlande au détour d’une phrase, et certains lecteurs finnois mais pas très finauds m’ont reproché de faire de l’humour sur nos amis bûcherons. Depuis, les faits ne m’ont guère donné tort, et je vous annonce qu’en dépit de tous les efforts structurels au fond des bois la croissance ne reviendra pas avec un policy-mix aussi stupidement restrictif. Quelle que soit la longitude et la latitude, le dogmatisme coûte cher.  

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