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Gérard Longuet : "Même si la loi El-Khomri est votée grâce à la droite, aucun électeur de droite n'aura envie de voter pour un candidat socialiste, même modéré"
©DR

Ouverture contre fermeture

Vendredi 26 février, 17 parlementaires de droite et du centre ont publié une tribune en soutien de la loi El Khomri. "S’il n’est pas édulcoré, nous pourrons voter ce texte" ont affirmé ces élus. Parmi eux, Benoist Apparu, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Christophe Fromantin et Gérard Longuet. L'ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy votera en faveur du texte défendu par la ministre du Travail. Il est persuadé que ce soutien ne relancera pas les socialistes à moins d'un an de la présidentielle.

Gérard  Longuet

Gérard Longuet

Gérard Longuet est sénateur de la Meuse, il a notamment été président du groupe UMP au Sénat de 2009 à 2011.

De 2011 à 2012, il a occupé la fonction de ministre de la Défense et des Anciens combattants. 

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Atlantico : Vous avez signé avec 16 autres parlementaires de droite (LR et centre) une tribune de soutien au projet de loi El Khomry. Ce cadeau fait au gouvernement n'était-il pas un mauvais calcul politique ?

Gérard Longuet : Personnellement ce qui m'intéresse, c'est le fond. Que les socialistes découvrent enfin qu'il faut modifier le droit du travail est une excellente nouvelle. Tout ce qui est pris n'est plus à prendre. Donc s'opposer à ce texte pour la raison qu'il ne viendrait pas de notre famille me paraît irréaliste étant donné les institutions de la Vème République. Il y a une majorité socialiste, apparemment, jusqu'en 2017 et il faut faire avec. La République ne peut pas s'arrêter pendant 5 ans. Dès lors qu'il y a une opportunité à saisir, il ne faut pas passer à côté.

Cela dit, est-ce que ce texte règle tout ? La réponse est non. Va-t-il consolider les socialistes dans l'exercice du pouvoir ? Je ne le pense pas pour trois raisons. Tout d'abord, parce qu'ils ouvrent une voie mais ne vont pas assez loin. Ensuite, on est en droit de se demander pourquoi ils agissent si tard dans ce domaine alors que cela fait quatre années que nous leur demandons de faire autrement. Enfin, il n'est pas certain que ce texte passe avec la majorité socialiste, et si effectivement il est voté, ce sera grâce aux voix de la droite.

De toute façon, je pense que pour les socialistes, la situation est déjà réglée. Le jugement des Français est de plus en plus sévère d'élections en élections. Et les divisions qu'ils expriment publiquement montrent bien qu'au fond ils sont résignés quant à leur échec à venir de 2017.  

Ne craignez-vous pas que votre soutien au projet de loi El Khomry légitime la stratégie de Manuel Valls d’apparaître comme étant à la tête d'un gouvernement qui va réformer et sauver la France ?

Manuel Valls a certes des qualités personnelles. Mais à l'intérieur du Parti socialiste, je rappelle qu'il avait fait 5,6% aux primaires présidentielles d'octobre 2011. Donc son assise au sein de sa formation est assez limitée même si elle a progressé, et aucun électeur de droite n'a envie de voter pour un candidat socialiste, même modéré. Personnellement, Manuel Valls n'est pas une inquiétude.

Votre soutien au projet ne va t-il pas favoriser une recomposition des alliances et permettre à Manuel Valls d'être à la tête d'une coalition de "gens raisonnables" dont certains rêvent ?

Je ne parlerais pas tant d'un clivage gauche/droite historique que d'un clivage issu du premier et du second tour de l'élection présidentielle. Le problème français c'est que les présidents élus ne sont jamais majoritaires – contrairement à ce qu'ils croient. Les seules personnes qui les soutiennent sont celles qui votent pour eux au premier tour. Les électeurs du second tour sont des électeurs ralliés qui bien souvent votent pour le candidat élu pour des raisons négatives, à savoir parce qu'ils ne veulent pas de l'autre. C'est la mécanique même de l'élection présidentielle.

Maintenant, il y a un vrai clivage qui me paraît bien plus important que celui, incertain, de l'élection présidentielle, c'est l'opposition entre les Français qui acceptent l'ouverture des frontières et qui en tirent les conséquences, et ceux qui la récusent. Je considère pour ma part, étant patriote et profondément Français, qu'à partir du moment où l'on sait que les frontières sont nécessairement ouvertes pour des raisons qui ne sont pas politiques mais bien technologiques (la circulation de l'information, des containers, des personnes, etc.), il faut l'accepter. Qu'un espace national survive, c'est tout à fait possible. Et dans mon esprit, c'est en s'adaptant à l'environnement international, et pas en la niant, que l'on peut y parvenir.

Le problème de la France aujourd'hui, c'est, qu'en effet, il y a des gens de gauche et de droite qui s'opposent à l'ouverture des frontières car ils considèrent que l'on peut s'exonérer de l'environnement international, ce qui est absurde. Je ne prétends pas que cet environnement international est amical et bienveillant. Au contraire, il est hostile et conflictuel. Mais il s'impose. Ceux qui veulent s'en exonérer en deviennent très vite dépendants. A ne pas avoir la productivité, les bons investissements ou encore les bonnes méthodes de gouvernance, on devient alors dépendant de ses créanciers. Il faut dans ce cas être d'accord de perdre une bonne partie de son niveau de vie. Or cette possibilité est impensable car tous les citoyens comparent leur niveau de vie à ce qui se passe à l'extérieur des frontières.               

La tribune de Martine Aubry et la réponse de Manuel Valls sont révélatrices d'une véritable scission au sein de la gauche. Doit-on y voir la confirmation d'une tendance de rapprochement entre la gauche moderne et la partie centriste de la droite ?

Il y a tout d'abord un élargissement de la gauche anti-européenne. Il est d'ailleurs surprenant, certes en caricaturant, que Martine Aubry, fille de Jacques Delors, aille au secours de Jean-Luc Mélenchon. En réalité, elle prive la France de toute perspective d'évolution lui permettant de s'adapter à l'environnement européen. A-t-on envie pour autant que les socialistes européens s'entendent avec des libéraux ou des conservateurs qui acceptent l'Europe ? C'est un vrai problème car c'est contraire à la logique des institutions de la Vème République qui fait primer le scrutin majoritaire à deux tours. Au premier, on choisit tandis qu'au second on élimine.

Mais la vérité impose tout de même de prendre des mesures qui permettent d'adapter la France à son environnement. Or, on ne peut pas donner des chances à notre pays avec 57% de prélèvement de la puissance publique sur le PIB, ni diminuer ce prélèvement avec 20% des électeurs. C'est impossible. Il faut bien se rendre compte que, demain, si Mme Le Pen est au second tour, ce qui est le plus probable, le président élu, de droite ou de gauche – je pense qu'il sera de droite – le sera avec 65 à 70% des voix, dont une partie significative ne votera pas pour lui, mais contre l'autre, en l'occurrence la patronne du FN. Le président élu va se retrouver, certes avec une majorité parlementaire, mais sans véritable soutien dans l'opinion si ce n'est les 25 à 30% qui auront voté pour lui au premier tour.

Nous, chez LR, avec notre mécanisme de primaires, nous avons la possibilité de réaliser un bon premier tour en 2017 avec un score qui pourrait atteindre les 26 à 27% des voix, et il ne sera pas difficile pour un candidat unique du centre et de la droite de faire même mieux. Mais une fois élu avec ces 26/27%, que va-t-il faire ? Le futur président aura en face de lui un Front national qui rassemblera autour de 30% des suffrages exprimés, et des électeurs de gauche anti-européens, qui sont d'abord anti-FN (pas tous néanmoins, regardez en Lorraine, le socialiste Jean-Pierre Masseret s'est maintenu lors des dernières régionales en donnant une chance au Front national) et qui voteront en partie pour le candidat de la droite et du centre non pas pour le soutenir mais bien pour faire barrage au FN.

Lorsque Xavier Bertrand et Christian Estrosi sont élus au régionales de novembre 2015, ils le doivent aussi à des électeurs de la gauche qui ont reporté leur voix sur leur candidature. Or il ne s'agit là pas de soutiens à proprement parlé. Et quand on veut engager des réformes majeures avec une assise populaire de l'ordre de 25 à 30% des suffrages exprimés, ce n'est pas un exercice facile.

Aujourd'hui, il n'y a aucune réponse à ce problème posé. Et cela pour une raison très simple : la présidentielle interdit cette réponse. Certains mettent en avant l'exemple allemand de la grande coalition. Mais l'Allemagne a pu mettre en place cette solution car elle n'a pas de régime présidentiel. Le scrutin y est proportionnel et aucune des formations de la grande coalition ne pouvait gouverner seule. De toute façon, juridiquement, les Allemands étaient obligés de gouverner de cette façon-là.

En France, nous avons un scrutin majoritaire. C'est simple, celui qui arrive en tête gagne tout. Mais pour autant, il n'a pas plus d'assise au sein de la population. Alors, en effet, il y a cette pression des 100 jours et de l'état de grâce qui suit tout élection présidentielle. Mais les vacances passées, les 70 à 75% des Français qui n'ont pas voté pour le pouvoir en place se désolidarisent des mesures qui sont proposées et prises par le président élu et son gouvernement. De fait ils ne les ont pas choisis, sinon par défaut.

Je me suis plongé avec attention, il y a peu, dans le comportement des électeurs du premier tour des différentes présidentielles sous la Vème République. Il est très intéressant d'observer qu'il y a une érosion de la base électorale des différents présidents élus. De Gaulle rassemble 45% des suffrages exprimés au premier tour de décembre 1965. En 1973, Giscard est à 32,6% et en 1981, François Mitterrand ne dépasse pas les 26%. Tout président élu pense avoir la majorité des suffrages, or en réalité il ne peut compter que sur la minorité de ceux qui l'ont désigné au premier tour comme le principal candidat. Il est donc évident qu'au final il n'est pas majoritaire. Sa majorité s'effondre rapidement.

Il y a par conséquent un problème gouvernemental français qui est le manque d'assise pour mettre en place une réelle politique réformiste.  

Si l'on vous comprend bien, une éventuelle recomposition du clivage politique au profit d'une opposition centre/extrêmes ne pourrait avoir lieu qu'en cas d'instauration de la proportionnelle qui permettrait indirectement au FN de peser davantage à l'Assemblée nationale ?

Je ne vois pas d'autres systèmes obligeant une recomposition du champ politique qu'une évolution du mode de scrutin. De fait, le scrutin majoritaire donne une majorité à un parti mais celle-ci ne sera pas durable. On peut, il est vrai, gouverner contre l'opinion. Après tout, on n'a pas besoin d'avoir plus de 50% d'avis favorables pour réformer. Il suffit de faire passer les lois. D'autant plus que pour les candidats qui ne veulent honorer qu'un seul mandat, il n'est pas nécessaire de compter sur le soutien populaire. Néanmoins, le président du mandat unique fait passer des lois votées par des députés qui, eux, ont envie de se représenter devant les électeurs.               

La révision constitutionnelle (portant sur l'état d'urgence et sur la déchéance de nationalité) va arriver au Sénat après avoir été votée par l'Assemblée nationale. Selon Europe 1, les sénateurs qui promettaient de réécrire le projet de loi devraient se montrer plus conciliants. Vous allez voter pour comme l'a demandé Nicolas Sarkozy au LR ? Allez-vous l'amender ?

Je voterai avec conviction la loi sur la déchéance de nationalité. Mais cette dernière ne doit pas s'inscrire dans une révision constitutionnelle. Elle relève du Code civil. Je reste hostile à la révision de la Constitution car celle-ci n'est pas un texte de fond mais un texte de méthode. Et je ne vois pas en quoi on aurait besoin d'y inscrire la déchéance de nationalité. Il n'y a pas d'obligation à le faire. S'il y a obligation, j'aimerais bien que l'on m'en apporte la démonstration. Je ne suis pas certain que le débat à l'Assemblée nationale ait apporté la preuve de cette nécessité constitutionnelle.

Le seul texte qui empêche la déchéance de nationalité est la loi de Mme Guigou datant de 1998. Cette dernière interdit de créer des apatrides. Mais créer des apatrides est-il une tragédie ? Non. Un apatride est une personne qui ne pourra tout simplement pas quitter la France. C'est le paradoxe de l'apatridie. L'apatride qui a deux nationalités retournera dans son autre pays dont il est citoyen pour autant qu'il ait envie de l'accepter – ce qui n'est pas gagné -, tandis que celui qui n'a qu'une seule nationalité ne pourra pas quitter la France. On revient alors à l'indignité nationale dans ce cas car la personne continue de résider dans son pays mais n'a aucun droit.

Selon moi, le seul intérêt de ce débat politique est de l'ordre de l'affichage. Il s'agit de permettre de dire au citoyen français qu'il ne peut pas prendre la kalachnikov pour cibler d'autres citoyens français. Le jour où un Français prendra les armes en France, il ne sera plus Français mais apatride.

Donc vous allez voter contre cette révision constitutionnelle ?

Je voterai contre la nécessité de la réforme constitutionnelle mais pour le texte sur la déchéance de nationalité.   

Qui avez-vous décidé de soutenir pour ces primaires ?

J'ai personnellement une préférence pour François Fillon parce qu'il est libéral et conservateur, des valeurs que je partage avec lui. J'ai de la reconnaissance à l'égard de Nicolas Sarkozy qui m'a nommé ministre de la Défense (NDLR : du 27 février 2011 au 10 mai 2012) mais il a libéré de tout engagement ses "compagnons" en 2012 quand il a indiqué qu'il se retirait de la vie politique. Il est certes revenu sur sa décision depuis mais entre-temps j'avais moi-même soutenu François Fillon pour la présidence de feu l'UMP car j'avais justement cette sympathie pour lui tout en partageant les memes convictions. Pour le moment, mon candidat est bien François Fillon.

Concernant la mise en examen de Nicolas Sarkozy, vous avez dit : "L'évangile l'a dit : que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. Je ne vois pas qui peut lancer la première pierre. En tout cas pas chez les hommes politiques. […] Il n’y a pas de saint sur Terre et qu'il faut prendre les gens et les situations telles qu'elles sont. Les saints sont dans le ciel." Est-ce une façon de dire que Nicolas Sarkozy a péché mais qu'il faut passer l'éponge ? Ou alors qu'aucun homme politique n'est éthique ?

Je pense qu'il y a surtout un manque de profondeur dans la réflexion politique sur le financement de la vie politique. Aujourd'hui, celle-ci ne peut être financée pour l'essentiel que par l'argent public, ce qui est, de mon point de vue, choquant. Je pense que l'argent privé, y compris celui des entreprises, devrait pouvoir financer l'action publique, certes dans les limites du raisonnable. On est quand même dans un système où, pour communiquer avec ses concitoyens, on ne peut pas dépenser d'argent privé. On est obligé de dépenser de l'argent public. Cette situation pose tout de même un problème car cela signifie que les partis installés ont toujours la primeure sur les projets nouveaux. Et comme je suis libéral, je me dis tout le monde doit pouvoir accéder au "marché politique". Si quelqu'un a du charisme, des convictions et est capable de susciter une mobilisation de fond, pourquoi diable l'empêcher de s'exprimer ?

On me répondrait sans doute que dans ce cas nous serions dans le règne de l'argent. Mais entre le règne de l'argent et le règne du système en place, je ne sais pas quelle est la bonne voie à suivre. En tous les cas, pour avoir vécu avant et après la loi sur les financements des partis politiques (NDLR : lois du 15 janvier 1990, du 29 janvier 1993 et du 19 janvier 1995), je constate qu'en France, on ne peut pas faire sortir de courants ou d'hommes nouveaux contrairement à d'autres démocraties, qui sont certes davantage marquées par l'argent. Mais l'argent va en direction de personnes et de programmes politiques soutenus par l'opinion. Dans le cas contraire, l'argent ne vient tout simplement pas.  

Nicolas Sarkozy aurait-il dû ses fonctions de président des Républicains à la suite de sa mise en examen ?

Non. Il a fait le choix d'être le président de l'UMP d'abord, de LR par la suite. C'est une décision en réalité très courageuse. Pour avoir dirigé une formation politique, certes d'une taille plus modeste mais significative, à savoir le PR (NDLR : Gérard Longuet fut président du Parti des Républicains de 1990 à 1995, le PR a été remplacé par Démocratie libérale créée en 1997 par Alain Madelin), la vie d'un parti politique est faite d'une succession de petites difficultés envahissantes liées le plus souvent aux chocs des égos.

Je l'ai donc trouvé très courageux de se lancer dans cette fonction, d'autant plus que les chefs de partis politiques n'ont pas l'image la plus favorable dans l'opinion. Inversement, aujourd'hui avec le financement public, seul le chef du parti dispose d'un appareil qui lui permet d'animer une communication politique nationale.

Cela dit, aurait-il dû se retirer en raison de sa mise en examen ? Non. Tout d'abord parce que la mise en examen n'est pas la démonstration d'une culpabilité. D'autre part, le fait d'avoir potentiellement dépassé un budget de campagne est en effet un délit, mais ce n'est pas un délit déshonorant.    

En septembre 2014, avant le renouvellement de la moitié des sénateurs, des chiffres sont sortis dans la presse quant au fonctionnement du Sénat. Chacun des 348 Sénateurs coûterait 523.846 euros par an à l'Etat français. On connaît les raisons historiques qui ont poussé à la constitution d'un Sénat dans notre République (en l'occurrence des raisons conservatrices et monarchiques). Le Sénat est-il toujours aussi légitime dans cette Vème République ? Pourquoi ?

Si l'on considère que la loi doit être l'expression de la volonté populaire et non pas le résultat d'une négociation entre les lobbies et les administrations, le fait d'avoir deux assemblées qui examinent chacune avec un regard différent les textes de loi permet donc de déboucher sur des textes majeurs. Je viens certes de l'administration mais j'ai derrière moi 20 ans d'expérience dans le secteur privé. Lorsqu'une grande société investie des millions d'euros dans une mobilisation du Boston Consulting Group, de KPMG ou encore de Roland Berger pour obtenir une réflexion sur une stratégie, cela ne choque personne.

Or c'est un peu la même logique avec le Parlement qui est l'outil qui permet à un pays comme la France d'avoir des textes bien construits. A chaque fois que l'on modifie une virgule dans un texte de loi, cela peut déplacer des dizaines voire des centaines de millions d'euros. Donc il n'est pas complètement anormal que ces textes ne soient pas simplement la volonté d'une administration, qui sera toujours celle d'afficher son pouvoir, ou la volonté des lobbies, qui sera toujours celle de leurs intérêts particuliers. 

En revanche, la question est de savoir : Les Sénateurs ne sont-ils pas trop nombreux ? Ont-ils les moyens de travailler ? Et surtout, c'est le fond du problème, leur réélection dépend-elle de leur travail législatif ? La réponse est hélas non. Ma longue expérience m'a montré que les parlementaires les plus travailleurs ne sont jamais les mieux réélus. Et les parlementaires les mieux réélus ne sont jamais les plus travailleurs.

On constate donc que le système parlementaire est imparfait. Mais rendu aux textes produits – à condition d'avoir des textes intéressants -, l'expérience, l'autorité intellectuelle et le débat ouvert publiquement par le travail des 348 sénateurs ou des 577 députés n'est pas inutile. Prenez par exemple les 35h, le texte de Martine Aubry, qui était d'ailleurs le résultat d'un engagement de campagne écrit par Dominique Strauss Kahn, a été une tragédie pour la société française. Personnellement, j'aurais préféré que le Sénat ait à l'époque plus d'autorité qu'il n'en a par la Constitution de 1958 parce que le Sénat de 1997 aurait certainement bloqué les 35h. Or, finalement la mesure a été votée dans l'enthousiasme et l'irresponsabilité d'une Assemblée nationale totalement politique qui ne s'est par rendue compte qu'elle assassinait l'industrie française en augmentant les coûts salariaux de 11%, ce qui nous a fait passer devant l'Allemagne en termes de coût de production. Et du jour au lendemain, j'en ai fait l'expérience en tant que président de la région Lorraine, le flux des investissements étrangers s'y sont arrêtés parce que ces investisseurs étrangers, qu'ils soient Américains, Asiatiques ou même Allemands, ont décidé qu'à tout prendre ils n'allaient plus investir en France mais ailleurs. Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas continué à acheter des entreprises françaises pour leur savoir-faire et leur valeur ajoutée mais on a cessé d'embaucher des travailleurs français. On l'a bien constaté dans le secteur de l'automobile tricolore dont plus de la moitié des voitures sont construites aujourd'hui dans des usines étrangères.

Donc lorsque l'on voit l'enjeu et les conséquences économiques d'une décision politique, il n'est pas anormal de penser que le bicamérisme fonctionne, indépendamment des raisons que vous avez rappelées, à savoir la notion de chambre des pairs, la représentation du territoire ou encore une certaine forme de conservatisme. Mais l'argument principal aujourd'hui, c'est qu'on a besoin dans le travail parlementaire d'un système qui soit légèrement conflictuel pour mettre les vraies questions sur le tapis. A l'exception de la réforme constitutionnelle, qui nécessite un vote conforme du Sénat – ce qui en l'occurrence inquiète l'Assemblée nationale -, le drame est que ce vote conforme du Sénat n'est pas nécessaire.

Je pense que non seulement il faut maintenir le Sénat, mais il faut aussi qu'en cas de majorité de la Chambre haute (2/3 des Sénateurs favorables à un texte), l'Assemblée nationale soit obligée elle aussi d'avoir une majorité positive, et pas seulement une absence d'opposition.   

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