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"Musulman peut-être mais Français d’abord" : pourquoi le FN n’a pas grand chose à attendre de son offensive pour récolter le vote d’origine immigrée
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Trompe l'oeil

Le Front National vient de lancer son 7e collectif baptisé "Banlieues patriotes" qui vise à faire la part belle à l’électorat des quartiers défavorisés, dont les musulmans. A l'automne dernier, en Seine-Saint-Denis le FN avait ainsi pu distribuer des tracts indiquant "Musulmans peut-être mais Français d'abord".

Antoine Jardin

Antoine Jardin

Antoine Jardin est chercheur associé au Centre d'études européennes de Sciences Po. Jeune docteur, il a soutenu sa thèse intitulée "Voter dans les quartiers populaires : dynamiques électorales comparées des agglomérations de Paris, Madrid et Birmingham" le 5 décembre 2014.

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Sylvain Manternach

Sylvain Manternach

Sylvain Manternach est géographe-cartographe, formé à l’Institut français de géopolitique, et auteur d'une note sur les résultats du second tour des élections départementales co-écrite avec Jérome Fourquet, Directeur du département Opinion et stratégie d'entreprises de l'Ifop. Parmi ses publications, on retrouve notamment : Perpignan, une ville avant le Front (avec Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg, Fondation Jean Jaurè), Karim vote à gauche et son voisin vote FN (collectif sous la direction de Jérôme Fourquet, éditions de l'Aube), L'an prochain à Jérusalem (avec Jérôme Fourquet, éditions de l'Aube). Prochainement, une double note de Sylvain Manternach (avec Jérôme Fourquet) sur la crise migratoire à Calais et la très nette augmentation du vote FN, paraîtra à la Fondapol. 

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Atlantico: Quelles sont les évolutions notables du vote de banlieue depuis 2012 ?

Sylvain Monternach : Si par « vote de banlieue », vous entendez « vote des quartiers » c’est-à-dire des grands ensembles (HLM ou copropriétés dégradées donc peu coûteuses à l’achat ou à la location) et où la population issue de l’immigration maghrébine et africaine subsaharienne est nombreuse, alors depuis 2012, on a assisté à une très forte démobilisation de cet électorat.

Lors de l’élection présidentielle, François Hollande a été véritablement plébiscité dans ces quartiers. Même s’ils ne constituent qu’une portion des électeurs de cette banlieue, le vote des français de religion musulmane est éclairant concernant la tendance électorale de ces quartiers des grands ensembles. Ainsi, les électeurs de confession musulmane ont déclaré avoir voté à 57 % pour François Hollande au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012 soit 28 points de plus que l’ensemble des français. Lors de ce même tour, ils ne sont que 7 % à voter Nicolas Sarkozy et 4 % à voter Marine Le Pen et lors du 2e tour, François Hollande recueille même 86 % des suffrages de cet électorat[1]. C’était en partie un vote anti-Sarkozy, mais pas seulement. La déception qui suivra et la démobilisation des électeurs de ces quartiers lors des élections majeures de 2014 (municipale puis européenne) en attestent, il y a eu une adhésion et un grand espoir avec l’élection de François Hollande. Cette démobilisation a encore amplifiée les vagues bleue et bleue marine observées lors des élections municipale puis européenne.

Avec Jérôme Fourquet ou plus précisément sous sa direction, nous avons montré dans « Karim vote à gauche et son voisin vote FN » combien l’abstention était corrélée à la présence plus ou moins grande d’électeurs issus des mondes arabo-musulmans, que ce soit lors de l’élection présidentielle de 2012 ou lors des élections de 2014. Et si la participation lors d’une élection présidentielle est historiquement beaucoup plus forte que lors d’élections municipale ou européenne, la baisse de la participation a été nettement plus grande dans ces quartiers. Le cas de Marseille en est une parfaite illustration. Dans les bureaux de vote où François Hollande était crédité d’un fort soutien (plus de 65 % des suffrages exprimés au 2e tour de la présidentielle) le différentiel de participation est tel entre les quartiers à forte présence immigrée et les quartiers à faible présence immigrée que Patrick Mennucci « perd » 4,2 points par rapport à François Hollande au 1er tour de l’élection municipale dans les bureaux où l’on trouve de 0 à 11 % de prénoms arabo-musulmans sur les listes électorales alors qu’il « perd » 26,7 points dans les bureaux où ce sont 50 % et plus de prénoms arabo-musulmans qui ont été recensés. La linéarité de cette variable montre combien le manque à gagner pour la gauche dans ces zones de force a été important. Des logiques identiques ont été constatées dans les autres villes étudiées (Toulouse, Roubaix, Mulhouse, Aulnay-sous-Bois, Creil, Perpignan).

[1] Karim vote à gauche et son voisin vote FN, éditions de l’aube/Fondation Jean Jaurès, p. 28 et 29. http://www.jean-jaures.org/Publications/Livres/Karim-vote-a-gauche-et-son-voisin-vote-FN

Bastions de gauche : les pertes de Patrick Mennucci au premier tour des municipales au regard du score de
François Hollande au premier tour de la présidentielle en fonction de la proportion de
prénoms musulmans sur les listes électorales du bureau de vote.

En Île-de-France, lors de l’élection régionale 2015, on a enregistré une remobilisation plus forte qu’ailleurs dans ces quartiers, à la fois au 1er tour (en comparaison de l’élection européenne de 2014) mais également entre les deux tours. Si la participation y reste plus faible que dans le reste de l’Île-de-France, les thématiques et polémiques de la campagne francilienne ont fortement contribué à remobiliser cet électorat[2], le fait que la Seine-Saint-Denis soit le département francilien dans lequel la participation a le plus progressé en est l’illustration parfaite.

Antoine Jardin : Le vote FN progresse légèrement dans les banlieues depuis 2012 si l'on regarde son score en pourcentage des suffrages exprimés. Mais cette évolution a la hausse se retrouve partout. De façon générale, le score du FN reste de 15 à 10 points plus faible en banlieue que dans le reste du pays. Par ailleurs, la progression du vote FN dans les banlieues est moins rapide que dans d'autres espaces comme les zones populaires péri-urbaine.

En Seine-Saint-Denis, le FN perd environ 15 000 voix entre 2012 et les régionales alors qu'il en gagne dans plusieurs régions comme le Nord ou Paca.

Le FN cherche à se rapprocher de ce vote. Les habitants des banlieues pourraient-ils constituer un nouveau réservoir de voix pour le FN ? Quel en est le potentiel ? Peut-on en déduire qu'une partie de la population de culte musulman est aujourd’hui tentée par ce vote, comme semble le croire les tracts du FN «Musulmans peut-être mais Français d'abord» ?

Sylvain Monternach : Est-il vraiment certain que le FN cherche à se rapprocher de l’électorat de banlieue et si oui, de quelle partie de cet électorat cherche-t-il  et a-t-il un intérêt à se rapprocher ?

Il n’est pas inutile de rappeler que les banlieues populaires (laissons de côté les banlieues riches comme l’ouest parisien), ce ne sont pas que les quartiers des grands ensembles où réside une importante population issue de l’immigration ont nous avons abordé une partie des comportements électoraux etqui reste très réticente à voter FN. La banlieue, ce sont aussi des quartiers pavillonnaires qui se caractérisent par un taux de chômage nettement moins fort que dans les cités et par une présence immigrée nettement plus faible également. Dans ces quartiers-là, on vote plus et le Front National réalise de loin ses meilleurs scores de la banlieue. Pour le FN, renforcer son influence dans ces quartiers pavillonnaires sera sans doute plus facile qu’auprès des immigrés de confession ou de culture musulmane. Les deux cartes suivantes d’Aulnay-sous-Bois, tirées de l’ouvrage «Janvier 2015 : le catalyseur[3] » de Jérôme Fourquet et Alain Mergier montrent combien une forte présence d’immigrés issus des mondes arabo-musulmans est un frein au vote FN.


[3]http://www.jean-jaures.org/Publications/Essais/Janvier-2015-le-catalyseur

Aussi, pour le FN le potentiel à court terme auprès des français de culture ou de confession musulmane est faible malgré la capacité du FN à capter un électorat composite voire contradictoire. Encore une fois, toutes les études électorales à l’échelle des bureaux de vote montrent que le FN réalise ses scores les plus faibles dans les quartiers dits sensibles où la population de culture ou de confession musulmane est la plus nombreuse. Cet électorat joue même un rôle majeur pour faire barrage au FN comme à Perpignan lors de la municipale 2014 opposant la droite au FN lors du 2e tour. 

Antoine Jardin : Il faut d'abord rappeler que tous les électeurs de banlieues ne sont pas musulmans, loin de là. De plus, beaucoup d'électeurs musulmans ne vivent pas en banlieue. Le lien est donc hasardeux. Le FN a longtemps cherche a mobilise les français natifs contre les immigrés dans les banlieues françaises, avec un certain succes dans les années 1990. Mais aujourd'hui la démographie des banlieues a changé. Il y a davantage de descendants de migrants que d'immigrés en France. C'est une partie de cet électorat que le FN peut tenter d'attirer, en affirmant son soutien à des régimes autoritaires comme celui de Bachar Al Assad. Tout une partie de l'extrême droite française est historiquement très proche des dictatures du monde arabe. 

Comment le FN peut concilier préférence nationale et vote des banlieues ? Avec une telle stratégie électorale, le FN ne risque-t-il pas de se mettre à dos une partie de son électorat traditionnel, pour qui la question de l’immigration et de l'identités restent prioritaires ?

Sylvain Monternach : Il n’y a pas vraiment de contradiction terme à terme entre préférence nationale et vote des banlieues ni même avec vote musulman. Auprès de ces électeurs qui connaissent des situations précaires sur le marché de travail et/ou qui occupent des emplois à faible valeur ajoutée, le spectre d’une immigration issue des pays de l’est vue comme compétente, peu coûteuse et donc attractive pour le patronat, peut même entraîner une forte adhésion à l’idée de préférence nationale.

En définitive, c’est plus la matrice idéologique du FN qui serait bouleversé dans le cadre d’une réelle stratégie électorale auprès des musulmans. Toutefois, la campagne électorale francilienne nous a donné un avant-goût de ce que d’éventuelles « banlieues patriotes » seraient et en l’occurrence le discours ne s’écarte absolument pas de la ligne du parti naguère dirigé par Jean-Marie Le Pen. L’affiche électorale « Choisissez votre banlieue »(ci-après), dévoilée en même temps que le collectif « banlieues patriotes » était annoncé le 9 novembre 2015, peut-elle être interprétée comme un appel du pied aux électeurs de confession musulmane ?

En quoi la création du collectif « banlieues patriotes » et son casting présenté ce mardi 26 janvier par Marine Le Pen (avec notamment Jordan Bardella (nouveau conseiller régional d’île-de-France, élu en Seine-Saint-Denis comme président du collectif) annonce-t-il une inflexion du discours frontiste sur les banlieues ou un renoncement aux thématiques habituelles du FN (immigration, délinquance, identité…) qui d’ailleurs lui aliénerait une partie de son électorat ?

Antoine Jardin : Le FN peut articuler ces idées par une logique de ressentiments, en déclarant vouloir protéger les immigrés d'hier des immigrés de demain. C'est une méthode qui peut fonctionner lorsque la structure de l'immigration change. On l'a vu dans les démonstrations d'hostilités à l'égard des migrants roms. Mais aujourd'hui, le véritable enjeu est celui des réfugiés syriens. Le Front National cherche a séduire différents groupes pour élargir son électorat, la cohérence de ses positions n'est donc pas sa priorité.

Sa base électorale mobilisée par un discours anti-immigration reste un socle électoral important que le FN ne semble pas en passe de perdre.

Le tabou du FN a t-il sauté dans ces quartiers? Quelles sont les thématiques politiques à l'oeuvre dans cette dynamique ? Que révèle, par exemple, la percée du vote FN dans un quartier comme dans la 7e circonscription de Marseille ? 

Sylvain Monternach : L’élection de Stéphane Ravier à la mairie du 7ème secteur de Marseille est à l’origine du travail entamé avec Jérôme Fourquet pour l’ouvrage « Karim vote à gauche et son voisin vote FN » et comme le titre le résume parfaitement, ce ne sont pas les électeurs des cités des quartiers nord de Marseille qui votent FN mais bien ceux des anciens noyaux villageois et des quartiers pavillonnaires construits depuis les années 80 qui votent massivement pour le FN. L’élection de Stéphane Ravier en 2014 n’est donc pas le signe d’une progression du vote FN parmi les électeurs français de culture ou de confession musulmane et pour le FN, la dynamique actuelle ne se trouve ni dans ces quartiers ni auprès des électeurs issus de l’immigration maghrébine ou africaine.

Cela ne signifie pas que rien ne se passe ou que les idées du FN ne se diffusent pas du tout auprès de cet électorat. Mais tout d’abord, d’éventuelles variations, nettement minoritaires seraient extrêmement difficiles à repérer électoralement, la prochaine élection présidentielle, permettra de faire un point précis sur cette question car de vastes enquêtes de sondage seront menées à cette occasion.

Il faut bien voir que les thématiques du FN si elles entraînent une large adhésion des quartiers à proximité immédiate des cités sont aussi des thématiques incontournables dans ces mêmes cités sans pour autant profiter au FN. La délinquance par exemple empoisonne la vie dans ces quartiers où certains adaptent leurs horaires à ceux des dealers. A Marseille, les électeurs interviewés mentionnent régulièrement l’insécurité comme le point noir de leurs quartiers et vivent les règlements de compte comme une véritable psychose, ce qui est bien naturel quand ces règlements de compte se produisent sur le chemin de l’école ou à côté d’une MJC où ils déposent leurs enfants.

Antoine Jardin : Les années de la présidence de Nicolas Sarkozy ont change le regard des quartiers populaires. C'est le chef de file de la droite qui a été perçu comme la figure négative, davantage que la famille Le Pen qui était a être époque en retrait sur le plan médiatique. De plus, l'électorat des banlieues est plus jeune que celui du reste du pays, il a toujours connu le front National a un niveau élevé et n'a pas forcement une grande mémoire des anciens discours de ce parti. Jean Marie Le Pen est davantage perçu comme le père de Marine Le Pen que la présidente du FN n'est perçue comme son héritière.

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