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Les menaces d'Emmanuel Macron en cas de Brexit sont-elles le meilleur moyen de convaincre les électeurs britanniques de rester dans l'Union ?
©Reuters

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Ce jeudi 3 mars, François Hollande rencontrait David Cameron à Amiens. Une entrevue marquée par la crise des migrants et le référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE. Le matin même, Emmanuel Macron adressait aux Anglais deux avertissements en cas de Brexit.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans une interview accordée au Financial Times, publiée à quelques heures du sommet franco-britannique annuel, ce jeudi 3 mars, Emmanuel Macron adresse deux avertissements à l'Angleterre en cas de Brexit. Il n'est pas le premier à tenir de tels propos, Valls ayant déjà exposé les risques (notamment populistes) d'un Brexit. Quel effet un tel argumentaire peut-il faire aux électeurs anglais, au-delà des seuls banquiers de la City auxquels les déclarations d'Emmanuel Macron sont en réalité destinées ?

Christophe Bouillaud : Toute déclaration prenant la forme d'une menace – et ce qu'elle soit directe ou indirecte – visant les Britanniques et relative au choix du Brexit sera contre-productive. Elle sera fortement utilisée dans la propagande pour le Brexit et d'autant plus efficace qu'elle provient d'un acteur politique français. Il est important de souligner que, historiquement, les eurosceptiques britanniques sont convaincus que l'Union Européenne est un complot français. A leurs yeux, il s'agit de réussir (toujours pour la France) la conquête de l'Europe que Napoléon n'a pas su mener à terme. Dès lors, les propos d'un Français  – et plus encore quand il s'agit d'une menace – ne peuvent être que très mal perçus. Si les avertissements d'Emmanuel Macron parviennent aux lecteurs du Sun britannique, la presse populaire la plus eurosceptique d'Angleterre, ils seront ré-utilisés d'une façon assez catastrophique pour quiconque souhaite éviter le Brexit.

Certes, cela touchera peut-être très légèrement les moins eurosceptiques. Ceux-là seront probablement influencés  – très peu, néanmoins – par des déclarations de cet ordre, quand ils jugeront sur les aspects positifs et négatifs lors du référendum. Mais cet effet sera évidemment de bien moindre ampleur que l'utilisation des menaces proférées par les continentaux à l'égard des Britanniques. Au mieux, donc, cela sera purement et simplement innefficace quand, dans le pire des cas, cela ira à l'encontre de l'objectif poursuivi, puisque les déclarations des continentaux sont potentiellement utilisées à des fin de propagande anti-Union européenne. Les Français et les Allemands, particulièrement, doivent se tairent. Chacun pour des raisons historiques aisément compréhensibles.

Peut-on vraiment dire des propos d'Emmanuel Macron qu'il s'agit d'une menace ? David Cameron avait déjà repris ces arguments dans son propre plaidoyer. Au fond ne s'agit-il pas de présenter un état de fait ? 

La première menace d'Emmanuel Macron porte sur l'arrivée massive de migrants en Grande-Bretagne en cas de Brexit. C'est, à mon sens, une menace assez peu crédible : le Royaume-Uni se protège déjà largement des entrées sur son territoire et il n'y aurait pas de raison que cela change. Le changement radical de position, si la Grande-Bretagne quitte l'Union Européenne, serait complexe dans la mesure où les accords sont bilatéraux et où l'on resterait le plus vraisemblablement dans des situations de bon voisinage. Cet argument est fallacieux. David Cameron l'avait également repris, expliquant qu'en cas de Brexit, le camp de Calais se transposerait dans le Kent anglais. C'est totalement absurde : sitôt arrivés, les migrants se dirigeraient vers les points d'accroche qu'ils cherchaient à atteindre en gagnant le Royaume-Uni : de la famille, des proches, des amis... Cet argument témoigne davantage de la faiblesse du plaidoyer de David Cameron – et de tout ceux qui le réutilisent  – que d'un vrai risque pour la Grande-Bretagne, si le divorce avec l'Union Européenne en venait à être consommé. D'autant plus qu'en cas de Brexit, le trafic commercial trans-Manche devrait se réduire considérablement : les occasions, pour les migrants, de passer la Manche seraient donc sévèrement restreintes. Plus les relations, et par extension les potentielles coupures économiques, entre Londres et Bruxelles se refroidissent, plus ce constat sera vrai. Le raisonnement peut donc tout à fait s'inverser. Les migrants ne partent pas tous à la nage. Les quelques-uns qui ont tenté sont d'ailleurs morts.

