L'autre visage du trafic d’esclaves sexuels : celui des hommes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Ashton Kutcher joue un gigolo dans Toy Boy, sorti en salles en 2009 (illustration).
Ashton Kutcher joue un gigolo dans Toy Boy, sorti en salles en 2009 (illustration).
©Reuters

Journée de la femme

Alors que l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains assure que 20% de la prostitution en France concernerait les hommes, petit focus sur un phénomène trop souvent ignoré.

Lilian Mathieu

Lilian Mathieu

Lilian Mathieu est sociologue, directeur de recherche au CNRS (Centre Max-Weber, ENS de Lyon). Il a publié de nombreux ouvrages sur la prostitution, dont il est l’un des principaux spécialistes français, parmi lesquels Prostitution et sida (L’Harmattan, 2000), Mobilisations de prostituées (Belin, 2001), La Condition prostituée (Textuel, 2007) et La Fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution (François Bourin, 2014).

Voir la bio »

Atlantico : Selon les chiffres publiés par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, la prostitution masculine représenterait 20% du total de la prostitution en France. Sous quelles formes cette prostitution existe-t-elle ? Qui sont les personnes concernées ?

Lilian Mathieu : La prostitution masculine existe sous diverses formes qui s’adressent à différentes clientèles. Ainsi, en marge des lieux de drague homosexuelle, il existe une prostitution de jeunes hommes à l’apparence masculine qui peuvent monnayer leurs charmes, souvent auprès d’hommes plus âgés. Il y a aussi, et surtout, une prostitution d’hommes à l’apparence féminine, avec des degrés divers de transformation. Ce sont des travestis ou des transsexuels, qui exercent pour une clientèle hétérosexuelle qui est à la recherche de la réalisation de certains fantasmes, d’exotisme, et qui est prête à payer des hommes avec une apparence féminine.

C’est un univers extrêmement informel, où les rapports d’exploitation et de domination exercent de manière évidente mais ne fonctionnent pas d’une manière aussi organisée ou bureaucratisée que l’on veut bien l’imaginer. Il y a des formes d’exploitation entre prostituées elles-mêmes et eux-mêmes, mais également des formes qui sont inhérentes à la condition précaire et clandestine de personnes étrangères en situation irrégulière. Les hommes, comme les femmes, vont s’endetter pour pouvoir migrer, dont les conditions d’exercice de la prostitution sont aussi soumises à des formes de rétribution à des tiers.

Ce ne sont  pas systématiquement les personnes prostituées, hommes, femmes ou transsexuels, qui seraient victimes de personnes étrangères à leur activité. Les rapports d’exploitation se font aussi à l’intérieur du groupe des personnes qui exercent la prostitution. Cela peut aussi être des questions d’emplacement, ou des personnes qui considèrent que tel emplacement est leur propriété et n’accordent à d’autre la possibilité d’occuper cet emplacement que moyennant le versement d’une forme de loyer. Dans le cas des travestis et transsexuels, il peut aussi s’agir de questions de commerce d’hormones, qui se monnayent aussi auprès des pairs.

Est-ce à dire que la prostitution masculine est moins organisée, hiérarchisée que la prostitution féminine ?

La prostitution féminine n’est pas forcément très organisée non plus. Ces sont des rapports de domination et d’exploitation qui se recombinent et se retransforment. Dans le cas des femmes africaines, souvent, des prostituées sont exploitées par d’autres femmes qui sont arrivées avant. Mais dès qu’elles ont la possibilité d’exploiter une petite jeune arrivée après elles, il n’y aucun souci, elles le font. Parce qu’exploiter quelqu’un d’autre, c’est aussi un moyen de se libérer de sa dette. Mais cela soulève surtout la question de la migration.

Quel est le rôle de la migration dans la question de la prostitution masculine ?

Nous avons des gens, des hommes et des femmes, qui sont des migrants qui se retrouvent en situation irrégulière en France et qui s’endettent pour pouvoir venir. Leur migration correspond à ce que le droit français considère comme de la traite des êtres humains, c’est-à-dire le transport et l’hébergement de personnes, et ce, dans l’objectif que celles-ci se livrent à la prostitution. Dans le cas des hommes, majoritairement, ils le savent par avance car ils ont commencé à se prostituer dans leur pays d’origine, mais ils pensent qu’en venant en France, ils vont gagner davantage. Même si le fait de savoir par avance que l’on va se prostituer se retrouve également chez les femmes, sous toute réserve, je pense que cela est plus fréquent chez les hommes. Ceci parce qu’il s’agit d’homosexuels et de transsexuels qui sont d’ores et déjà engagés dans un processus de transformation. Ils savent, et c’est le cas également dans leur pays d’origine, qu’il n’y a pas beaucoup d’alternatives à la prostitution. Il faut intégrer cette notion de marginalité sexuelle chez ces personnes que l’on va moins retrouver chez les femmes.

En France, où se localise cette prostitution masculine ?

Cela dépend de la configuration locale. A Paris, par exemple, il y a des zones qui sont plus spécialisées, comme le bois de Boulogne. Mais avec la répression de la prostitution visible depuis la loi sur la sécurité intérieure, et la réactivation du racolage, toute la prostitution de rue s’est globalement dispersée, avec des reconfigurations. La prostitution est aujourd’hui plus dispersée, dans un sens général, aussi bien masculine que féminine, avec une moindre logique de zones de spécialisations. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !