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Taubira et les 1001 rebondissements possibles avant 2017 : pourquoi gauche et droite vont jouer à la roulette russe comme jamais auparavant
©wikipédia

Sables mouvants

La démission de Christiane Taubira illustre à quel point les cartes peuvent être rebattues dans le temps qu'il reste avant 2017. En effet, il y a peu de chances pour que ce départ ait été voulu par François Hollande, l'annonce ayant été faite le jour de la visite historique du Président iranien Rohani à Paris. Contexte sécuritaire, crise économique, sociale... Beaucoup d'événements peuvent perturber la prochaine présidentielle.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : désormais libérée de sa parole, Christiane Taubira pourrait-elle se présenter en 2017 ?

Vincent Tournier : La candidature de Christiane Taubira en 2017 est effectivement sérieusement relancée. Avec ce départ, c’est donc tout le plan de François Hollande qui s’effondre puisque celui-ci avait manifestement pour objectif de maintenir Christiane Taubira dans son gouvernement jusqu’à la fin de son mandat afin de rendre illégitime sa candidature. Le but était d’éviter de renouveler le drame du 21 avril 2002 lorsque le candidat socialiste (en l’occurrence Lionel Jospin) avait été éliminé à cause du foisonnement de candidatures à gauche. C’est pour cela que Christiane Taubira devait être maintenu coûte que coûte dans le gouvernement, bien au-delà du raisonnable. Elle s’est en effet permis d’adopter des postures qui auraient conduit n’importe quel autre ministre à une démission dans l’heure. On songe notamment à son opposition à la déchéance de nationalité. Sur ce point, elle est tout de même allée très loin puisqu’elle s’est permis d’annoncer elle-même l’abandon de cette promesse du président, laquelle avait tout de même été faite très solennellement devant le Congrès.

De plus, elle fait cette annonce dans un pays étranger, en l’occurrence l’Algérie, envoyant au passage un message assez méprisant aux électeurs français, lesquels soutiennent massivement cette mesure. Pourquoi a-t-elle agi ainsi ? A-t-elle voulu démontrer son statut d’intouchable ? A-t-elle cherché à défier l’exécutif pour provoquer son exclusion et reprendre sa liberté en ayant un bon prétexte ? En tout cas, le résultat est très positif pour elle : elle quitte le gouvernement sans avoir à endosser le bilan de son travail ministériel, et elle a l’image de quelqu’un qui a des convictions, sans oublier sa légitimité auprès de l’électorat de gauche en raison de son rôle dans l’adoption de la loi sur le mariage gay. Avec tous ces éléments, elle représente donc une menace sérieuse pour 2017, elle risque d’attirer une partie des déçus de François Hollande. Ce dernier va avoir plusieurs options : soit inciter Christiane Taubira à rester à l’écart de l’élection en lui concédant des promesses, soit "gauchir" son programme présidentiel avec une proposition forte.   

Jean Petaux : Si la démission de Christiane Taubira n’a sans doute pas été voulue par François Hollande, la Garde des Sceaux a néanmoins été très correcte dans le respect des formes pour rendre publique sa décision. Elle a attendu que le chef de l’Etat soit de retour de son voyage d’Etat en Inde, elle a également démissionné juste avant que le projet de loi n’entre dans la "machine" parlementaire et institutionnelle faisant en sorte que le véritable auteur du texte soumis au vote des parlementaires, le président de la Commission des Lois, Jean-Jacques Urvoas, ait les mains libres pour défendre le texte, avec le départ de Christiane Taubira de la place Vendôme et l’arrivée du député du Finistère.

Celle qui fut Garde des Sceaux de mai 2012 à aujourd’hui se caractérise par le fait qu’elle est totalement libre et qu’elle échappe aux logiques partisanes. Elle l’a montré en 1994 en étant candidate au Parlement européen sur la liste conduite par Bernard Tapie qui rassemblait nombre de "déçus" de l’appareil  socialiste "orthodoxe" ; elle a récidivé bien sûr en 2002 à la présidentielle. Totalement incontrôlable, fondamentalement libre de ses choix, Christiane Taubira peut tout à fait se présenter à la prochaine présidentielle en 2017. Mais c’est peut-être justement parce que nombre d’observateurs ou d’acteur politiques "l’attendent" comme candidate en 2017 qu’elle peut, tout simplement, de ne pas "y aller"… Au nom, justement, de sa liberté !

Crise économique, sociale, possibles attentats... Quels éléments extérieurs participeront-ils à rendre l’environnement politique instable jusqu’au premier tour ? Et quels bords politiques pourraient en bénéficier ?

Christophe de Voogd : Je vous propose de parler en termes de probabilités, la seule dimension accessible à la politique. La démission de Christiane Taubira est en effet très ennuyeuse pour le Président, mais elle était inévitable, donc prévisible. Dans un tout autre ordre d'idées, un nouvel attentat de Daech est dans l'horizon du probable. Toutes les informations récentes des différents services de renseignement vont dans ce sens. Enfin sur le plan économique, les derniers chiffres du chômage montrent que rien n'est gagné, alors même que de sombres nuages s'accumulent, faisant craindre l'explosion de multiples "bulles". Et je passe tous les caprices de "Dame Fortune" si chère à Machiavel....Si l'on en reste donc aux seules probabilités, un contexte très différent de celui- d'aujourd'hui paraît en tout cas quasi-certain d'ici l'élection présidentielle.

Jean Petaux : Ceux des éléments que vous citez… même s’ils n’ont rien d’extérieurs au demeurant et sont tout à fait au centre du système politique français. J’en ajouterais d’autres, plutôt exogènes justement : la pression migratoire des réfugiés ; une accélération de la poussée de Daesh en Libye ; la crise économique et financière en Russie du fait de l’effondrement massif du cours de l’énergie ; et, pourquoi pas, une grande catastrophe écologique et environnementale touchant nombre d’Etats d’Europe, dont la France.

A qui profiteront ces événements ? Au Front national tout simplement. Dans la mesure où sans rien faire, sans projet, sans expérience de gestion antérieure donc ni bonne ni mauvaise, le FN ne peut que capitaliser sur une situation grave et inattendue, source de mécontentements accrus. Attendant en quelque sorte que le "fruit mûr" (le "système" dans toute son acception et sa complexité) ne tombe.

Manuel Valls, Arnaud Montebourg  Emmanuel Macron, Bernard Tapie... Quelles sont d'après-vous les personnalités de gauche qui se préparent à une candidature éventuelle ?

Jean Petaux : Si tant est que Tapie soit de gauche !...Il y a une trentaine d’années pas plus de 5 acteurs politiques en France pouvaient raisonnablement se déclarer potentiellement candidats à la présidentielle avec l’espoir d’être élu. Si, à la même époque, on avait fait un recensement de toutes et tous ceux qui, dans les instituts psychiatriques, se présentaient comme voulant briguer la magistrature suprême  on en aurait trouvé forcément plusieurs milliers. C’est sans doute une preuve matérielle du "malaise dans la société française" que de constater que de nombreux candidats souhaitent s’aligner au départ de la présidentielle. La "banalisation" de la candidature (aux primaires d’abord, à la présidentielle ensuite) est un signe inquiétant du dysfonctionnement de la vie politique française et se son système de sélection des élites.

Pour ce qui concerne les quatre noms que vous citez nul ne peut dire maintenant si l’un d’eux sera effectivement candidat à la présidentielle et a fortiori s’il sera élu. Vous pourriez ajouter Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent… pourquoi pas Christiane Taubira désormais ? Il n’est pas jusqu’à Dany Cohn-Bendit qui n’ait avoué récemment qu’il se verrait bien candidat à la l’Elysée en 2017.

Reste qu’il y a aussi François Hollande que vous avez omis de citer… Et qui, dans l’ordre des pronostics de candidature est en train de passer du statut de "probable" à "certain". En 2002 la gauche et l’extrême-gauche ont compté pas moins de 8 candidats à la présidentielle. 2017 est potentiellement à même de voir battu ce record.