La seconde menace, celle d'inciter les banquiers à quitter la City, jouit également d'une faible crédibilité. L'un des premiers arguments des militants en faveur du Brexit est le suivant : en quittant l'Union européenne, la Grande-Bretagne pourra offrir des services financiers au monde entier. Le tout avec sa propre régulation ; plus légère et par conséquent plus séduisante pour les capitaux. En outre, l'argument d'Emmanuel Macron repose sur une hypothèse loin d'être assurée. Son idée n'est valable que si, à la suite du Brexit, la zone euro demeure pérenne. Or, il est extrêmement probable que le Brexit provoque une dislocation progressive de l'Union Européenne, et par conséquent de la zone euro. Nous sommes aujourd'hui dans une sorte d'équilibre de la terreur : les partisans du Brexit reconnaissent que le départ bloquerait l'accès à la Grande-Bretagne au marché financier européen, mais ils estiment également que leur départ mettra fin à ce même marché. Ces Britanniques-là souhaitent un modèle plus comparable à celui de Singapour : un paradis fiscal, globalisé. Il ne faut pas oublier que le Royaume-Uni dispose de bien plus de moyens et de capacités à résister aux autres pays européens que ce n'est le cas de la Suisse, par exemple. Si la Suisse a dû abandonner des éléments de son modèle économique et financier, une Grande-Bretagne redevenue indépendante dispose d'un poids économique plus important et dépend moins de l'Europe : ses relations internationales sont bien plus étendues. La Grande-Bretagne a, d'après les partisans du Brexit, une vocation mondiale et pas seulement européenne. 

En montrant ses muscles et en tenant un discours dur, la France ne fait-elle pas plutôt le jeu d'une Europe incapable de prendre en compte ses citoyens, en l'occurrence les électeurs anglais qui s'apprêtent à voter au référendum sur l'appartenance à l'Union européenne ? 

Cette ingérence dans les affaires britanniques ne me parait pas des plus intelligentes. Le peuple britannique a des doutes sur l'Union européenne depuis déjà longtemps. La réponse qui sera donnée en juin, au référendum, doit être la plus marquée et la plus sincère possible. Soit les Britanniques veulent aller de l'avant avec le reste des Européens, auquel cas la situation sera clarifiée et les idées eurosceptiques finiront par disparaître. Soit le résultat du référendum sacrera le "oui" à la question "Voulez-vous quitter l'Union Européenne ?" et là aussi, les choses seront claires. A mon sens, il est primordial, du point de vue du fonctionnement démocratique, que ce choix soit aussi libre que possible, que les Britanniques n'aient pas le sentiment qu'ils ont été manipulés ou qu'on leur a forcé la main après coup. Dans ce cas-ci, le ressentiment qu'ils peuvent éprouver à l'égard de l'Europe grandirait et la question se poserait nécessairement de nouveau. Il est donc nécessaire d'éclaircir leur statut.

Gardons à l'esprit que ce qui est vraiment problématique dans ce Brexit, ça n'est pas le Brexit en lui même. Il s'agit clairement du contexte : si l'Union européenne fonctionnait au mieux, le fait que le Royaume-Uni décide de partir ne constituerait pas un drame. Preuve en est : par le passé, les Norvégiens ont mis un stop dans leur intégration au projet européen, et pourtant l'Union européenne s'entend très bien avec eux aujourd'hui !

Y'a-t-il encore un argumentaire susceptible de convaincre réellement les citoyens anglais, ou le Brexit est-il trop engagé pour qu'il soit possible de l'éviter sans céder aux demandes du Royaume-Uni ?

Il existe aujourd'hui un accord entre les différents pays de l'Union, que David Cameron a négocié avec ses différents partenaires européens. S'il n'y a pas Brexit, cet accord sera donc appliqué, y compris en Grande-Bretagne. Les choix sont faits et on ne peut plus revenir dessus.

In fine, la meilleure façon de convaincre les Britanniques aujourd'hui, c'est de parvenir à leur prouver le bon fonctionnement de l'Union européenne. Concrètement, il faut donc que dans les mois qui viennent, que d'ici la mise en place du référendum, l'Europe soit à l'origine de choses positives. Et c'est un problème, dans la mesure où l'actuelle crise des migrants prouve clairement que l'Europe n'est pas si efficace que ça – et c'est un euphémisme –. L'Europe souffre malheureusement d'un mauvais contexte.

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