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Nicolas Sarkozy veut aller chercher les électeurs FN : mais concrètement, quel est le mode d’emploi ?
©Reuters

Danse du ventre

Alors qu'il était l'invité de Des Paroles et Des Actes ce jeudi 4 février, Nicolas Sarkozy s'est exprimé à l'égard d'un électeur FN à qui il a annoncé "vouloir aller le chercher". Néanmoins, la solution n'est pas si simple, même pour pour d'autres que l'ancien Président, qui a beaucoup déçu cet électorat après les promesses de 2007.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Ce jeudi 4 février, invité de Des Paroles et Des Actes sur France 2, Nicolas Sarkozy a annoncé à un électeur FN "vouloir aller le chercher". Concrètement, quels sont les secrets permettant de séduire un électorat FN ?

Christophe Bouillaud : C'est tout le problème : il n'existe pas de solution connue, aujourd'hui, pour reconvertir un électorat radicalisé et qui a gagné le Front National. La fidélisation à ce parti ne se fait pas sans un passage particulier et demeure difficile – il faut accepter de passer du "mauvais côté" de la barrière ; du côté de l'illégitimité. Néanmoins, une fois que le pas est fait, que l'électeur est fidélisé au FN (il ne s'agit pas de voter une fois Front National en guise de protestation), il devient très difficile de le faire revenir sur son engagement. Cette fidélisation est difficile, mais durable et elle l'est d'autant plus que la situation qui a provoqué ce passage ne change pas, ou alors s'aggrave. La crise des migrants, la menace terroriste, le chômage et les différents problèmes économiques que traverse la France aujourd'hui ne vont pas en s'améliorant, contribuant à fournir des raisons pour rester frontiste (le passage du "mauvais côté" de la barrière n'a finalement pas énormément d'impact, comme c'était le cas par le passé quand un électeur passait au Parti Communiste). De facto, il existe donc peu de ressorts sémantiques pour convaincre un électeur de revenir vers des partis plus traditionnels. En outre, si Nicolas Sarkozy avait réussi à séduire un pan de cet électorat en 2007, il l'a également déçu puisque, à leurs yeux, il n'a pas tenu les engagements qu'il avait pris. Ce faisant, il a laissé un sentiment de trahison, qui rejaillit sur potentiellement l'ensemble des personnalités de droite tentant de ramener à eux l'électorat frontiste.

Jusqu'où Nicolas Sarkozy – ainsi que LR – se retrouvent face à la nécessité de se transformer en outsiders pour être crédibles aux yeux des électeurs FN ? Que dire du parti de Marine Le Pen ?

Jérôme Fourquet : La situation des Républicains, mais aussi du FN, traduit clairement la diversité de la France. Les partis politiques représentent et défendent les intérêts et les opinions de certaines franges, certains groupes de la société française. Mais, quelque part, cette diversité implique nécessairement que chaque parti joue dans son propre couloir. Dès lors, il devient compliqué pour chaque formation politique de prétendre représenter une majorité de Français. C'est, par ailleurs, tout l'objet du séminaire du Front National qui se tiendra le week-end du 6 et du 7 février. S'ils disposent encore de quelques marges de progressions, celles-ci ne devraient pas les emmener beaucoup plus loin que la barre des 30%. Aspirer à plus me paraît tantôt audacieux, tantôt compliqué : la seule façon qui pourrait leur permettre de combler ce différentiel jusqu'à atteindre 50% de l'électorat réside dans un système d'alliance. Nicolas Sarkozy se trouve dans une situation comparable. L'électorat de droite continue d'exister en France et, sur certains aspects, se rapproche beaucoup de celui du Front National. Sur d'autres, comme la priorité accordée aux questions économiques, il en est très différent. Du fait de la question identitaire et de la menace sécuritaire, une part de cet électorat est parti au FN.

Aspirer à faire la synthèse de ces deux électorats sur son propre nom, tant pour Nicolas Sarkozy que pour le Front National, me semble illusoire. Certes, ils se recoupent en partie, mais demeurent très éloignés sur une majorité de questions. Rassembler tous ces électeurs est très complexe. Nicolas Sarkozy adopte aujourd'hui une attitude comparable à celle qu'il avait adoptée durant l'entre-deux tours de 2012, déjà similaire à celle adoptée en 2007 et auparavant. L'objectif étant de taper violemment sur les leaders du Front National tout en s'adressant à ses électeurs. Et pour cause : toute une partie de son électorat est parti, ou est tenté de le faire, pour gagner le Front National. Il est donc primordial de parvenir à le retenir, comme Nicolas Sarkozy avait su le faire en 2007. Pour cela, il faut être crédible dans sa volonté de rupture, d'application de solutions énergiques. Cela se complique particulièrement après l'exercice du pouvoir.

En 2007, Nicolas Sarkozy avait su rallier à lui les électeurs FN. En revanche, en 2012, le Président sortant n'a pas su transformer l'essai. Quelles leçons peut-il tirer, tant de son échec que de sa réussite ?

Jérôme Fourquet : Le discours de Nicolas Sarkozy a très bien fonctionné en 2007. La politique qu'il a menée, en revanche, n'était pas en ligne avec les promesses qu'il a formulées. Dès lors cet électorat, et d'autres, sont partis, voire repartis. Ils étaient déçus.

De là une question lancinante nait à droite sur l'attitude qu'il convient d'avoir vis-à-vis du Front National. Faut-il mordre sur ses thèmes et jouer la concurrence – au risque de les faire monter – ou à l'inverse partir sur un registre très différent. Le débat est encore ouvert, jusqu'à présent et la réponse est loin d'être évidente.

En revanche, décider de jouer sur ce terrain, de faire des promesses et de ne pas les tenir ne peut mener qu'à la déception et à la montée du Front National. Ne pas le faire consiste à placer ces thématiques dans le débat politique, à faire naître des espoirs et à ensuite les décevoir. C'est, concrètement, faire le jeu du Front National.

C'est un problème auquel est confrontée toute la droite et pas uniquement Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, cela ne concerne pas que l'électorat FN. Dans de nombreux, si pas tous, meetings de droite, l'électorat traditionnel revient régulièrement sur la question des 35h, par exemple, et des autres promesses énoncées sans avoir été tenues. C'est la question centrale : comment persuader et convaincre les différents électorats de droites – partis vers le FN, qui ne votent plus, etc. Beaucoup sont déçus, se sentent trahis par une droite qu'ils estiment avoir promis beaucoup mais pas fait autant, finalement.

Qui sont aujourd'hui les électeurs Front National ? Peut-on encore dresser un portrait type ?

Jérôme Fourquet : Le FN regroupe 28% des voix. Nécessairement, son électorat se diversifie et devient plus difficile à représenter. Néanmoins, pour aller dans les grandes masses et sans faire de portrait-robot, il est possible de revenir sur la population la plus représentée au sein de l'électorat FN.

Globalement, il s'agit d'un électorat plus représenté dans les milieux populaires, ouvriers, employés, commerçants ou artisans. En matière de tranche d'âge, on rencontrera essentiellement des gens de 35 à 49 ans : les actifs susceptibles de cumuler le plus de facteurs de fragilités. Emprunts immobiliers, carrière à construire, enfants à nourrir… Ces charges ont tendance à produire un discours anti-assistanat plus important que dans d'autres classes sociales, comme chez les retraités. En termes de genre, en dépit d'un ré-équilibrage réel, l'électorat FN est plutôt masculin. Enfin, on rencontre le plus souvent cet électorat dans la périphérie d'une ville. Bien entendu, tout cela ne signifie pas que l'électorat FN ne peut pas sortir de cette classification : il ne s'agit que de revenir sur la population la plus représentée au sein des électeurs votant pour le Front National.

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