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François Hollande, le président normal qui ne devait pas dresser les Français les uns contre les autres : petit bilan d'une promesse
©REUTERS/Philippe Wojazer

Agitateur depuis 2012

Le 2 mai 2012, pendant le débat d'entre-deux-tours de la présidentielle, François Hollande tacle Nicolas Sarkozy : "Je vous ai mis devant ce qu'a été votre responsabilité de président, (...) les Français ont été opposés, systématiquement, les uns par rapport aux autres, divisés et donc je veux les réunir." A 14 mois de la fin de son quinquennat, François Hollande est loin d'avoir tenu cette promesse.

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Pierre Bréchon

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à l’IEP de Grenoble, chercheur au laboratoire PACTE, directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, et auteur notamment de Comportements et attitudes politiques aux Presses universitaires Grenoble. Il a également dirigé l'ouvrage Les élections présidentielles sous la Ve République (Documentation française). 

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Atlantico : Lors du débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle de 2012, François Hollande lançait à Nicolas Sarkozy : "Pendant trop d'années, les Français ont été opposés, systématiquement, les uns par rapport aux autres, divisés... et donc je veux les réunir, car je considère que c'est de toutes les forces de la France dont nous avons besoin. C'est ainsi que reviendra la confiance." N'a-t-il pas raté son pari ? N'a-t-il pas tout autant, voire plus, divisé les Français que Nicolas Sarkozy ?

Pierre Bréchon : François Hollande n'a pas réussi à unifier les Français. Cela dit, cette phrase est prononcée dans un contexte bien particulier. Il s'agit en l'occurrence du débat d'entre-deux-tours. A quelques jours d'un second tour d'une élection présidentielle, chacun des deux candidats tiennent de ce point de vue le même message. Ils affirment tous les deux être là pour rassembler tous les Français. Ils critiquent en ce sens l'autre candidat, ce qui ne veut pas dire qu'ils feront l'exact opposé. Au fond un Président dans la Vème République a beaucoup de pouvoir. Il est donc impossible de faire une politique qui contente tout le monde et unisse ainsi tous les citoyens. En l'occurrence c'est un projet impossible. Nicolas Sarkozy avait divisé durant sa présidence. François Hollande, sans surprise, divise lui aussi. Il était inévitable qu'il en soit autrement pour l'un comme pour l'autre.

Nicolas Sarkozy et François Hollande divisent et ont divisé tous les deux sur les mesures qu'ils ont pu prendre. En revanche, ils ont une personnalité différente. L'image du président actuel est plus courtoise et sereine alors que Nicolas Sarkozy aimait être clivant. Sur ce point, comme l'ont relevé plusieurs journalistes, l'ancien chef de l'Etat ressemble davantage à Manuel Valls qu'à François Hollande.

Erwan Lestrohan :Oui mais à la différence de Nicolas Sarkozy qui a divisé sur la base de ses prises de position et de son discours, François Hollande l'a peut-être davantage fait sur la base d'un questionnement autour de sa compétence, notamment sur sa capacité à faire baisser le chômage. Sur le plan politique, on a tout d'abord une grande cassure au sein des Français au sujet du Mariage pour tous qui a été un marqueur très fort de séparation entre les pros et les antis mais aussi entre la gauche et la droite. Cette période a marqué une division entre les Français qui a été une cassure assez forte dans le quinquennat de François Hollande.

Mais il y a aussi une division importante du fait de la difficulté de François Hollande d'obtenir des résultats probants en termes de baisse du chômage mais aussi de relance de l'économie du pays. Cette donnée a entraîné le détachement des catégories populaires notamment et nourri de sérieux doutes sur ses compétences.

Comment François Hollande en est-il venu à diviser son propre camp tout autant que les Français (par quels choix ou non-choix) ?

Pierre Bréchon : François Hollande divise les Français et à l'intérieur même de son camp. Ce constat vaut aussi pour Nicolas Sarkozy qui a aussi par le passé divisé l'UMP au fil du mandat. Encore une fois, compte tenu de la fonction présidentielle, ce constat semble inévitable. Jusqu'à présent en France, les présidents ont toujours été l'un des candidats des deux grands partis de la Vème République. A partir du moment où l'on a des grands partis de gouvernement, à l'intérieur de ces deux grands pôles il y a forcément pas mal de division. Cette division chez le PS ou à l'UMP, dorénavant LR, est structurel. Dans chacun des deux grands camps, il y a des courants différents voire opposés. Il ne peut pas en être autrement. Par ailleurs, au cours d'un mandat présidentiel, il est normal d'assister au sein même de sa majorité à une structuration progressive des mécontents qui sont donc plus visibles et plus enclins à sanctionner le pouvoir et les mesures prises.      

Si l'on prend le quinquennat de Hollande, plusieurs débats ont divisé les Français, ainsi qu'au sein de la gauche – y compris modérée. Autant le Mariage pour tous a fait relativement consensus à l'intérieur gauche, autant la politique économique a pu diviser la majorité. Cette dernière n'est pas dans son application celle que la candidat François Hollande avait annoncée lors de la campagne en 2012. La gauche a pu avoir le sentiment, que beaucoup de mesures libérales ont été prises et peu de décisions sociales. La politique sécuritaire menée ces derniers mois par le président et son gouvernement, notamment avec la déchéance de nationalité, a pu renforcé ce sentiment car certaines mesures ou annonces étaient très clivantes pour la gauche.

En ce qui concerne les "non choix", François Hollande a pu aussi diviser la gauche et les Français. C'est le cas par exemple, si l'on regarde son programme de 2012, de son projet de grande réforme fiscale. Or cette dernière n'a jamais été effectivement menée.

Erwan Lestrohan :Les grands moments qu'on observe dans la popularité de François Hollande, c'est déjà le recul de l'intérêt pour le président des sympathisants du Modem. Ce phénomène se produit dès l'élection. Quand un candidat socialiste est investi pour concurrencer François Bayrou aux législatives en juin 2012, on remarque une première cassure avec les électeurs du Modem qui avait soutenu François Hollande pour la présidentielle. Le retocage de la taxe à 75% pour les hauts revenus par le Conseil constitutionnel en fin d'année 2012, tout comme l'enlisement du débat sur le Mariage pour tous, ont marqué le divorce avec la partie des sympathisants de la droite qui pouvait tout de même avoir une opinion pas trop négative de François Hollande. Donc la cassure avec la droite se réalise assez vite sur fond donc d'absence de main tendue au Modem, de couacs sur la taxation des hauts revenus et d'enlisement sur le débat du Mariage pour tous.    

La division au sein de la gauche est plus progressive. La première rupture, elle assez rapide, intervient avec la gauche du PS. Elle a pour fondement le pacte de responsabilité et se prolonge tout au long du virage "libéral" de François Hollande et des mesures, sinon d'austérité, de rigueur qui ont été menées. Ensuite, il y a une autre étape qui est la scission avec EELV marquée par le départ de Cécile Duflot du gouvernement. Enfin, on a une rupture au sein même du PS avec en point d'orgue le départ d'Arnaud Montebourg et de Benoit Hamon du gouvernement qui témoigne de l'existence de deux lignes au sein même du parti. François Hollande a donc dès novembre 2014 une marge de manœuvre très réduite. A ce moment-là, la cote du président de la République est au plus bas.

François Hollande a réussi à retrouver une forme de légitimité présidentielle après  les attentats de janvier et de novembre 2015. S'il n'a pas convaincu quant à sa compétence, il a montré qu'il avait le charisme d'un chef d'Etat, d'où une hausse de sa cote de popularité qui avait atteint un plancher à la mi-mandat. Pour autant, il n'a pas élargi sa base électorale car il n'a pas donné de gages concrets de réassurance que ce soit aux dissidents du PS, aux sympathisants des Verts ou encore aux électeurs de la gauche du Parti socialiste.    

Est-ce une stratégie politicienne ("diviser pour mieux régner") ou les conséquences inévitables d'une volonté de réformer le pays ?

Pierre Bréchon : Je ne parlerai pas d'une volonté de diviser pour mieux régner. Il y a deux explications à mon avis. D'une part, c'est lié à une question de contraintes, internationales ou européennes, qui pèsent sur le président de la République. Le sentiment de François Hollande est que la politique économique ne peut pas être trop décalée par rapport à celle des pays voisins. Par conséquent, il estime, peut-être à tort, ne pas avoir beaucoup de marge de manœuvre et force donc la main à son propre camp. Il s'agit d'une politique à la Schröder (2005-2009 en Allemagne). L'idée est d'imposer ses vues à sa majorité avec à l'esprit l'idée que cela va passer mais il n'est pas sans savoir que cela peut aussi casser.

L'autre aspect plus politicien a trait au fait que face à une extrême droite forte et face à un Nicolas Sarkozy, dont on ne sait pas s'il ira jusqu'au bout, mais qui se démarquait comme profondément de droite, François Hollande a estimé que l'élection présidentielle de 2017 se jouera au centre. D'autant plus qu'il sera mal vu, quoi qu'il fasse, par la gauche radicale. Sa stratégie politique a par conséquent été d'aller vers le centre.

Dans quelle mesure peut-on dire que François Hollande a ravivé la lutte des classes (notamment en s'aliénant la gauche de la gauche et en se rapprochant de la droite, transformant le clivage gauche/droite en un clivage partis traditionnels/partis extrêmes), qui revient en force alors qu'elle semblait avoir disparu ces dernières années ? 

Pierre Bréchon : Je n'appellerai pas cela une nouvelle lutte des classes car pour y parvenir il faut des groupes sociaux. Or si le FN rassemble de nombreux anciens électeurs des partis traditionnels (de la "bande des quatre" comme ils le disent), la formation de Marine Le Pen est composite socialement parlant. Il regroupe certes des catégories populaires mais pas uniquement. Le Front national a aussi toute une partie de petits patrons ou encore d'agriculteurs qui n'appartiennent pas forcément aux classes sociales les plus basses. Par ailleurs le FN du Midi n'est pas le FN du Nord, plus populaire.

Depuis plusieurs décennies, les partis politiques ne représentent plus véritablement un groupe social. Ils représentent un ensemble composite de groupes. Il est vrai qu'il y a au Front national une surreprésentation des catégories populaires mais de là à évoquer une nouvelle classe que le FN regrouperait, je ne le crois pas. Les groupes sociaux n'ont pas une expression politique unique. 

Paradoxalement, la politique de François Hollande se rapproche de celle la droite et "nie" d'une certaine façon le clivage gauche/droite. Alors qu'on pourrait s'attendre à ce qu'elle crée un consensus, cette stratégie ne revient-elle pas finalement à diviser encore davantage ?

Pierre Bréchon : Un président de la République, surtout pour être réélu, va jouer une stratégie relativement semblable à celle de François Mitterrand en 1988. C'est-à-dire qu'il va tenter de donner l'image du président de tous les Français, du père de la nation qui se situe au-dessus des partis. En même temps, les politiques des partis modérés génèrent assez classiquement des oppositions et selon les périodes, elles en produisent plus ou moins. Nous sommes depuis 20 à 30 ans dans une période où les politiques de gauche ou de droite ont généré une montée des extrêmes. En France, celle-ci se manifeste par une montée de l'extrême droite (FN) tandis que dans d'autres pays, ces mesures amènent une montée de l'extrême gauche. De ce point de vue-là, les politiques menées par les partis de gouvernement produisent davantage de critiques qu'autrefois, faisant donc le lit des extrêmes. Il s'agit là d'un phénomène global qui dépasse sans doute le seul quinquennat de François Hollande.    

Erwan Lestrohan : Après son virage libéral, le fait que François Hollande ait aussi entamé un virage sécuritaire, qui certes s'imposait peut-être compte tenu du climat post-attentats, place le curseur, sur certains domaines, au-delà de la gauche traditionnelle. Et ce que l'on observe dans les enquêtes d'opinion, c'est que cette stratégie est plutôt contreproductive. Elle a tendance à détourner la gauche de François Hollande, qui est alors perçu comme pas suffisamment à gauche, mais aussi à détourner la droite elle-même dans la mesure où un élu PS ne sera jamais aussi bon pour celle ci qu'un élu de droite pour appliquer des mesures de droite.

Donc globalement, cette tentative est contreproductive d'un point de vue électoral, mais il y a aussi un agenda qui s'impose. Le contexte post-attentats et de crise économique ont pu, d'une certaine façon, forcer à mettre en place des politiques sécuritaires et de rigueur économique. C'est là tout le débat de la stratégie de François Hollande : est-on face à une stratégie politique ou plutôt face à des prises de décision inéluctables compte tenu d'un contexte morose ? De cette question découle notamment les divisions que l'on observe dans le quinquennat de François Hollande.

Dans l'optique de 2017, ces divisions vont-elles avoir un rôle important dans la future présidentielle et la candidature annoncée de François Hollande ?

Erwan Lestrohan : Le problème aujourd'hui pour François Hollande c'est qu'à peine un Français sur cinq (22% en janvier 2016) souhaite qu'il soit candidat en 2017. On est donc sur des chiffres assez bas. Cela montre que la base des soutiens de l'actuel président de la République s'est totalement effritée tout au long de son quinquennat. On n'identifie pas de levier pour la consolider. François Hollande s'est certes de nouveau présidentialisé dans le contexte post-attentats mais il n'a pas réussi pour autant à regagner de façon significative et pérenne en popularité et sa base électorale apparaît trop limitée pour briguer un nouveau mandat en 2017.    

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