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L'incroyable bataille invisible qui oppose Manuel Valls à certains parlementaires sur la possibilité d'une dissolution sous le régime de l’État d’urgence
©Reuters

Rebondissements

Après avoir conduit les députés à s'empoigner, la disposition interdisant la dissolution a été purement et simplement annulée.Le Sénat, lui, n'a pas souhaité en débattre. La loi, toujours en vigueur, date de 1960 et obligera le gouvernement à suspendre l'Etat d'urgence après l'élection présidentielle.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Dissoudre ou ne pas dissoudre, telle est la question qui a occupé les députés au mois de février deux nuits durant et qui n'a toujours pas trouvé de réponse. Deux amendements votés. Des menaces de la part de Manuel Valls et finalement pas une seule référence dans la loi. Pour savoir ce qu'il est possible de faire durant la période actuelle, il faut en appeler aux administrateurs du Sénat tant le problème a été rendu inextricable par trop de débats.

Acte 1, lundi 8 février, le Gouvernement dépose un amendement qui stipule que "l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours suivant la date de la démission du Gouvernement ou de la dissolution de l'Assemblée nationale". Ce texte reprend mot pour mot la loi du 17 avril 1960 toujours en vigueur mais il met le feu aux poudres. Dans la foulée, Sébastien Denaja, un député PS, déposé un amendement allant dans le sens contraire et interdisant toute dissolution. Il s'agit d'éviter que le Gouvernement ne bâillonne l'Assemblée en menaçant de la remercier. D'autre part, comme l'expliquait alors le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde : "Si l'Assemblée nationale peut être dissoute sous état d'urgence, ça veut dire que les 40 jours de campagne électorale (...) ont lieu sous état d'urgence..." L'amendement est voté et Manuel Valls éructe, jure que cette modification sera réécrite en deuxième lecture et lance à Sébastien Denaja : "C'est con ! À 48 h près, tu devenais ministre".

Acte 2, dans la nuit du 9 au 10, le Gouvernement dépose un nouveau texte contredisant celui de Sébastien Denaja et autorisant la dissolution durant l'état d'urgence. Le centriste Charles de Courson tente de s'y opposer : "Vous savez il peut arriver au Gouvernement des gens qui ne sont pas toujours bien intentionnés à l'égard de la démocratie. Je n'accuse pas le Gouvernement actuel de cela, bien sûr. Mais ce pourrait être le cas, un jour, d'un autre gouvernement". Les députés bataillent mais le nouveau texte est adopté par 104 voix contre 34.

Acte 3, avant le vote solennel, le texte est remis à plat et les députés sont invités à retirer les deux amendements contradictoires.

La suite est plus classique. Le Sénat, dans sa grande sagesse, n'a pas souhaité aborder la question. "Il y a une sorte de gentleman agreement qui veut que l'on ne se mêle pas des affaires de l'autre Assemblée", explique un administrateur. Mais surtout, la chambre haute a opté pour le statu quo car interdire la dissolution revenait à mettre en cause tout un équilibre des pouvoirs extrêmement complexe. "Nous avons souhaité que la vie démocratique du pays se poursuive durant l’état d'urgence", explique Philippe Bas le rapporteur du texte. "Nous avons tenu des élections régionales, nous continuons à discuter des lois, il ne faut pas confondre l'article 16 et l’état d'urgence. Nous n'avons pas souhaité renforcer tout ce qui mettait entre parenthèse le jeu démocratique". Et il développe: " Si on veut que le contrôle du Parlement soit fort, il faut que le Parlement puisse censurer le Gouvernement pour le renverser, or, à partir du moment où on met en jeu la responsabilité du Gouvernement on doit aussi pouvoir dissoudre l'Assemblée". Faute d'interdire toute dissolution, le Sénat a souhaité, malgré tout, augmenter les prérogatives des parlementaires. A tout moment, l'une des deux assemblées peut demander de suspendre l’état d'urgence, le Gouvernement ne peut refuser l'inscription d'une proposition allant dans ce sens-là même en dehors des sessions. Mais la version issue des débats de la haute Assemblée risque bien de ne jamais être applicable.

Le texte qui prévaut aujourd'hui en matière de dissolution est toujours celui de 1955, modifié en 1960, qui dit que "La loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale". "Ce qui va poser un sérieux problème", souligne un fin connaisseur du dossier. "Si nous sommes toujours en état d'urgence après l'élection présidentielle, la démission du Gouvernement qui suit obligatoirement le second tour suspendra l'état d'urgence pendant une période d'au moins un mois puisque l'on enchaîne ensuite sur les législatives"

Autant dire que l’état d'urgence n'avait pas été envisagé pour durer. D'ailleurs la question se pose de savoir s'il est encore bien utile. Aujourd'hui, cet état d'exception permet de maintenir 70 personnes à résidence. Les perquisitions administratives, elles, ont presque cessé, 31 en un mois. A peine une par jour.

Reste à savoir si, comme le conseille Manuel Valls, la réforme constitutionnelle sera abandonnée par François Hollande ou si une nouvelle navette permettra à l'Assemblée d'améliorer le texte afin de le rendre plus conforme à la situation voulue par le Gouvernement c'est-à-dire un état d'urgence de longue durée.

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