Milices à Béziers, groupes d'auto-défense à Marseille : attention aux problèmes qui ne manqueront pas de surgir si l'Etat persiste à ne plus être capable d'assurer seul l'ordre public<!-- --> | Atlantico.fr
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Le krav maga est une méthode d'autodéfense d'origine juive tchécoslovaque combinant des techniques provenant de divers sports de combat.
Le krav maga est une méthode d'autodéfense d'origine juive tchécoslovaque combinant des techniques provenant de divers sports de combat.
©wikipédia

Se protéger seul

Après l'agression à caractère antisémite le lundi 11 janvier, la communauté juive de Marseille a commencé à s'organiser et à mettre en place des mesures de sécurité individuelles. Entrainement au tir, mise en places de rondes dans les quartiers et devant les écoles ; l'idée est d'assurer une protection que l'Etat semble ne plus pouvoir garantir.

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : Ce lundi 11 janvier, une agression à caractère antisémite a eu lieu à Marseille, contribuant au sentiment d’insécurité d’une partie de la population de confession juive. Tant et si bien qu’ont été mises en place des mesures de sécurité individuelles. Qu’est-ce que cela peut traduire de la confiance en l’Etat et en la collectivité ?

Mathieu Zagrodzki : Cela traduit le sentiment que l'Etat ne peut pas être partout, ni protéger tout le monde en même temps. Ce n'est pas une critique que j'émets mais un constat : il y a environ 200 000 policiers et gendarmes en France, il n'est donc pas possible de quadriller chaque rue, chaque immeuble, chaque église ou chaque synagogue. On ne peut pas parler d'impuissance de l'Etat dans le sens où celui-ci n'aurait aucun moyen de protection à proposer, mais plutôt du fait que la menace potentielle est si protéiforme, qu'elle peut surgir à tout moment et à n'importe quel endroit. Finalement, beaucoup se disent que chaque mesure de protection supplémentaire, que chaque personne supplémentaire dédiée à la protection des citoyens, n'est pas superflue.

Il y aura toujours des critiques concernant les failles de l'Etat en amont ou au moment où sont commis des attentats. Après le 13 novembre, on a pointé du doigt les failles du renseignement et l'incapacité de l'Etat à anticiper ce qu'il s'est passé. Ce sont des critiques légitimes. Il est nécessaire de s'interroger sur ce qui n'a pas marché, sur ce qui a permis le passage d'un attentat de cette ampleur sous le radar des autorités publiques. En revanche, les critiques concernant la réaction des forces de police au moment des attentats me paraissent injustes. La police ne peut pas être partout tout le temps. C'est mathématique et là-dessus, on lui fait souvent un mauvais procès. La France compte beaucoup de policiers, de gendarmes, mais également de renforts militaires. En matière de ratio policier-habitant, nous nous nous situons dans la moyen haute européenne.

Le sentiment qui prédomine n'est peut-être pas celui de ne pas être protégé mais plus d'être une cible prioritaire. A partir du moment où des gens sont explicitement agressés pour leur appartenance à une catégorie religieuse spécifique, ils développent un sentiment de cible et de minorité. Faire partie d'une communauté un minimum organisée, jouissant d'une vraie capacité de mobilisation pour des raisons X ou Y (l'histoire, le faible nombre, notamment, dans le cadre de la communauté juive) permet de développer une plus forte capacité de solidarité et d'autodéfense.

Outre cette première dimension, que peut-on dire de l’aspect légal de ces initiatives ? Concrètement, peut-on monter des milices en toute impunité en France ?

Tout dépend ce que l'on entend par le terme de milice. S'il s'agit de se réunir à quelques individus, de faire une ronde autour du quartier et d'empêcher une éventuelle infraction ou de la signaler à la police, tout cela relève de la liberté de se réunir et d'aller et venir. Il n'y a absolument rien d'illégal. Si, en revanche, cela consiste à mener des expéditions punitives et à avoir des réactions disproportionnées alors là, il y a effectivement un problème. Se promener dans l'espace public avec des armes, par exemple, c'est illégal. En fait, le cadre légal ne parle pas de milice mais de réaction autorisée par rapport à une infraction. Sont autorisés : l'autodéfense (riposte proportionnée à l'attaque) et la possibilité d'appréhender un individu en train de commettre une infraction avant l'arrivée des forces de l'ordre. Concrètement, si un individu assiste à une agression au cours de laquelle l'agresseur intimide une personne se sentant vulnérable (en la prenant à partie verbalement par exemple), cela ne lui donne pas le droit de briser le bras de l'agresseur ou de l'assommer. En revanche, il est tout à fait légal de l’appréhender, de le ceinturer ou de le menotter et de l'immobiliser jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre.

Et sur le plan philosophique ? Quels sont les risques à craindre ?

Si on verse dans la philosophie, cela soulève effectivement la question de la violence légitime, du contrat social et finalement de ce qui constitue un Etat de droit. En France, nous avons une conception très républicaine de ces choses-là. Le citoyen n'a pas vocation à se faire justice lui-même et nous avons instauré un système de justice dépassionné. C'est au juge d'instruction d'investiguer, c'est à la police d'interpeller, c'est au juge de prononcer les peines. Il s'agit d'éviter la guerre du "tous contre tous" : le système pénal n'est pas fait pour être juste mais pour éviter des règlements de compte, les vendettas, et la loi du Talion.

Encore une fois, en France, toutes ces conceptions sont très républicaines à l'inverse des Etats-Unis où le citoyen a le droit de détenir une arme pour se défendre. Leur système est plus libéral, plus individualiste. Le citoyen est plus facilement autorisé à se faire justice lui-même s'il est face à une menace imminente (ex : une intrusion à son domicile). En France, nous sommes très loin de tout ça. Personne ne se promène avec des armes, il n'y a pas de patrouilles citoyennes et il n'est pas permis d'ouvrir le feu sur un cambrioleur si celui-ci ne menace pas votre vie.

Je n'ai pas connaissance d'autres initiatives que celles que vous mentionnez à propos de la communauté juive, ce qui est compréhensible au vu de ce qui vient de se passer : le fait est qu'en portant des signes extérieurs de sa judaïté, un individu s'expose un peu plus, que ce soit face aux terroristes ou aux petits caïds. L'organisation d'une forme de surveillance et de protection répond à cela et vise à permettre plus de sécurité. C'est un réflexe logique et qui reste légal.

Le sentiment d’insécurité est croissant en France. Cette attitude motivée par la peur est-elle propre à une seule communauté ou touche-t-elle tous les milieux ?

Actuellement, cette peur touche tous les milieux et toutes les communautés car les attentats du 13 novembre ont opéré un changement et une crise de confiance parmi la population. Certes les Juifs comme les policiers constituent une cible prioritaire des attaques islamistes mais depuis le 13 novembre, n'importe qui peut être visé. Auparavant, il subsistait de manière diffuse un sentiment de sécurité tant que l'on ne travaillait pas chez Charlie Hebdo, que l'on était pas policier ou Juif. Et dans ce cas, les gens se disaient : "on n'est pas sur la liste noire". Désormais, il n'y a rien de plus angoissant que de se dire que des gens ont été tués dans une situation banale, à savoir, prendre un verre un vendredi soir en terrasse. D'une certaine façon, on peut tous s'identifier à ça et du coup cela implique de vivre avec la certitude que d'autres choses similaires peuvent arriver et que cela peut tomber sur nous.

Pour en revenir à la question évoquée plus haut des groupes de défense qui surveilleraient des quartiers et assisteraient d'une certaine façon la force publique, cette initiative reste isolée pour le moment car d'une façon générale, les Français n'ont pas ce réflexe d'auto-organisation autour d'un quartier ou d'un immeuble comme on peut le voir aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Ces mécanismes de vigilance de voisinage sont là-bas monnaie courante. En France, en dehors du fait que l'autodéfense ne fait vraiment partie de notre culture nationale, nous conservons le "traumatisme de Vichy". Transmettre des informations à la police sur des individus ou des comportements suspects que l'on observerait au cours d'une ronde est une chose mal vue. C'est perçu comme de la délation. C'est un terme qui revient souvent dès que l'on évoque ce genre d'initiatives. Il y a toujours le spectre de la collaboration qui revient. On dénonce, on "balance", on est dans la délation et c'est finalement perçu comme illégitime alors que les Américains n'ont aucun complexe sur ce sujet. Chez eux, c'est plus vu comme une forme de lien social. C'est faire partie de la collectivité alors qu'en France, surtout dans les villes, on est plus dans une approche individualiste et détaché de ce type d'attachement à un quartier, à une communauté locale.

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