Michèle Tribalat : "La discrimination positive est une machine à fabriquer du ressentiment qui favorise une culture du grief, de la plainte et de l’irresponsabilité"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Michèle Tribalat : "La discrimination positive est une machine à fabriquer du ressentiment qui favorise une culture du grief, de la plainte et de l’irresponsabilité"
©Reuters

A éviter !

En France, l'idée de différencier dans les statistiques les citoyens nés sur le territoire de ceux qui ont acquis la nationalité par la suite diffère des pratiques britanniques de statistiques ethno-raciales, qui permettent de mettre en place des mécanismes de discrimination positive.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

Voir la bio »

Atlantico : Dans votre dernier livre "Statistiques ethniques une querelle bien française", qui vient de paraître aux éditions du Toucan, vous consacrez un large chapitre au scandale Safari. Pourquoi vous semblait-il important de revenir sur cet épisode ? 

Michèle Tribalat : En fait, c’est un chapitre plus large, mais qui démarre effectivement sur l’affaire du fichier Safari (acronyme pour Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus). C’est cette affaire qui a conduit au vote de la loi sur l’informatique et les libertés le 6 janvier 1978 et à la création de la Cnil. Elle est à la fois symptomatique de la méfiance vis-à-vis de la statistique publique que l’on suspecte souvent des plus noirs desseins et du handicap que cette méfiance a représenté pour l’Insee.

>>>> A lire aussi : Statistiques ethniques : une querelle bien française que l'on a tendance à réduire à un faux débat entre adversaires et partisans présumés du FN

Au début des années 1970, l’informatisation des données administratives se voyait facilitée par le passage des cartes perforées aux bandes magnétiques. L’Insee cherchait, dans une perspective uniquement statistique, à interconnecter divers fichiers administratifs grâce à un identifiant unique, le NIR (numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques, autrement dit, notre numéro de sécurité sociale). Un article du Monde du 21 mars 1974 titré « “Safari”, ou la chasse aux Français » déclencha une polémique si violente que le projet fut abandonné. La loi de 1978 garde les traces de cette affaire, par la plus grande méfiance avec laquelle elle traite la statistique publique relativement aux instituts de sondage privés. Ce qui ne sera plus le cas dans la loi de 2004.

Quels sont aujourd'hui les arguments scientifiques sur lesquels vous vous appuyez pour montrer l'intérêt des statistiques sur les origines ethniques ?

J’ai œuvré pour l’introduction d’un type de statistiques ethniques qui cherche à dépasser le critère de la nationalité qui a été longtemps le seul retenu dans l’analyse du phénomène migratoire. J’ai essayé de convaincre que le recours à la catégorie « immigrés » était plus intéressant. Cette dernière regroupe les personnes entrées en France comme étrangères qu’elles aient acquis ou non la nationalité française ensuite. Ce qui évite de faire sortir de l’observation ceux qui deviennent français et de mélanger ceux qui ont connu la migration avec ceux qui sont nés en France et déclarent une nationalité étrangère. L’Insee a pu mettre en œuvre facilement la catégorie « immigrés » parce que les recensements recueillaient depuis très longtemps les informations utiles pour y parvenir.

C’est ainsi que l’Insee a pu publier en 1996 un rétrospectif de l’évolution du nombre et de la proportion d’immigrés depuis 1911. La nationalité, même bien déclarée, était également tout à fait inadéquate pour repérer la génération née en France, en raison des dispositions du code de la nationalité. Pour observer cette génération, il faut recueillir des informations sur la filiation. C’est ainsi que l’Insee a fini par introduire dans les années 2000 des questions sur le pays de naissance et la nationalité de naissance des parents dans ses grandes enquêtes. En 2007, la Cnil l’a autorisé à le faire dans les enquêtes annuelles de recensement. Ce qui n’a pas encore été fait. La France pratique donc une forme de statistiques ethniques, comme nombre de ses voisins européens, qui n’a rien à voir avec les statistiques ethno-raciales des Britanniques.

Dans les années 2000-2015, les rapports se sont multipliés. Comment s'y retrouver ? A quoi servent-ils au final ? Ou qui servent-ils ?

En fait, après la transposition de la directive européenne 95/46/CE en 2004 sur les discriminations, de nombreux rapports ont été commandés, par le Président de la République, le Premier ministre et différents ministres. Ces rapports tournaient autour de la mesure de ce qu’on s’est mis à appeler « la diversité ». Ça sonnait mieux que « statistiques ethniques ». La diversité était aussi entendue comme la déclinaison de la vingtaine de critères de discrimination énoncés dans la loi. Il fallait lutter contre les discriminations et en faveur de la diversité, ce qui pour beaucoup revenait au même. Il fallait que la « diversité » se reflète dans tous les recoins de la société. En réalité, ces rapports sont, jusqu’à présent, restés sans effet sur les pratiques statistiques de l’Insee qui avait commencé d’introduire le pays et la nationalité de naissance des parents avant cette avalanche de rapports.

Le rapport de Simone Veil de 2008 a écarté toute modification du préambule de la Constitution, jugeant que ce que la Cnil autorisait d’ores et déjà de faire était suffisant. Le Conseil constitutionnel de 2007 a statué contre l’établissement d’un référentiel ethno-racial à l’américaine. Le rapport du Comedd de 2010 a préconisé de faire, en gros, ce que la Cnil permet. Il souhaitait que le dispositif de surveillance de la parité dans les entreprises soit repris pour les origines ethniques (mesurées à travers la filiation) sous la tutelle de la Halde- qui a été absorbée par le Défenseur des droits -. Mais ce dispositif n’a jamais été mis en place. Si la politique de discrimination positive était souvent à l’arrière plan des propositions de mesure de la « diversité »– c’était le cas de Yazid Sabeg nommé en 2008 par le Président Nicolas Sarkozy commissaire à la diversité et à l’égalité des chances – elle rencontre, à juste titre à mon avis, une forte hostilité en France.

Nicolas Sarkozy était très investi sur la question des discriminations et favorable à des mesures de discrimination positive. Ces méthodes sont-elles vraiment efficaces ?

Oui, il s’était entiché de la question et était, encore à la fin de son mandat, favorable à l’établissement de quotas. L’expérience américaine montre que les politiques préférentielles à l’Université pénalisent ceux à qui elle est censée profiter et qu’elles ont aidé de plus en plus souvent, au fil du temps, les classes supérieures. Au début des années 1970, la moitié des Noirs qui entraient dans les universités d’élites venaient de familles dont les revenus étaient inférieurs à la médiane. Au début des années 1990, ce n’était plus le cas que de 8 %. L’expérience américaine, comme l’expérience indienne, montre aussi que les catégories ainsi « protégées »ont tendance à s’étendre indéfiniment et qu’il est pratiquement impossible d’y mettre fin. C’est une machine à fabriquer du ressentiment chez les bénéficiaires comme chez ceux qui en sont exclus et qui favorise une culture du grief, de la plainte et de l’irresponsabilité.

Propos recueillis par Marie-Eve Wilson-Jamin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !