Quand le patronat italien commence à se poser de sérieuses questions sur son intérêt à rester dans la zone euro<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Quand le patronat italien commence à se poser de sérieuses questions sur son intérêt à rester dans la zone euro
©Reuters

Capri, c’est fini

Si auparavant la critique de la zone euro et de l'Union Européenne en générale venait davantage de Beppe Grillo ou de la droite Berlusconienne, les patrons italiens la formulent également, dorénavant. L'Italie regrette désormais le pouvoir de dévaluation de sa monnaie ; abandonné avec l'arrivée de l'Euro... et pour la première fois depuis 50 ans les courbes de production industrielle italienne et allemande, corrélées jusqu'en 2000, s'éloignent.

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Disons le tout net : Gianfelice Rocca a parfaitement raison. J’utiliserais plutôt pour ma part le concept d’anorexie monétaire, plutôt que l’asphyxie par l’austérité budgétaire, mais c’est un détail en face des points de bon sens avancés par les industriels italiens : a/ oui, la situation européenne n’est pas glorieuse (si peu de croissance après des années de récession, si peu de créations d’emplois en dépit de gains de productivité nuls, tant de dettes à l’horizon), et oui la « gouvernance » y est calamiteuse, pour le plus grand préjudice d’un pays déjà démographiquement fragile comme l’Italie, b/ oui, la montée de l’AfD en Allemagne est un très grand pas dans la mauvaise direction, celle qui risque de voir le triangle d’impossibilité allemand (Francfort / Berlin / Karlsruhe) s’opposer vers 2017 à toute nouvelle détente monétaire, c/ oui, le boulet des dettes est odieux dans un pays comme l’Italie qui ne fabrique pratiquement plus de déficits primaires depuis 1994 et qui, par conséquent, paye très cher les errances politico-mafieuses des années 70 et 80 (sans que ce fardeau ait le moindre sens de nos jours).  

Au départ, l’industrie italienne n’est aucunement misérable : des années 1950 jusqu’au début des années 2000, elle progresse au même rythme (je ne parle pas de niveau, mais de croissance) que l’industrie allemande. Tous les 5 ans une dévaluation de la Lire face au DM remet les compteurs de « productivité » dans le vert : ce n’est pas glorieux, cela génère une inflation quatre fois plus rapide en Italie qu’en Allemagne à l’époque, mais cela tient. Et puis l’euro arrive. La production industrielle italienne est revenue à son niveau de 1980, loin de l’industrie allemande qui, tout en étant en fait loin de mériter l’aplaventrisme de nos élites (elle se situe en dessous de son niveau d’il y a 8 ans…), a presque maintenu son rang. Rien d’autre que l’euro n’est arrivé aux environ de l’an 2000 pour découpler le sort des nations sur le continent. Et ce regain de spécialisation productive intra-zone avait été prévu : c’est ce qui était arrivé dans l’espace américain avec l’essor du dollar et, ironie du sort, à l’Italie suite à l’unification du pays à la fin du 19e siècle : concentration de l’industrie au nord, choix au Sud entre la misère, les « réformes structurelles » (la belle blague) et l’immigration. Et voilà pourquoi nous avons un pape argentin qui parle si bien italien.

En échange de leur renonciation aux dévaluations qui contrariaient tant les industriels allemands, les italiens ont obtenu une promesse implicite : des taux d’intérêt allemands. Entre 1999 et 2009, c’est ce qu’ils ont obtenu. L’euro-contrat : on importe la crédibilité allemande, on renonce aux solutions de facilité, et implicitement on sacrifie les secteurs qui n’arrivent pas à s’adapter au nouveau régime. Et puis patatras : fin 2009, en refusant de tuer dans l’œuf la spéculation sur les titres grecs, la BCE commence un jeu trouble de poker-menteur avec les marchés et avec les gouvernements, qui conduit à la contagion ; et même les dominos les plus sûrs (l’Italie est parmi les grands pays de l’Union celui qui est budgétairement le plus vertueux) tombent : les taux 10 ans transalpins montent à 7% en 2011, quand la BCE organisait son coup d’Etat anti-Berlusconi. 

Certes, l’écart avec les taux allemands ont chuté depuis le whatever it takes de Draghi. Mais le graphique qui suit est un peu trompeur. Car les 100 points de base qui subsistent ne devraient pas exister, surtout aux niveaux absolus des taux que nous observons depuis 2 ans sur les taux allemands, et surtout avec la politique de QE menée depuis plus d’un an par la BCE (qui est censée réduire les spreads périphériques). Ils s’incrustent dans le paysage. Et c’est encore pire pour les taux appliqués au secteur privé, en particulier aux PME.   

Et que fait Draghi (l’italien domicilié à Francfort qui n’a jamais été dissident à l’époque de Trichet) ? il aide un peu les banques italiennes dans le pétrin, comme le banquier central japonais des années 90 et comme la corde soutien le pendu, et comme pour préparer la suite de sa carrière. Mais sa lute contre les tendances déflationnistes est pathétique : ni enthousiasme, ni engagement dans le temps, ni innovation (une foule de mesurettes pour techos). Il a recemment prétendu que ses plus de 600 milliards d’achats d’actifs ont eu un impact equivalent à une réduction totale de 100 points de base (tiens, tiens...) des taux directeurs, mais ce n’est guère credible, les autres évaluations tablent au mieux sur un effet deux fois plus faible. Donc en passant l’autre jour de 60 à 80 milliards d’achats mensuels d’actifs, Mario ne peut guère faire baisser les taux (si l’on s’en tient à cette façon archi-contestable de mesurer une détente monétaire par des taux, passons) que de 5 points de base par mois. Après tout ce qui s’est passé depuis 8 ans, c’est mieux que rien, mais ce n’est pas du tout suffisant pour rétablir la confiance, impacter l’économie “réelle”, réduire le boulet de la dette. 

Les relations entre les italiens entre eux, puis entre les italiens et le Saint Empire Germanique, ont toujours été compliquées. Les plus grands serviteurs de l’industrie et de l’Etat, des hommes du Nord qui sont tout sauf des excités ou des aventuriers, commencent à dénoncer l’impasse totale du policy-mix qu’on impose à leur pays et surtout à leur jeunesse, et ils ne pourront pas suivre un électorat allemand qui semble penser que Draghi mène une politique outrageusement pro-italienne. Devant l’apathie de la France occupée sur d’autres sujets (déchéance de nationalité, Koh-Lanta, euro 2016 de foot), on se prend à espérer que les élites italiennes se rassemblent et se décident à mener le combat pour la réforme monétaire sur le continent : dévaluation de l’euro (le paquet présenté jeudi dernier n’a même pas réussi à faire baisser l’euro...), remise à plat des missions et des cibles de la BCE, stratégie plus franche de congélation-annulation de dettes via le bilan de la BCE, etc.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !