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Comment présider l’Union européenne en temps de crise ? Les Pays-Bas entre responsabilités d’un membre fondateur de l’Europe et montée de l’euroscepticisme
©Reuters

Visite royale

Le roi Willem-Alexander et la reine Maxima des Pays-Bas sont en visite d’Etat à Paris ce jeudi et ce vendredi. Où en est la présidence néerlandaise de l’Union ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Le temps des doutes

Les Pays-Bas offrent incontestablement un bon poste d’observation des réalités européennes : membre fondateur de la Communauté dès l’aventure de la CECA en 1951, ancienne grande puissance coloniale et maritime, sixième économie et premier exportateur agricole de l’Union enfin sixième exportateur et investisseur mondial, ce « faux petit pays » pèse bien plus lourd que sa population (17 millions d’habitants) et surtout que son modeste territoire (41 000km2). 

Mais ils sont également un bon poste d’observation en raison des années délicates qu’ils viennent de traverser, où l’on retrouve tous les grands enjeux du continent : réformes drastiques de l’Etat-Providence, crise économique, montée du populisme, interrogations identitaires, notamment autour de l’intégration de l’Islam et euroscepticisme croissant. Les assassinats du leader populiste Pim Fortuyn en 2002 et du cinéaste provocateur Theo Van Gogh en 2004 ont confronté les Néerlandais au spectre de la violence politique, attitude totalement proscrite dans les mœurs nationales. Le non massif et cinglant (61,6% des votants) au referendum sur la constitution européenne en 2005 a également surpris les observateurs dans un pays que l’on croyait d’une « europhilie » exemplaire.

Le tout sur un fond de malaise économique durable qui s’est traduit par une volatilité électorale et une instabilité politique que le pays n’avait jamais connues sur une aussi longue période : trois dissolutions de la Deuxième Chambre, sept gouvernements depuis 2002, apparition de nouveaux partis et résultats en dents de scie de plusieurs formations politiques parmi les mieux établies. Il est vrai que les dernières élections en 2012, marquées par la double victoire des libéraux du VVD et des travaillistes du PVdA, ont paru offrir une alternative stable et crédible avec la constitution d’une « grande coalition » des deux vainqueurs. Le très fort recul des deux partis populistes de droite, le Partij Voor de Vrijheid, (PVV, Parti pour la liberté) et de gauche, le Socialistische Partij (SP, Parti socialiste) a également accrédité l’idée ou l’espoir d’un « retour à la normale ». 

De fait l’on pourrait penser que l’ « euromalaise » appartient au passé, tant les sentiments des Néerlandais à l’égard de l’Europe figurent parmi les plus favorables (bien plus que ceux des Français notamment !), au sein des 28. Ils sont plus optimistes que la moyenne européenne sur l’avenir de l’union, plus positifs sur son bilan global et plus attachés à l’euro. Mais ce qui n’empêche pas qu’ils ont une image médiocre d’un Union perçue comme bureaucratique et inefficace ; surtout, tous les indicateurs d’europhilie ont perdu entre 10 et 20 points depuis 2009. 

C’est d’abord la crise grecque qui est passée par là. Comme chez le grand voisin allemand, cette colère ne manque pas de bonnes raisons : le pays poursuit depuis des décennies une remise en ordre douloureuse de ses finances publiques (16 milliards d’économies prévues pour l’actuelle législature), l’Etat providence a été profondément réformé (large privatisation de l’assurance maladie, réforme du régime d’invalidité du travail, âge de la retraite repoussé à 67 ans). Dès lors, payer pour un partenaire qui n’a fait aucun de ces efforts prend le goût amer de l’injustice et le trucage des statistiques par Athènes, celui du scandale, dans un pays dominé par l’éthique protestante. De là à mettre dans le même panier tous ces « pays du Sud », où il fait certes bon aller en vacances mais qui sont « peu sérieux » et « profiteurs », il n’y a qu’un pas, vite franchi, et qui concerne notamment une France incapable de se réformer.

La crise migratoire suscite désormais la plus grande inquiétude : 75% des Néerlandais considèrent que c’est le premier défi de l’Europe aujourd’hui. Si la préoccupation humanitaire pour le sort des réfugiés reste très vive, la réticence de la population à une immigration durable est claire dans un pays qui se considère comme « plein. Signe des temps : la cote des populistes du PVV remonte au firmament des sondages et les élections générales prévues l’an prochain s’annoncent très périlleuses pour la coalition au pouvoir.  

Europragmatisme

Sur le fond, le souci de compter davantage dans une Europe élargie à vingt-huit inspire désormais ouvertement la politique néerlandaise, objet d’une « réorientation » officielle depuis le début des années 2000. En matière européenne, celle-ci a conduit à la défense point par point des intérêts nationaux, de la contribution au budget communautaire au calcul des droits de vote au Conseil européen ou à la représentation au Parlement européen, tous sujets sur lesquels, de Nice à Lisbonne, La Haye a obtenu gain de cause. Comme sur la symbolique européenne (drapeau et hymne) retirée du Traité de Lisbonne. Cette approche exclut désormais clairement toute ambition politique fédérale, chez ce pays longtemps champion de la supranationalité. Donnant priorité à la surveillance financière multilatérale, très favorable à l’union bancaire et au renforcement d’une stricte politique migratoire commune, La Haye plaide simultanément pour une subsidiarité stricte dans les autres domaines et la restriction du budget communautaire. C’est sur ses bases qu’elle assure depuis janvier la présidence tournante de l’Union

Dans le contexte difficile de la crise migratoire, le gouvernement a pris sa part des quotas décidés par l’Union et Mark Rutte, le premier ministre, se voit vivement attaqué pour son alignement sur les positions successives de Berlin. Chargée de trouver un consensus sur le sujet d’ici juin, très active dans les négociations avec la Turquie, la présidence néerlandaise dispose toutefois de deux atouts majeurs :  le soutien massif de la population – 83%, le plus fort taux de toute l’Union - à une politique migratoire commune et le pragmatisme néerlandais qui a fait merveille sur le plan intérieur. Le moral des Néerlandais est en effet au plus haut avec des résultats économiques qui feraient pâlir d’envie certains partenaires : croissance remontée à 2% en 2015, taux de chômage à 6,8% et déficit budgétaire sous les 3% depuis 3 ans.  Exemple parmi tant d’autres que les réformes structurelles, cela marche…

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