Déficit espagnol : la Commission osera-t-elle faire de Madrid la 1ère capitale sanctionnée ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Déficit espagnol : la Commission osera-t-elle faire de Madrid la 1ère capitale sanctionnée ?
©Andrea Comas / Reuters

Patate chaude

Malgré une réduction (5,16% du PIB en 2015 contre 5,8% l'année précédente), le déficit espagnol est à un niveau bien plus élevé que ce qui était attendu (4,2%). Pierre Moscovici, commissaire européen en charge du dossier, a annoncé que l'Etat ibérique s'exposait à des sanctions, ce qui pourrait être une première au sein de la zone euro.

Raoul  Sampognaro

Raoul Sampognaro

Raoul Sampognaro est économiste au département analyse et prévision de l'OFCE.

Voir la bio »

Le déficit espagnol s'établit à 5,16% du PIB en 2015, un niveau bien au-dessus de ses prévisions. C'est la huitième année consécutive que le gouvernement espagnol ne remplit pas les objectifs fixés. Quelles sont les causes profondes de ces échecs successifs ?

Raul Sampognaro : C’est la huitième année, mais la situation est tout à fait nouvelle. La cible de l’EDP (Excessive deficit procedure) a été réévaluée en juin 2013 (comme pour d’autres pays dont la France bien sûr). En 2014, l’Espagne a tenu sa cible (qui était alors de -5.8%) à quelques milliards près. 2015 est l’année du dérapage. La cible était de -4,2% du PIB et la notification faite le 31 mars 2016 douche tout le monde. Au lieu de -4,2%, c’est -5,2% et en comptant les mesures " one off ", cela s’établit à -4,8%. Notons que les " one off " ne seront pas retenus par la Commission, ou autrement dit, que les cibles nominales de l’EDP s’endentent y compris " one off ". Par conséquent, l’Espagne faillit à tenir ses cibles nominales et passe en deuxième partie de la procédure de l’EDP, qui va juger des mesures"« structurelles " bottom up et top down. Là, les " one off " seront pris en compte et évalués par la Commission. Ceci dit, la Commission, dans son exercice de prévision d’hiver, avait anticipé un déficit de 4,8% y compris les " one-off "  à hauteur de 0,1% du PIB. La surprise est donc assez importante (quoiqu’en dise le "gouvernement" espagnol dans le communiqué du 31/03/2016).

Le dérapage s’explique principalement (c’est la thèse du gouvernement central) par le fait que les régions n’ont pas appliqué les mesures demandées. L’absence de gouvernement central n’aide sans doute pas à la discipline budgétaire en Espagne et on assiste peut être à l’implosion du système politique fédéral espagnol. Les perspectives ne sont pas très encourageantes. D’une part, il n’y a pas de gouvernement pour le moment et il est possible que le roi déclenche de nouvelles élections avant l’été qui ne résoudront peut-être pas le blocage politique. L’adoption de mesures correctrices est juridiquement impossible sans gouvernement et sans majorité solide, et pourrait bien rester impossible même après de nouvelles élections. D’autre part, la pression indépendantiste limite le pouvoir coercitif de l’Etat espagnol sur les régions. Les menaces à peine voilées de la Commission ne leur parviennent probablement pas. Accentuer la pression sur les régions pourrait accélérer l’éclatement de l’Espagne, si tant est qu’il y ait une courroie de transmission de cette pression.

Pierre Moscovici, commissaire européen en charge du dossier,  a évoqué la possibilité d'infliger des sanctions à l'égard de l'Espagne. Risque-t-elle d'être le premier pays sanctionné par la Commission européenne ? En quoi une telle issue serait à même d'élever la pression européenne d'un cran sur les pays en situation de déficit excessif ? La France est-elle menacée à terme ?

J’ai bien peur que la Commission ne puisse pas grand-chose sur ce dossier. Tant qu’il n’y a pas de pouvoir solide et légitime en Espagne, brandir les sanctions ne peut qu’ajouter au chaos. Cela dit, la Commission, depuis le fiscal compact, doit appliquer la procédure, tandis que les décisions de sanctions sont de la responsabilité du Conseil (à la majorité qualifiée inversée). La Commission va donc suivre son manuel et continuer dans cette voie. Le dérapage est tellement notable qu’il ne sera pas possible de faire autrement. Le Conseil va devoir donc décider, sans qu'on puisse dire vraiment quelle sera l'issue. La majorité qualifiée inversée introduit une incertitude et la crédibilité du fiscal compact est en jeu.

La France est dans une situation bien plus simple grâce à la " surprise " du déficit notifié. Ainsi, sauf accident, la France sortira de l’EDP en 2018, et aura alors une dette inférieure à 100% du PIB. Elle pourra justifier de réformes structurelles pour négocier les MTO (medium term objectives) et sera hors de portée des sanctions (sauf à repasser en correctif, ce qui est toujours possible, mais on verra pour cela en 2019).

L’Italie a un dossier un peu plus lourd du fait d’une dette plus importante et de banques en détresse. Pour échapper aux sanctions, il faudra toute l’habilité des Italiens (emmenés par Padoan) et le recours à toutes les clauses prévues ou non dans le fiscal compact. Malgré la relative bienveillance de la Commission, ils vont avoir du mal à cacher la relance qu’ils font de leur économie. Pas vu, pas pris.

De nombreux économistes parlent depuis un certain temps d'un redémarrage de l'économie espagnole. Qu'en est-il dans la réalité ? Que révèle le déficit espagnol permanent par rapport à ce redémarrage ? 

La croissance est revenue en Espagne, qui bénéficie de taux souverains bas (que d’ailleurs l’absence de " gouvernement " et les infractions notoires à l’EDP n’ont pas fait bouger d’un point de base : 1,43% hier contre 1,5% il y a quelques jours) et de banques en situation plutôt favorables. L’Espagne fait de la stimulation budgétaire au lieu de la consolidation, ce qui, par effet multiplicateur, soutient son activité et favorise la baisse du chômage. Grace à cette reprise d’activité, malgré tout, le déficit baisse. Bref, ce n’est pas certain que cette politique menée par défaut de gouvernement ne soit pas meilleure que celle qui aurait été conduite si l’Espagne avait tenu ses engagements.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !