Pourquoi le soutien de l’opinion française est essentiel dans l’opération de sauvetage du Titanic européen<!-- --> | Atlantico.fr
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Si le projet européen doit continuer, il faut que les partis de gouvernement cessent ce double jeu, et qu’ils participent réellement à rendre acceptable par le peuple français des avancées majeures dans l’intégration européenne.
Si le projet européen doit continuer, il faut que les partis de gouvernement cessent ce double jeu, et qu’ils participent réellement à rendre acceptable par le peuple français des avancées majeures dans l’intégration européenne.
©DR

Haut les coeurs

D'après un think tank anglais, la France semble être la clé aux problèmes de dissolution potentielle de l'Union Européenne. Force est de constater, à leurs yeux, que si la France se laissait séduire durablement par l'euroscepticisme, le projet européen ne pourrait s'en sortir. Et pour cause... De plus en plus de pays - pas uniquement l'Angleterre - semblent vouloir négocier leur propre Brexit.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon le Centre for European Reform, think tank anglais pro-européen, la France est l'une des clés essentielles de la survie du projet européen. D'après eux, « si la France vire eurosceptique, le projet européen est mort ». De son côté, Matteo Renzi critique régulièrement « l'orchestre du titanic » que serait l'Europe. Jusqu'où est-ce que la France est effectivement cette clef du sauvetage européen ?

Christophe Bouillaud : Ces experts sont des génies, ils sont vraiment très bien informés ! Des vrais spécialistes en « lapalissades ». Il est en effet certain que, si les autorités gouvernementales françaises ne faisaient plus allégeance au projet d’intégration européenne, ce dernier n’aurait plus aucun sens dans sa forme actuelle. Un peu comme lorsque les nouvelles autorités nationalistes croates ont décidé la mort de la fédération yougoslave en 1990-91, contre l’avis des autorités de Belgrade. Cette même remarque vaut d’ailleurs pour un autre pays clé : l’Allemagne.

Par contre, il n’est pas vrai que la France ne soit pas déjà largement eurosceptique au sens où l’opinion publique n’y aime guère Bruxelles et où tous les partis, y compris le PS et les Républicains, ont pour sport favori de dire du mal de Bruxelles quand cela leur parait pouvoir leur faire gagner des électeurs. En ce sens-là, on peut effectivement dire que la France fait partie de la clef du sauvetage européen : si le projet européen doit continuer, il faut que les partis de gouvernement en France cessent ce double jeu, et qu’ils participent réellement à rendre acceptable par le peuple français des avancées majeures dans l’intégration européenne. Il faut dire en même temps que ces mêmes partis sont en train de recevoir l’addition de leurs choix erronés à Bruxelles : par exemple, la crise agricole actuelle est presque à 100% la conséquence de ce que les gouvernants français, de droite comme de gauche, ont accepté depuis les réformes de la PAC successives depuis 1990 sans préparer la presque totale reconversion de l’agriculture française face à cette ouverture du marché. La logique européenne de marché ne pouvait qu’aboutir à ce résultat d’une agriculture française liquidée dans ses segments les moins compétitifs, mais les gouvernants français ont signé pour cela sans daigner gérer la suite. Il est vrai qu’il est difficile d’expliquer à des gens qu’ils vont bientôt mourir économiquement.

Cependant, la France n’est pas la seule qui souffre de cette ambiguïté des partis de gouvernement : dans de nombreux pays, les majorités internes de tous les partis de gouvernement sont pour l’intégration européenne, tout en faisant bien en sorte de ne pas se conformer à la seule solution qui pourrait sauver l’Europe, à savoir un saut fédéral d’une ampleur inédite, ce qui supposerait déjà d’avoir averti clairement les populations concernées des choix à faire désormais et de leurs conséquences.  A force d’avoir biaisé, d’avoir fait l’Europe pour des motifs de puissance économique sans avoir fait les Européens, nous en sommes effectivement à l’impasse actuelle. En pratique, pour avancer, il faudrait pouvoir changer les Traités. Pour les changer, il faudrait faire voter les citoyens. Or, instruits par quelques votes récents (le dernier en date au Danemark), tous les dirigeants européens  favorables à l’intégration ont peur de tout vote sur l’Europe, et donc, rien n’est possible, sauf en catimini, en jouant sur les marges d’interprétation des Traités, sur les subtilités du droit international. Depuis le vote négatif de 2005, la  France en ce sens-là est bien la clef. Dira—t-elle un jour « oui » à un traité européen ?

Matteo Renzi s'en est récemment pris au tandem Franco-Allemand qu'il juge « inefficace et insuffisant » pour résoudre les crises auxquelles est confrontée une Europe « en danger de mort ». Que dire de son analyse ? Quelle est encore la place de l'Allemagne – et du couple franco-allemand – au sein de l'UE ? Quelles pourraient être les alternatives ?

Il faut préciser d’abord que ce n’est pas un hasard que M. Renzi s’énerve le plus, car il est l’héritier d’une tradition politique italienne qui a tout misé sur l’Europe, pratiquement depuis 1945, et qui n’a aucune solution de rechange en cas de blocage définitif du processus d’intégration européenne. Ensuite, il serait difficile de lui donner tort. Plus on observe la situation de l’Union européenne et les crises auxquelles elle est confrontée, plus on peut avoir des motifs d’inquiétude. Il existe certes de puissants intérêts économiques qui portent l’intégration européenne, mais les crises politiques qui se développent dans de nombreux domaines semblent ne jamais devoir trouver de solution. La place de l’Allemagne reste centrale, et aussi celle du couple franco-allemand, mais ils sont impuissants à résoudre les problèmes, car ni l’Allemagne ni le couple franco-allemand, n’arrivent à incarner la position unique et ultra-dominante des pays européens, ni non plus ne disposent d’une stratégie claire et affirmée. Les missions successives d’A. Merkel en Turquie pour endiguer la vague de réfugiés sont tout à fait significatives. Ce n’est pas l’Union européenne qui négocie avec la Turquie, mais l’Allemagne, parce qu’elle se trouve être la plus impactée par le problème des réfugiés. Même remarque sur les aspects économiques de la situation grecque, où, d’évidence, il n’y a pas eu de représentant de l’intérêt général européen dans les négociations.

L’alternative n’est pas la création de manière durable d’un autre leadership national en Europe – lequel d’ailleurs ? -, mais la création d’un vrai pouvoir fédéral – la BCE a été ce pouvoir dans une large mesure qui a sauvé les meubles depuis 2012, mais elle constitue un pouvoir totalement illégitime du point de vu démocratique. Il faut trouver mieux. En fait, si l’on prend un peu de recul historique, il faut bien constater que ce qui pêche totalement dans l’Union européenne actuelle n’est autre que son mode principal de fonctionnement : le compromis entre Etats, entre les intérêts, entre les partis. Pour affronter une crise, un défi majeur, pour sauver la «République », on sait bien depuis les Romains qu’il peut être utile de nommer un dictateur pour exercer temporairement tous les pouvoirs. L’Union européenne manque désespérément d’un tel dispositif. Il n’y a bien que Mario Draghi  qui en tordant les textes pour sauver l’Euro jusqu’ici a été ce dictateur, mais qui l’a nommé ? Le dictateur des Romains était investi suite à une procédure légale ad hoc, qui l’autorisait à décider. Cette faiblesse de l’Union européenne parait d’autant plus flagrante face à la Russie ou à la Turquie, qui sont des puissances avec des caricatures de pouvoirs exécutifs forts.

Un tel déclin de l'image de l'Europe auprès des populations, des politiques et des médias est-il justifié ? Quels sont les chantiers sur lequel la France devrait plancher prioritairement pour revoir l'Europe et permettre sa sauvegarde ?

Oui. L’atonie économique de la zone Euro en particulier est inqualifiable. Une large part de la légitimité du projet européen dépendait de sa capacité à offrir aux populations des avantages matériels liés à l’intégration européenne. Or cela ne marche pas du tout dans la zone euro depuis 2008. Il suffit de comparer le sort de l’Islande et de la Grèce. Les « nouveaux Vikings » étaient tout aussi corrompus que les élites grecques, mais leurs erreurs de politique économique, pour ne pas dire leurs escroqueries, ont été résorbées rapidement en dehors de la zone Euro, alors que la Grèce continue de s’enfoncer à coup de mémorandums européens d’aide. La priorité des priorités devrait donc être pour les autorités françaises de revenir à une « valeur ajoutée de l’Union » pour toutes les populations, en particulier pour celles des pays de la zone Euro. Si Matteo Renzi s’énerve, c’est aussi pour cela : la politique économique que son pays doit suivre s’avère de plus en plus suicidaire. Les chiffres pour l’Italie pris sur la durée des 15 dernières années sont un désastre, qui ressemblera bientôt aux années perdues de l’autarcie fasciste des années 1930. Le cadre macroéconomique européen doit changer. Une vraie relance coordonnée de tous les pays de la zone Euro doit avoir lieu, et elle doit en plus être ressentie par les citoyens comme durable et dirigée vers leur bien-être à eux, et non pas vers les cours de bourse et l’augmentation des profits des grandes entreprises, dont on découvre en plus ces temps-ci qu’elles utilisent souvent l’intégration européenne pour éviter de payer des impôts à qui de droit. Ce n’est pas par ailleurs en laissant des millions de jeunes européens du sud sans emploi et sans perspective que l’on va redresser les chances de survie de l’Union européenne. Les autres dossiers en dehors de l’économie européenne me paraissent à la fois moins urgents, et plus difficiles : il faut ainsi remotiver les populations européennes pour le projet européen, mais cela suppose des politiques publiques de plus longue haleine.  Quoi qu’il en soit, la vague de nationalisme, de xénophobie, de conservatisme que connait le continent ne pourra pas être limitée si la conjoncture économique européenne ne s’améliore pas du tout au tout.

La Grande-Bretagne est actuellement en train de négocier son Brexit. Si jamais la situation en venait à une Europe « à la carte », combien de temps faudrait-il pour que d'autres pays de plus en plus eurosceptiques ne fassent de même ?

Pour l’instant, le Royaume-Uni négocie des conditions spéciales destinées à assurer son maintien au sein de l’Union européenne. Cela ne fait en fait que renforcer le caractère bigarré de l’Union européenne actuelle. L’Europe « à la carte » existe en fait depuis le Traité de Maastricht quand il a fallu s’accommoder des exigences danoises et britanniques. Cela n’est pas donc un grand changement. Par contre, si le Royaume-Uni devait à suite du référendum sortir en utilisant l’article 50 du TUE, il y aurait des négociations, qui elles seraient bien sûr très intéressantes à suivre. Leur résultat inspirerait sans doute d’autres Etats, mais là encore, il faut bien souligner que la situation existe déjà largement : depuis que la Norvège a refusé par référendum dans les années 1970 de suivre le Danemark et le Royaume-Uni dans leur adhésion à la CEE, elle dispose d’un statut particulier. On pourrait en dire un peu de même de la Suisse. Bref, cela rendrait les choses plus compliquées, mais pas beaucoup plus qu’elles ne le sont déjà. Par contre, la vraie question serait de savoir si le « Brexit » serait l’occasion – ou non – du renforcement d’un pouvoir fédéral européen entre les Etats restant pleinement membres de l’Union. 

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