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Marx, Keynes, Piketty : cet étrange malheur qui fait que les livres les plus vendus (lus ?) ne sont pas nécessairement les plus justes
©Reuters

Histoires de vols

Par un étrange malheur, les livres les plus vendus (lus ?) ne sont pas nécessairement les plus justes. Le Capital, la Théorie générale et le Capital au XXIe siècle en sont trois exemples, à partir de trois (fausses) histoires de vol.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Le "vol du travail" : c’est le sens de l’histoire pour Marx. Le vol d’une part du travail du salarié par le capitaliste permet à ce dernier d’en "profiter", pour accumuler des ressources et s’étendre. Les salariés deviennent relativement plus pauvres que leurs exploiteurs qui, heureusement, se trompent souvent, se concurrencent et donc se concentrent, devenant toujours moins nombreux. Avec le temps, leur taux de profit baisse. Surtout, les capitalistes se font plus rares, donc plus aisément renversables par une révolution. On voit cependant ce qu’il en est aujourd’hui à Moscou, Pékin, Cuba ou Pyongyang.

Le "vol du départ" est celui de Keynes. Le capitaliste mieux informé part le premier dans la course à la rentabilité. Il y gagne un avantage informationnel. Il achète, le premier, certaines actions et persuade alors ceux qui le suivent de faire pareil. Il les leur revend alors, empochant le profit que leurs achats auront permis. Devenu plus riche et plus vieux, Keynes cherche à atténuer ses propos. Il propose de faire travailler le chômeur à creuser, puis reboucher, des trous dans la pelouse de la banque d’Angleterre, cette dernière le payant avec la monnaie qu’elle crée. L’inflation monte et rabote son salaire réel, non sans avoir fait monter entretemps les profits des entrepreneurs. Ils iront vite voir ailleurs, avant la dévaluation – toujours le "vol du départ". Keynes propose aussi de vendre à taux fixe à des épargnants benêts (nommés : "rentiers") des bons d’Etat dont, "grâce" à l’inflation là encore, le taux réel (taux fixe moins inflation) va chuter. On ne se refait pas !

Le "vol des places" vient avec Thomas Piketty. Il analyse (entre autres) l’effet sur les patrimoines de l’achat des bonnes places, au sens des bons emplacements immobiliers. La richesse se transmet de génération en génération à ceux qui ont les moyens de connaître et d’acquérir les meilleurs centres, immeubles, carrefours, vues, ou encore les plus vastes espaces, convenablement desservis. Et comme, avec les nouvelles technologies, les choses vont plus vite, les innovateurs et ceux qui les financent trouvent toujours plus rapidement les meilleurs lieux de production et d’échanges d’idées. L’inégalité des immeubles, héritée, dépasse celle des usines, concurrencées, de Marx. Pire : elle se transmet mieux. Une seule solution : taxer plus tous les actifs !

Par un malheur symétrique, les idées oubliées sont souvent les plus utiles, de Turgot à Schumpeter, même si elles sont très amères au début. Turgot remplit les coffres publics et propose au Roi une règle simple : "pas de banqueroute, pas d’augmentation de la taxation, pas d’emprunt". Il coupe les dépenses publiques, supprime des sinécures et les corvées, empêche la spéculation sur les grains, favorise le libre-échange et s’oppose aux avantages des classes les plus hautes. Mais, plus il réussit, plus ses détracteurs deviennent violents, au point que le Roi recule devant ses dernières propositions. Turgot part, la Révolution suivra. Il croyait que "l’absolutisme éclairé" suffisait pour bien agir. Il devait s’illusionner sur l’éclairage et aurait dû savoir que tout absolutisme est relatif.

Schumpeter vient. Il annonce les morts des technologies et des organisations dépassées. Elles seront remplacées par les nouvelles, avec toujours plus de croissance et d’emploi à la clé, mais jamais tout de suite. Il remplit aujourd’hui les centres de recherche : c’est le père des startup. Mais ceci ne l’empêche pas de penser que le capitalisme sera battu par l’URSS. L’innovation peut connaître des éclipses.

Uber est là. Il fait venir à nous des voitures propres et moins chères. Pas sûr qu’il suffira à changer les choses et les comportements, mais il montre comment créer des emplois, moderniser des activités, réduire les rentes et donner partout des idées, et des emplois, à partir des technologies qui se développent, d’un meilleur traitement de l’information et d’un comportement plus "commercial" (gentil ?). Alors, les jeunes sortiront du chômage et forceront les entreprises classiques à s’améliorer – tant pis pour Marx, l’information se diffusera – tant pis pour Keynes, les prix des maisons se calmeront – tant pis pour Piketty. Et tant mieux pour nous !

Cet article a initialement été publié sur le site de Jean-Paul Betbèze et est consultable ici

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