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Et encore une mauvaise nouvelle... La guerre des changes a commencé et la zone euro a tout à y perdre
©Rueters

Aux abris !

Alors que les membres de la Réserve fédérale des Etats-Unis changent leur fusil d'épaule en se montrant moins affirmatifs concernant la poursuite de leur stratégie de resserrement monétaire, les membres de la Banque du Japon, comme de la Banque centrale européenne se disent également prêts à agir. De leur côté, les autorités chinoises sont en embuscade. La guerre des monnaies peut commencer.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Depuis le début de cette année 2016, les déclarations des différentes grandes banques centrales semblent de plus en plus agressives. Ceci aussi bien de la part du Japon, de l'Europe ou des Etats-Unis. Cette montée en puissance de discours plaidant en faveur de toujours plus de relance marque-t-elle le début d'une guerre des monnaies au niveau mondial ?

Philippe Waechter : Je ne qualifierais pas les banques centrales d’agressives. Il y a plutôt une interrogation sur la façon dont l’économie mondiale se construit jour après jour. Les autorités monétaires des grands pays s’interrogent sur la capacité de l’économie à retrouver de la croissance avec la possibilité d’un taux d’inflation durablement positif. L’économie ne converge pas vers la dynamique cyclique que l’on avait l’habitude d’observer par le passé. Il faut donc penser l’économie différemment ainsi que les modes de régulation qui peuvent y être associés.

Comme les politiques budgétaires sont en pause parce que chacun, gouvernement et citoyen, est effrayé par le niveau de la dette publique c’est à la politique monétaire de couvrir l’ensemble des régulations. Draghi d’ailleurs appelle de ses voeux et depuis longtemps une politique budgétaire plus active car la politique monétaire ne pourra résoudre toutes les questions posées. On est, de ce point de vue, toujours dans l’argument selon lequel il faut autant d’instruments que d’objectifs. La croissance et l’inflation sont bien au-dessous de ce qui est souhaité mais seule la politique monétaire est réellement utilisée. C’est pourquoi, face à l’immobilisme de la politique budgétaire, les banquiers centraux sont obligés d’aller bien au-delà de ce qui peut paraître "normal". Ce n’est pas de l’agressivité, c’est juste pour essayer d’éviter une situation encore plus difficile à gérer. Ce n’est pas de la relance au sens où on l’entend habituellement mais c’est une action pour limiter le risque de rupture.

Nicolas Goetzmann : Oui. Mais cette notion de guerre des monnaies ne doit pas être perçue négativement, car plus les banques centrales soutiendront une économie mondiale en phase de ralentissement, plus les risques d’une nouvelle récession seront amoindris. Cependant, il existe bien une problématique. Car il est préférable de ne pas être le dernier à réagir dans une situation où chacun tente d’exporter son propre ralentissement. Il s’agit donc bien d’une course dont l’effet global est positif mais dans laquelle le concurrent le plus lent paiera les pots cassés. Dans une telle configuration, mouvante par essence, une absence de réaction correspond à une action. Lorsqu’un pays soutient son économie par la voie monétaire, il agit sur sa demande intérieure, c’est-à-dire que la consommation et l’investissement vont prendre le relai d’exportations en berne. Cependant, une telle action a, en général, un effet secondaire, qui est la baisse de la monnaie concernée. Ainsi, en supposant que le Japon et les Etats-Unis agissent et que l’Europe s’abstient, les marchés intérieurs japonais et américains seront soutenus, mais cela se traduira par une baisse du yen et du dollar, et ainsi, en conséquence, par une hausse de l’euro. Le résultat est que, sans réaction, le marché européen importera le ralentissement des autres zones économiques. Ainsi, la montée en puissance d’une guerre des monnaies signifie que l’économie mondiale est soutenue, mais qu’il est crucial d’y participer.

Il est également possible de remonter à l’origine du mal. Lorsque les Etats-Unis ont choisi, voici deux ans, de ralentir le soutien monétaire qu’ils apportaient à leur économie, le dollar a logiquement débuté son ascension. Or, la monnaie chinoise est arrimée au cours du dollar, ce qui a donc provoqué une progression du Yuan en parallèle, et le début du ralentissement économique chinois qui, dans un jeu de billard à plusieurs bandes, a fragilisé l’ensemble des marchés mondiaux (matières premières, pays émergents etc…). Lorsque l’on rentre dans le détail de cette opération, on se rend compte que les autorités chinoises "brûlent" leurs réserves de changes accumulées au cours de ces dernières années pour soutenir leur monnaie. Ces réserves ont pu atteindre la somme de 4 000 milliards de $ au plus haut, mais puisque la Chine dépense plus de 100 milliards par mois pour parvenir à garder son ancrage au dollar, le moment de rupture se rapproche. D’autant plus que le FMI recommande au pays de maintenir un niveau de réserve équivalent à 3000 milliards, soit son montant actuel. Ce moment de rupture annoncé est celui ou les autorités chinoises vont laisser entendre que l’arrimage au dollar est de l’histoire ancienne. La guerre des changes sera alors totale, mais pour le bien de chacun, en espérant que tous les acteurs répondent de manière appropriée.

Parmi les différents acteurs, qui sont ceux ayant le plus à perdre dans une telle lutte ? Celle-ci est-elle inégale ? Quelles en seront les conséquences au niveau de l'économie mondiale ? Et concernant l'Europe ? La France ? Qui seront les gagnants et les perdants ?

Philippe Waechter : La question sous-jacente est de connaître la dynamique tendancielle de l’économie globale et de chacune de ses composantes. L’enjeu majeur est ici. Ces tendances sont généralement plus faibles qu’avant la crise de 2008. En d’autres termes, la croissance tendancielle de la zone Euro n’est plus de 2%, comme elle n’est plus à 2% non plus pour la France. Dès lors pour un pays, la question est la définition de sa croissance en tendance et de son positionnement  par rapport à celles de partenaires et concurrents économiques.

Les choses étaient définies par les évolutions passées avant la crise de 2008. L’incertitude provenait alors de l’émergence à l’échelle globale d’un nouveau concurrent. Cela était le cas avec la Chine au début des années 2000. Il y avait eu à l’époque d’intenses discussions entre les Etats-Unis et la Chine pour définir le taux de change entre le dollar et le yuan. La Chine devait se positionner dans un cadre pré-existant.

Aujourd’hui la situation est plus complexe car chaque économie doit se positionner par rapport à ses partenaires et concurrents sans que personne ne connaisse réellement la robustesse de son économie et encore moins celle de ses partenaires et concurrents. C’est pour cela que la situation est complexe.

La guerre des monnaies n’est que le tâtonnement pour essayer de définir un nouveau système de prix (les taux de change) entre les différents pays. Cependant, personne ne connaît a priori la vraie valeur de chaque taux de change. Il en résulte alors forcément de la volatilité, des exagérations et des tensions entre les pays.

La question posée à chaque économie est de définir sa capacité à connaître une relative autonomie. Le monde passé reflétait un cadre au sein duquel il y avait un leader qui tirait l’économie globale. Actuellement personne n’a cette capacité et chaque pays ou zone économique doit caler sa croissance sur ses forces et sur sa capacité à effectivement mettre en place une croissance robuste.

Nicolas Goetzmann : Les acteurs qui ont le plus à perdre sont ceux qui sont les plus fragiles dans la conjoncture actuelle. Clairement, l’Europe. Les Etats Unis ont un taux de chômage de 5%, le Japon 3%, alors que l’Europe est toujours en prise avec un taux de chômage supérieur à 10%. La différence est fondamentale entre des zones économiques qui sont d’ores et déjà sorties de la crise et une Europe qui y reste embourbée depuis 2008. En toute logique, l’Europe devrait avoir la politique la plus agressive pour s’en sortir, mais dans la réalité, pour le moment, cela est bien différent. La zone euro ne peut se payer le luxe d’un nouveau ralentissement, ceci aussi bien d’un point de vue économique que politique. Inversement, les banques centrales japonaises et américaines semblent désormais rodées, car leur réactivité est réelle. Il est cependant utile de souligner que la Banque centrale européenne n’est pas non plus restée muette pour le moment, sous l’impulsion d’un Mario Draghi qui tente de faire évoluer la vision monétaire historique, dramatique, de son institution.

D’autant plus que certains membres de la BCE pourraient voir dans la configuration actuelle le moyen de faire perdurer la stratégie économique désastreuse qui a dominé la zone euro lors de ces dernières années. C’est-à-dire la stratégie du cavalier solitaire. En l’espèce, les autorités européennes ont fait le pari d’affaiblir volontairement leur marché intérieur, ce qui permet de réduire les importations, et de profiter de la bonne santé des autres économiques pour exporter un maximum. Le résultat est une balance commerciale apparemment flatteuse, mais celle-ci est plus le résultat de la faiblesse du marché intérieur européen que d’autre chose. Une reprise économique des marchés extérieurs pourrait être l’occasion de continuer cette stratégie, mais celle-ci se fera au détriment du marché du travail européen. De plus, les autres zones économiques ne verront pas cette tactique d’un bon œil, car celle-ci suppose de profiter des efforts des autres, sans lever le petit doigt pour participer à l’effort global.

La zone euro a-t-elle réellement les moyens de faire face à un tel contexte ? Ceci aussi bien du point de vue conjoncturel qu'institutionnel ?

Philippe Waechter : La dynamique de la zone Euro est conditionnée par sa capacité à synchroniser le cycle de chacune de ses économies. Par le passé, la cohérence du cycle économique permettait d’avoir une économie plutôt robuste. Depuis l’épisode malheureux des politiques d’austérité à partir de 2011, les cycles sont très désynchronisés. La BCE, depuis l’arrivée de Mario Draghi, cherche à changer la donne et faire en sorte que les économies aillent à peu près dans le même sens. C’est un moyen de gagner en autonomie de croissance tout en se donnant la capacité de résister à d’éventuels chocs provenant de l’extérieur. Il faudrait pour y faire davantage face que la politique budgétaire soit plus volontariste. On attend depuis de nombreux mois la mise en place du plan Juncker sur l’investissement. C’est trop long. La zone Euro peut avoir les moyens d’une croissance plus autonome. Il faudrait néanmoins que cela ne repose pas uniquement sur les épaules du banquier central. C’est trop pour lui.

Nicolas Goetzmann : De tels échanges, entre grandes banques centrales, nécessitent deux choses d’un point de vue institutionnel. D’une part, des personnalités compétentes pour occuper les sièges des gouverneurs, et ici, l’Europe a un gros train de retard, et d’autre part, un cadre statutaire suffisamment souple permettant aux institutions d’agir dans les plus brefs délais. Là aussi, l’Europe souffre d’un large manque. Au Japon, où la Banque centrale travaille officieusement avec le pouvoir politique, la réactivité est forte. Haruhiko Kuroda, Président de la  Bank Of Japan a mis fin à une longue tradition japonaise de pantouflage monétaire. Son interview dans le Financial Times, publié voici une semaine, était claire à ce sujet. Il agira "sans limite". Du côté des Etats Unis, qui est la pièce maîtresse de l’édifice de cette "guerre des monnaies", l’équipe en place a pu donner quelques frayeurs, mais la réaction de deux de ses membres, Stanley Fisher et William Dudley, au cours de la semaine passée, a rectifié le tir. Alors que les précédentes annonces américaines faisaient état de la possibilité de quatre épisodes de resserrement monétaire au cours de l’année 2016, cette perspective est aujourd’hui abandonnée. La conséquence a été de voir le dollar connaître une très forte chute au cours de cette semaine. Et par voie de conséquence, une belle progression de l’euro.  Concernant l’Europe, seule la présence de Mario Draghi est réellement rassurante, mais ses tentatives d’action sont fortement contestées par les membres des pays du nord de l’Europe, Allemagne en tête. Le Président de la BCE est donc amené à lutter aussi bien au niveau mondial qu’à l’échelon interne. Il doit donc être soutenu sur le plan politique.

D'un point de vue national, comment les autorités françaises peuvent-elles influer ? En ont elles seulement le moyen ? N'existe-t-il pas un écart entre un débat politique national qui se concentre sur des mesures qui n'auraient que peu d'effets alors que les questions "sérieuses", de plus grande ampleur, se régleraient à l'échelon des banques centrales ?

Philippe Waechter : La dynamique nationale doit s’inscrire dans une logique plus large qui est celle de l’Europe et de la zone Euro. De l’Europe car il y a de nombreuses questions qui ne peuvent se résoudre qu’à cette échelle - je pense à la question des réfugiés. De la zone Euro car c’est notre cadre économique immédiat. Il faut sur ce plan une dynamique cohérente entre les pays de la zone. Cela ne veut pas dire que chacun doit faire la même chose car les atouts ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Mais il faut créer les conditions pour que les économies évoluent à des rythmes et des allures cohérents. C’est cela le rôle des gouvernements. Dans un cadre plus unifié le gouvernement doit être en capacité de le faire. C’est pour cela qu’un gouvernement de la zone Euro est souhaitable via une plus grande intégration européenne. Si cela n’est pas possible alors chaque gouvernement doit s’intégrer dans une logique plus large que la sienne et faire de telle sorte que son action s’inscrive dans la dynamique de la zone Euro.  

L’articulation avec les banques centrales doit s’inscrire dans une relation dynamique et équilibrée et non pas une logique de leader et de suiveurs. Celle-ci est le cadre actuel mais en plus complexe parce que les gouvernements ne souhaitent pas être suiveurs. Pourtant l’absence de politique budgétaire volontariste les cantonne dans ce rôle. La complexité de la construction européenne se lit dans ces relations souvent difficiles.

Nicolas Goetzmann : Pendant que le débat politique français se focalise sur la dégressivité des allocations chômages, de grandes actions monétaires se mettent en place à coup de milliers de milliards de dollars. Ce qui provoque un effet de sidération tant le décalage entre efforts, temps consacré et résultats est immense. Le pouvoir en place, François Hollande en l’occurrence, ferait bien mieux de soutenir l’action de Mario Draghi, et de provoquer un débat européen sur le rôle attribué à la Banque centrale européenne plutôt que de s’attarder à des mesures qui n’auront qu’un effet marginal à long terme sur la situation économique du pays. Il s’agit de donner le pouvoir à la BCE d’agir de la même façon que la FED, c’est-à-dire de lui donner les moyens d’une plus grande réactivité, et surtout, d’une plus grande latitude de mouvement. Ce qui passe par une refonte du mandat de Maastricht, en mettant un objectif de plein emploi sur le même rang de priorité que la recherche de la maitrise des prix. La question des hommes et des femmes qui composent le conseil des gouverneurs se posera également, mais il s’agit là d’une opération de transformation au long cours. Mais le contexte actuel est révélateur; pendant que les gouvernements nationaux jouent aux billes avec des débats vides de sens les grandes personnes (les banquiers centraux) agissent. Il est temps de voir le pouvoir politique s’intéresser de plus près au rôle de la monnaie. 

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