Et à droite, quelles sont les candidatures qui sont également en préparation ? 

Christelle Bertrand : François Bayrou, Philippe de Villiers Wauquiez préparent-ils leur candidature à la présidentielle et comment? François Bayrou se prépare, c'est certain, à se présenter. Il  appréciera la situation le moment voulu. Et sa décision dépendra du contexte: Nicolas Sarkozy sera-t-il le candidat de la droite? Auquel cas un espace s'offre à lui au centre. Si c'est Alain Juppé, le président du Modem négociera avec lui un accord législatif avantageux et discutera aussi de son propre avenir. L'issue de ces discussions déterminera sa présence au premier tour. Evidemment, si le score pour être qualifié au second tour s'abaisse, le maire de Pau se sentira pousser des ailes. On sait bien qu'il rêve de revivre la campagne de 2007 où il obtient 18.57%. Avec ce score, dans un contexte ou droite comme gauche partent très divisés, il pourrait espérer accéder au second tour. Chez les centristes, Jean-Christophe Lagarde réfléchi aussi à une candidature qui pourrait affaiblir celle de François Bayrou. Philippe de Villiers lui aussi aimerait, sans doute, faire un dernier tour de piste présidentielle. On sait qu'il y est poussé par Patrick Buisson qui rêve surtout de faire tomber Nicolas Sarkozy mais aussi de réaliser enfin son projet de défendre une candidature à la charnière entre la droite et le FN. Enfin Laurent Wauquiez réfléchi à une candidature mais dans le cadre de la primaire. Il vient d'ailleurs de débaucher, dans ce but, Ange Sitbon le monsieur élection des Républicains. On voit que tout le monde s'organise donc, à droite aussi, dans la perspective d'une élection présidentielle très ouverte.

Jean Petaux : A droite la liste est tout aussi longue qu’à gauche…. Entre Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon,  Bruno Le Maire, Jean-François Copé, Nadine Morano, Christine Lagarde, Hervé Mariton, Nathalie Kosciusko-Morizet, tous noms cités à un moment ou à un autre, la bataille ne fait pas rage avec la même intensité évidemment mais la concurrence existe et elle est rude au point que nul ne peut privilégier la victoire de telle ou telle personnalité même si certaines sont d’ores et déjà plus favorites que d’autres. Encore a-t-on retiré de cette liste des candidats éventuels à droite un Xavier Bertrand ou un Christian Estrosi, hier candidats, aujourd’hui  "happés" par d’autres "activités électives".

Au total entre la gauche et la droite on dénombre près de 20 candidats éventuels ou en situation de l’être réellement… Et encore n’a-t-on pas mentionné un François Bayrou disposé à se mettre en marche pour la présidentielle de 2017 si Alain Juppé est battu à la primaire de droite par Nicolas Sarkozy. Autant dire que toutes les surprises sont possibles. Y compris celle qui ferait que le ou la future présidente de la République soit une 21ème personne : Marine Le Pen bien évidemment (serait-ce une surprise d’ailleurs ?) mais peut-être également une autre ou un autre absent des "écrans radars" aujourd’hui, 15 mois avant le mois de mai 2017 !

En 2002, la multiplication des candidatures avait fait baisser Le score "seuil" de qualification au second tour à17% des voix. En comparaison, Ségolène Royal accède au duel contre Nicolas Sarkozy avec 25% des suffrages. Cette multiplication possible des candidatures pourrait-elle revenir à des niveaux très bas ?

Vincent Tournier : La multiplication des candidatures dépend de plusieurs facteurs, mais le principal est évidemment la légitimité des "grands" candidats. Pour l’instant, la gauche et la droite sont confrontées à la même difficulté car aucun camp ne peut dire que son champion respectif, que ce soit François Hollande ou Nicolas Sarkozy, bénéficie d’une dynamique électorale forte et consensuelle. A gauche, le PS risque d’être confronté à des candidatures venant des écologistes, de Jean-Luc Mélenchon, de Christiane Taubira, sans parler des multiples candidats d’extrême-gauche. A droite, la situation est aussi délicate, avec par exemple François Bayrou ou Philippe de Villiers. Mais le parti Les Républicains va organiser sa primaire à l’automne, ce qui devrait permettre d’enclencher un certain rassemblement.

Pour l’instant, la question est de savoir pourquoi le PS n’a pas réussi à conserver la dynamique de rassemblement qu’il avait réussi à initier en 2012. L’échec est ici patent : les écologistes ont quitté le gouvernement, la gauche du PS est en quasi-rupture depuis le départ de Montebourg, et maintenant, c’est la gauche libertaire qui quitte le navire avec la démission de Christiane Taubira. Comment expliquer ces échecs successifs, alors que des concessions importantes ont été faites, que ce soit le projet de transition énergétique pour les écologistes ou la loi sur le mariage gay pour les libertaires ? Je ne suis pas sûr que ces échecs soient liés à une faiblesse du sens manœuvrier de François Hollande, lequel a plutôt une bonne réputation dans ce domaine. Peut-être faut-il simplement admettre que les conditions économiques et politiques actuelles engendrent des tensions trop fortes au point de rendre impossibles les alliances.

Reprenons le cas de Christiane Taubira. Le fait que le clash n’ait finalement eu lieu que fin-janvier semble indiquer que les tractations ont été longues. La question est surtout de savoir pourquoi l’exécutif n’a-t-il pas fait marche arrière sur la question de la déchéance de nationalité, alors que cela a manifestement été envisagé, puisque ce sujet allait devenir un point de clivage avec Christiane Taubira ?

Mon hypothèse est que, après le 13 novembre, le gouvernement ne pouvait pas se contenter de rester sur le terrain strictement sécuritaire. On voit bien que la question de l’islamisme dépasse largement la seule question des djihadistes, et concerne l’intégration de l’islam en France, même si le gouvernement cherche à circonscrire l’incendie en communiquant officiellement sur le "pas d’amalgame". Mais s’attaquer au cœur du problème est délicat. Cela obligerait notamment à relancer la question de la laïcité, ce que veut surtout éviter la majorité actuelle car c’est devenu un sujet très sensible qui risque de faire exploser la gauche. On le voit bien avec la polémique sur Jean-Louis Bianco et l’Observatoire de la laïcité, dont la mission est justement d’enterrer les débats. Dans ces conditions, la déchéance de nationalité est une sorte de palliatif : elle permet d’occuper les esprits et de donner une certaine compensation à ceux qui attendent davantage. Renoncer à la déchéance de nationalité ferait courir le risque de créer un espace pour tous ceux qui, au sein du PS, veulent en finir avec les atermoiements de l’exécutif sur la laïcité. Qu’est devenue, par exemple, la promesse de François Hollande d’inscrire la laïcité dans la Constitution ? Bref, entre le départ de Christiane Taubira et l’explosion de la gauche, il a fallu faire un choix.

Christophe de Voogd : Vous voulez sans doute dire un niveau de qualification bas pour le deuxième tour? Compte tenu de ce que je viens de dire, tout dépendra de la réaction des acteurs du combat politique aux défis de l'année. Leur capacité d'aveuglement est colossale comme l'a en effet montré 2002. La prime ira donc à ceux qui sauront maîtriser (ou du moins paraître maîtriser) Dame Fortune: c'est ce que Machiavel appelle la virtù du Prince. Là encore la probabilité croissante, malgré la stratégie présidentielle, de candidatures multiples à gauche redonne des couleurs à la droite. A moins qu'un effondrement économique mondial ne relance "la gauche de la gauche" comme en Grèce et en Espagne. Et/ou à moins qu'un nouvel attentat n'entraîne un "trop, c'est trop", favorable au Front National. C'est d'ailleurs exactement le but de Daech. Depuis que j'observe la vie politique française, et cela fait quelques décennies, je n'ai jamais connu de jeu aussi ouvert. Pour le meilleur, mais je crains aussi, pour le pire. Décidément 2016 sera l'année de Dame Fortune!

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