Opération américaine en vue contre l’Etat islamique en Libye : une mission a priori nettement plus gérable qu’en Syrie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Opération américaine en vue contre l’Etat islamique en Libye : une mission a priori nettement plus gérable qu’en Syrie
©Reuters

Good morning Tripoli

Une fois de plus, les espoirs de voir émerger un gouvernement d'union nationale en Libye se sont évaporés en début de semaine dernière. L'impasse politique semble d'autant plus inquiétante au regard de la menace que fait peser l'EI sur le pays mais aussi sur la région. Les risques liés à cette situation poussent les USA à envisager une intervention en Libye.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Atlantico : Beaucoup de va et vient ont été enregistrés ces derniers jours au Pentagone et dans les milieux militaires américains alors que l'idée d'une intervention contre l'EI en Libye semble se préciser. Ceci faisant suite à l'échec de la formation d'un gouvernement d'union nationale Des sources hauts placées affirment que cette campagne pourrait débuter d'ici quelques semaines avec l'aide des Français, des Britanniques et des Italiens. S'agit il d'une simple menace ou d'un scénario aujourd’hui crédible ?

Alain Rodier :Il est vrai que les déclarations bellicistes se succèdent aux Etats-Unis faisant part d'une possible intervention militaire en Libye pour y juguler le danger que représente Daesh dans ce pays, et plus généralement pour tous les pays voisins. Nous sommes face à ce que l'on a appelé par le passé le "Grand Jeu" qui est destiné à tenter de trouver des solutions à la crise qui prévaut en Libye depuis l'intervention occidentale de 2011.

L'objectif semble être d'abord politique (et la solution ne pourra qu'être politique mais, il est vrai, en passant par une phase militaire qui paraît de jour en jour plus indispensable). La création d'un "gouvernement d'unité" qui avait été concoctée sous l'égide des Nations Unies a été repoussée par le parlement de Tobrouk. A la limite, il aurait été compréhensible que le parlement de Tripoli contrôlé les Frères musulmans refuse l'accord obtenu à grand peine après de longues tractations, mais là, c'est un véritable camouflet infligé à la communauté internationale qui avait reconnu le parlement de Tobrouk (et pas celui de Tripoli)  dont une bonne partie des membres vivent aujourd'hui confortablement en dehors du pays. Les déclarations martiales de Washington sont peut-être destinées à ramener ce parlement légalement reconnu internationalement à revenir à une attitude plus responsable.

Toutefois, il ne faut pas se faire d'illusions. Le passage par une phase militaire sera indispensable pour éradiquer Daesh de la région. Si le "gouvernement d'unité" est créé, cela lui permettra de demander officiellement une aide internationale armée pour combattre le Groupe Etat Islamique (GEI) comme on appelle aujourd'hui Daesh afin de ne pas lui reconnaître un statut d' "Etat". La "légalité" de l'intervention militaire sera alors assurée. Bien sûr, une décision du Conseil de sécurité de l'ONU pourrait dès à présent préconiser une intervention internationale mais le précédent de 2011 a échaudé deux de ses membres permanents: la Russie et la Chine qui ne sont pas disposés à donner leur accord ni à s'abstenir. Il faut dire que le mandat avait dépassé largement le cadre qui lui avait été fixé (de la protection des populations civiles, on en était arrivé à la volonté délibérée de renverser le régime du colonel Kadhafi pour d'obscures raisons qui n'avaient plus grand chose à voir avec la "morale"). 

Face à la situation politique qui a permis à l'EI de s'implanter en Libye, les USA ont-ils vraiment abattu toutes leurs cartes pour qu'une intervention s'impose comme la seule option restante à la pacification de la Libye?

l n'y en a pas vraiment d'autres hormis les tractations et les jeux d'influences qui peuvent être menés discrètement. Le parlement de Tripoli est soutenu à bout de bras par la Turquie et le Qatar (eux même sous influence des Frères musulmans). Là aussi, des accords "gagnants - gagnants" peuvent être négociés. Comme par hasard, la Turquie s'est vue soutenue par Washington dans sa politique menée actuellement  vis-à-vis du PKK. A peine si les Etats-Unis lui ont demandé de faire un petit effort supplémentaire pour mieux contrôler sa frontières avec la Syrie (celle où les voisins d'en face sont le Groupe Etat Islamique). Cette "modération" est peut-être le fruit de tractations plus larges qui englobent ce qui se passe en Libye. Quant au Qatar, cela fait un certain temps qu'il a modéré sa politique étrangère sous la pression de l'Arabie saoudite.  

Une guerre secrète a aujourd'hui lieu en Libye. Des forces spéciales US y sont présentes en permanence et on ne sait pas trop ce qu'elles y font (vraisemblablement des reconnaissances et du renseignement). Les Français surveillent la frontière sud avec le Niger. Le Tchad fait de même pour sa partie. Pour l'anecdote, cela commence à embarrasser les contrebandiers institutionnels qui sont obligés d'emprunter d'autres routes pour acheminer leurs différents trafics (drogues, êtres humains, etc.). Enfin, des contacts auraient eu lieu entre des émissaires militaires américains, français, anglais, italiens et des responsables de l'armée légale et des milices de la région de Tripoli pour prévoir l'arrivée de forces étrangères. Les Libyens ont fait état de leurs besoins en armements mais ils ne pourront être livrés que lorsque l'embargo aura été levé, c'est-à-dire juste après la constitution d'un "gouvernement d'unité". 

L'idée d'une intervention militaire en Libye se pare d'incertitudes quant à la situation qui prédomine dans la région. Ce conflit peut-il dégénérer et dépasser le cadre de la Libye? Ou, plus simplement, permettre à Daech d'agréger d'autres forces à son combat en Libye ?

Militairement, l'affaire est jouable. Daesh occupe une portion de terrain autour de Syrte, certes importante mais géographiquement relativement bien déterminée. Les forces américaines constituées par la 6° flotte dont le QG se trouve à Naples peuvent être appuyées par des appareils décollant des bases italiennes, françaises ou même espagnoles. Si l'Europe est près de la Libye, ce qui représente un risque, l'inverse est vrai: les côtes libyennes sont à portée des bases militaires sud-européennes.  Elles pourraient être appuyées par ces pays logistiquement et même opérationnellement. Ensuite, une force de débarquement est toujours possible d'autant que les djihadistes de Daesh sont estimés à environ 3000. En dehors de Syrte et de quelques autres agglomérations, il n'y a pas de zone particulièrement favorable à la guérilla.

Le principal problème est que cette intervention ne doit pas être assimilée par les populations et par les autres milices comme une agression des "croisés". Il convient donc d'y associer des pays arabo-musulmans ce qui nécessite d'âpres négociations en amont (toujours le fameux "Gand jeu"). Enfin, sur qui s'appuyer en Libye même? L'armée "légale" actuellement dirigée par le controversé général Haftar mais soutenu par l'Egypte, et quid des milices "Aube de la Libye" fidèles à Tripoli, à moins que la Turquie et le Qatar ne les convainquent d'aller dans le sens du vent sous peine de ne plus recevoir de soutiens! Et ensuite, il y a les tribus Toubous et touarègues du Fezzan (sud de la Libye). Des négociations seront là aussi obligatoires et, traditionnellement, elles risquent d'être longues.

Il est vrai que Daesh a également des implantations dans des villes côtières dans les régions de Tripoli, de Benghazi et à Derna mais si le noyau central de Syrte tombe, elles pourraient être relativement rapidement neutralisées par des milices locales. De toutes façons, le solution finale ne pourra qu'être politique et cette fois, il convient de prévoir la gestion de l'après conflit, ce qui n'a pas été fait en 2011. Et pour cela, on en revient à la constitution dès que possible d'un "gouvernement d'union"  qui aura les moyens de se faire respecter par tous... Dur, dur !  

Sur le plan politique, Obama semble pressé de régler ce dossier, quitte à outre passer les autorisations du Congrès pour rentrer en guerre. Ne voit-on pas dans cet empressement le vol en éclat de la Doctrine Obama ? 

La doctrine Obama du début de son premier mandat (qui lui a valu le prix Nobel de la Paix) est depuis longtemps caduque. Il est vrai que le déroulé des évènements l'a forcé à changer sa politique. Il réalise qu'il faut éteindre le foyer libyen avant qu'il ne contamine tout l'espace environnant. Plus facile à dire qu'à faire! Les Américains ont certes des moyens importants, mais ils commencent aussi à être engagés aux quatre coins de la planète sans parler des menaces qui pèsent en Extrême-Orient (Chine, Corée du Nord). Et pour répondre complètement à votre question: vous en connaissez beaucoup de dirigeants qui ont tenu les promesses qu'ils ont faites pour se faire élire? 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !