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Des paroles et pas d’actes : la déchéance de nationalité, dernier acte du naufrage démocratique du quinquennat Hollande
©Reuters

Blabla

Pactes de compétitivité, CICE, plans contre le chômage, réorientation européenne, déchéance de nationalité… François Hollande a multiplié les grandes annonces lors de son quinquennat. Mais l'inefficacité de la plupart d'entre elles le conduit sans doute vers la défaite finale.

Jacques Julliard

Jacques Julliard

Jacques Julliard est journaliste, essayiste, historien de formation et ancien responsable syndical. Il est éditorialiste à Marianne, et l'auteur de "La Gauche et le peuple" aux éditions Flammarion.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Mesures antiterroristes, révision de la Constitution, pacte de responsabilité, lutte contre le chômage, réorientation européenne… En quoi le quinquennat de François Hollande s’est-il caractérisé par un écart substantiel entre les effets d’annonce et la mise en place de ces politiques, notamment vis-à-vis des résultats obtenus ?

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord rappeler que François Hollande avait choisi un slogan de campagne assez classique à gauche : "Le changement, c’est maintenant". Ce slogan laissait entendre qu’il allait y avoir des changements assez rapides dans la vie quotidienne des gens. En réalité, François Hollande s’est lancé dès l’été 2012 dans une stratégie axée sur le moyen terme, voire le long terme : baisse du coût du travail et regain de compétitivité en France. Cela s’est vu quand il a mis en place le CICE et quand il a parlé de pacte de responsabilité et de socialisme de l’offre. Dès le départ, on observe donc un décalage entre le discours électoral – "on va changer les choses tout de suite" – et la stratégie économique et sociale mise en œuvre – "on va agir pour le moyen terme". D’où une déception extrêmement rapide, et cela se voit très tôt dans les sondages, de son électorat le plus populaire qui décroche dès l’automne 2012. Il y a donc assez vite une différence fondamentale entre le discours et la stratégie des petits pas qui est mise en œuvre, et qui s’opèrerait plutôt sur une période de deux quinquennats. 

Pour ce qui est des mesures antiterroristes et de l’aspect sécuritaire, c’est peut-être là où il y a le moins de décalages. Dans la campagne électorale de 2012, cet aspect avait joué un rôle mineur. Nous étions dans une période où le terrorisme djihadiste n’était pas autant d’actualité. Les propositions étaient majoritairement socio-économiques, avec en parallèle une volonté de rupture avec le style sarkozyste en matière de sécurité.

En revanche, l’une de ses phrases les plus marquantes est bien sûr la célèbre "mon ennemi n’a pas de visage, c’est le monde de la finance", prononcée lors du discours du Bourget. Le problème, c’est que concrètement, les mesures que François Hollande a fait adopter durant la législature élue en 2012 sont des mesures à l’eau tiède ! A titre d’exemple, la loi bancaire de 2013 est unanimement qualifiée de médiocre dans le contrôle des oligopoles bancaires. De ce point de vue-là, rien n’a été fait. Ou très peu.

En ce qui concerne le chômage, sa promesse d’inverser la courbe du chômage dès la fin 2013 a eu un effet absolument terrible de décrédibilisation, surtout qu’il s’était donné lui-même un délai, tablant sur une période d’un an et demi pour changer les choses. Nous sommes début 2016, et le chômage n’a pas été aussi haut en France depuis des années. Ce taux de chômage très élevé décrédibilise totalement toute l’action présidentielle.

Par ailleurs, François Hollande a commis au niveau européen une faute cardinale. Il avait promis à son électorat qu’il ne continuerait pas la politique menée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel et qu’il réorienterait l’Europe. Or, son premier acte européen en tant que Président, c’est d’approuver le traité signé par Sarkozy ! Il n’obtient aucune réorientation de la politique économique européenne, en-dehors de l’aide de Mario Draghi pour changer la politique monétaire. Mais sur la politique budgétaire, le contrôle du budget des Etats, la stratégie économique et sociale de l’Union européenne, il n’obtient rien de rien. C’est bien le problème. C’est d’autant plus problématique qu’étant le représentant d’un pays comme la France, élu au suffrage universel direct, il avait le poids et la légitimité nécessaires juste après son élection pour dire stop. Or, il n’a pas voulu aller à la crise avec l’Allemagne et a préféré s’adapter complètement à ce que proposaient Angela Merkel et compagnie. Résultat : nous nous retrouvons en 2016 avec une politique économique infléchie non pas par la France mais par Mario Draghi, et qui de surcroît ne marche pas ! Quatre ans après 2012, la politique économique ne marche toujours pas, une nouvelle crise globale se profile à l’horizon et nous sommes toujours dans la même situation. Il était peut-être trop pro-européen pour oser engager une crise qui aurait été, à mon avis, salutaire en 2012. Soit nous n’aurions plus l’euro et nous serions déjà ressortis en 2016 des affres de la fin de l’euro, soit nous aurions enfin une politique économique européenne digne de ce nom.

Ironie de l’histoire, Lionel Jospin avait fait une erreur semblable en 1997. Il avait aussi promis de changer les choses, et il a finalement accepté tout ce qu’on lui proposait au premier Conseil européen. Son seul "succès" est d’avoir fait en sorte que le Pacte de stabilité soit dénommé Pacte de stabilité et de croissance…

Jacques Julliard :C’est un constat qu’on pourrait faire pour chaque président de la République, mais c’est effectivement particulièrement vrai pour François Hollande au niveau de l’opinion publique. La raison de tout cela, à mon avis, réside dans le fait qu’il n’était pas prêt lorsqu’il a été élu président de la République. Plus exactement, il n’avait pas pris la mesure de la situation économique de la France à l’époque. Ce qui me frappe quand je regarde tous les sondages que j’ai vus, c’est que les Français ne sont pas tellement hostiles à la politique que François Hollande préconise. Ils disent même très souvent qu’on n’en fait pas assez pour aider les entreprises. En revanche, ils lui reprochent de ne pas avoir obtenu de résultats. Ce n’est pas la nature de sa politique qui est pointée du doigt, c’est l’échec de sa mise en œuvre. C’est assez frappant, et cela vient à mon avis du fait que François Hollande a perdu un an et demi au début de son quinquennat, et qu’il court après depuis. Toute sa politique économique aurait peut-être obtenu de meilleurs résultats s’il avait pu la mettre en œuvre d’emblée. Il pâtit de cela aujourd’hui.

En ce qui concerne les autres sujets, mon jugement sera plus nuancé. Sa politique extérieure est par exemple approuvée par l’opinion. Lui-même, quand on l’interroge, affirme qu’il n’est pas en contradiction avec l’opinion, mais que celle-ci ne le juge que sur sa politique économique. Il est alors obligé de reconnaître que non seulement les résultats ne sont pas là, mais la situation a continué de s’aggraver.

Par rapport à la déchéance de nationalité, au vu de tout le capital politique engagé par François Hollande sur une mesure qui est reconnue inefficace par le Gouvernement lui-même, quel message est envoyé aux Français ? Que peut-on anticiper du point de vue de l’opinion publique ?

Christophe Bouillaud : La justification qui est donnée, c’est de respecter la parole présidentielle. François Hollande a été perçu par beaucoup d’électeurs, particulièrement à gauche, comme ayant trahi ses promesses de 2012. C’est donc pour lui une façon de dire que cette fois-ci, il ne compte pas trahir sa promesse faite devant le Congrès. Le problème, c’est que pour les électeurs de gauche, c’est encore pire ! Il respecte une promesse d’extrême-droite, si j’ose dire, alors qu’il ne serait pas capable de respecter ses promesses de gauche… L’électeur de gauche peut donc se sentir doublement trahi.

Jacques Julliard :Il faut d’abord rappeler que les Français sont massivement favorables à cette mesure, dans une proportion de l’ordre de 80 à 85%. Les gens comprennent très bien l’importance des mesures symboliques. A la Libération, quand on a fait l’indignité nationale, ce n’était pas non plus une mesure efficace, mais elle redonnait de la valeur à l’idée-même de nation. Comment peut-on concevoir que des gens restent français alors qu’ils affirment eux-mêmes faire la guerre à la France ? La grave erreur de François Hollande est d’avoir voulu introduire cela dans la Constitution et d’avoir laissé s’introduire un débat sur la binationalité. Mais là-dessus, il est beaucoup plus proche de l’opinion publique que la plupart de ses opposants. Sur ce genre de mesures, il est plutôt populaire. A chaque mesure énergique contre le terrorisme, il est suivi par l’opinion. En revanche, dès qu’on pense à autre chose, on pense au chômage. Et sa popularité s’effondre subitement. Il suffit du chômage pour perdre une élection, mais l’absence de chômage ne suffit pas pour la gagner. En témoigne l’expérience de Lionel Jospin il y a quelques années.

Alors que François Hollande a emprunté des voies inédites pour le Parti socialiste et que l’absence de résultats crispe une partie de son propre camp, peut-on dire qu’il a échoué dans sa volonté supposée de refonte idéologique du PS ?

Christophe Bouillaud : A mon avis, François Hollande veut imiter un peu Gerhard Schröder. Il pense que les mesures radicales de changement de l’économie et de la société française qu’il a prises permettront à l’économie française de redémarrer sur une nouvelle base et d’aller beaucoup plus loin qu’avant, dans un bilan qui sera tiré d’ici cinq ou six ans.

Le problème de cette stratégie, c’est qu’il pourrait ne pas en profiter personnellement parce que pour l’instant elle le mène droit dans le mur pour une éventuelle réélection en 2017.

Par ailleurs, il n’est pas sûr que les réformes du type de celles menées par Schröder soient très appréciées par la base des socialistes français. Gerhard Schröder a surtout autorisé une très forte dualité du marché du travail. En Allemagne, vous avez des gens qui travaillent dans la grande industrie, qui sont qualifiés, syndiqués, bien payés et qui votent social-démocrate, pour grossir un peu le trait. Et vous avez tous les autres, qui travaillent dans les services à basse valeur ajoutée, et au niveau de la rémunération et des conditions de travail cela peut vite être n’importe quoi… On en avait un peu parlé lors de la crise agricole en France, quand les éleveurs de porc bretons ont affirmé que les conditions de travail et de rémunération dans les abattoirs en Allemagne étaient tellement difficiles qu’ils sont très compétitifs (exemple du travailleur polonais payé trois euros de l’heure…). La base des militants socialistes français n’est pas d’accord avec cette dualisation marquée du marché du travail, car il y a une préférence française pour l’égalité et le respect des travailleurs. En France, vous ne pouvez pas dire que le travail de quelqu’un ne vaut rien. Cela ne passe pas, et en particulier à gauche. Par ailleurs, on voit aujourd’hui en Allemagne que la politique Schröder n’est peut-être pas si bien que cela. Il y a certes moins de chômeurs, mais il y a plus de pauvres qui travaillent. Et ils sont en train de créer un salaire minimum. La technique pour baisser le chômage est toujours la même : si vous permettez de payer les travailleurs très faiblement, ils finiront bien par trouver un travail. Mais c’est un job qui ne leur permettra pas de vivre. Et ça, ça ne passe pas en France. La stratégie ne peut pas être gagnante pour François Hollande.

Jacques Julliard :Je ne suis pas sûr qu’il ait vraiment cette intention de réformer le Parti socialiste idéologiquement. Ce glissement libéral est un grand classique. François Mitterrand a fait exactement la même chose, Pierre Bérégovoy était aussi libéral qu’Emmanuel Macron. Simplement, la situation était moins dégradée, et François Mitterrand, qui était un grand politique, a réussi à maintenir un certain niveau d’adhésion de l’opinion publique. François Hollande est un pragmatique qui considère désormais, comme tout président de la République, son parti comme l’un des instruments de sa politique. Cet égoïsme est propre à tout homme qui entre à l'Elysée... Par définition, tout ce qui gravite autour de lui ne peut avoir qu'un seul objectif : l'aider, lui, en tant que président de la République.

A un an de la fin de son quinquennat, François Hollande a-t-il les ressources suffisantes pour renverser la tendance ?

Christophe Bouillaud : En ce mois de février 2016, on peut se demander comment il va s’en sortir, surtout qu’il y a une grande incertitude avec le taux de chômage. Il devrait normalement plafonner, voire baisser un tout petit peu, mais si la crise économique repart de plus belle, il pourrait de nouveau augmenter. Il faudrait alors que François Hollande agisse au niveau européen pour obtenir une vraie relance européenne qui permette d’éviter une explosion du chômage. Mais si face à cette crise, il a la même attitude attentiste qu’il a eue jusque-là, il n’a aucune chance… Aux yeux de beaucoup de Français, sa candidature apparaîtra comme illégitime.

L’autre hypothèse, c’est que la situation au Moyen-Orient rende l’élection de 2017 très particulière. Si elle évolue en guerre générale, est-ce que les Français voudront changer de Président au milieu de la bataille… ?

Ce sont des plans sur la comète, l’élément essentiel restant la maîtrise du chômage. S’il n’est pas capable de le faire baisser, ce sera compliqué. Il s’y est pris très mal. Par exemple, sur la formation professionnelle, il est extraordinaire de voir à quel point ce sujet absolument central a été très mal traité à plusieurs reprises. On savait depuis 2012 au moins qu’il fallait faire quelque chose, et le plan d’urgence pour la formation n’arrive qu’en 2016. Les axes de priorité ont décidément été très mal choisis…

Jacques Julliard : La gauche est profondément minoritaire. La logique qui, actuellement, se dessine est la suivante : la droite – majoritaire en France – s'apprête à gagner la prochaine présidentielle, quand bien même il est difficile de déterminer la forme exacte de cet événement. Néanmoins, cette droite demeure très divisée. C'est là la force de François Hollande : il est tout à fait capable de mettre à profit les circonstances. L'édition du Monde du 9 février 2016 publie un sondage dans lequel il est frappant que François Hollande dispose encore d'un socle de 19 à 20%. Pour se qualifier pour le deuxième tour, il lui manque donc entre 5 et 6 points. Combler cet écart n'est pas inimaginable : cela dépendra beaucoup des électeurs centristes dont on ignore encore la réaction. Selon la personnalité du candidat opposé à François Hollande au premier tour, cette dernière pourrait beaucoup varier.

François Hollande n'a pas trouvé comment séduire les électeurs. Le rapport entre un Président et son peuple relève d'une alchimie assez mystérieuse. Comme pour le coup de foudre en amour, s'il n'a pas lieu au début, il n'aura pas lieu du tout. C'est parce que François Hollande a raté la première année de son quinquennat qu'il continue de souffrir de ce déficit de crédibilité.

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