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C'est prouvé, le cerveau des gens hyper créatifs ne fonctionne pas comme celui de M. & Mme Toutlemonde mais le QI n'y est pour rien
©Flickr/IsaacMao

Quel génie !

Des études neurologiques montrent que les génies créatifs ont le cerveau qui fonctionne différemment de vous et moi, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on ne peut pas devenir comme eux. Même la créativité, ça se travaille.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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L

a créativité, ce mystère... Qu'est-ce qui a permis à Dostoïevsky, Shakespeare, Picasso, Mozart, Platon et tant d'autres de créer ce qu'ils ont créé ? Parfois, on a l'impression qu'ils sont vraiment différents de vous et moi.

Les grecs pensaient que la seule explication possible était surnaturelle : la Muse qui sussure à l'oreille du génie. D'ailleurs, le terme même de "génie" renvoie au latin "genius", qui désigne une divinité tutélaire. Quelqu'un qui "a du génie" est quelqu'un qu'une divinité prend sous son aile, l'inspire de son souffle divin. 

Les génies créatifs : "plus primitifs et plus cultivés"

Et les scientifiques s'y mettent... Et ne trouvent pas beaucoup plus. Le psychologue de l'Université de Californie-Berkeley, Frank X. Barron, a mené une étude connue où il a invité les penseurs les plus reconnus de son époque--romanciers, architectes, scientifiques, entrepreneurs, mathématiciens--à passer plusieurs jours ensemble dans une maison à parler ensemble et répondre à des batteries de questionnaires. 

En produit, comme le racontent Carolyn Gregoire et Scott Barry Kaufman de Quartz, une trouvaille scientifique importante : aucune corrélation entre le génie créatif et le quotient intellectuel. Le génie n'est pas--ou pas seulement--quelqu'un d'extrêmement intelligent. Il y a autre-chose.

Quoi ? Les conclusions de Barron semblent troubler le portrait autant qu'elles clarifient la situation. Ce que les créatifs ont en commun, c'est : une préférence pour la complexité et l'ambigüité, une tolérance élevée pour le désordre mais une grande capacité à sortir l'ordre du chaos, l'indépendance d'esprit, la non-conventionnalité, et une volonté de prendre des risques. Il résume : ils sont à la fois "plus primitifs et plus cultivés" que les autres. Avec ça on est avancés...

Le génie créatif : un introspectif, à la fois fou et sain d'esprit 

En fait, si, Barron trouve un autre trait commun : une très grande capacité à l'introspection. Barron et un de ses collègues, MacKinnon, font une autre trouvaille : les créatifs ont des scores très élevés... à la fois dans les mesures de psychopathologies et dans les mesures de santé d'esprit. 

La conclusion qu'en tire Barron : c'est grâce à l'introspection des créatifs. En effet, cette introspection permet une plus grande connaissance de soi--y compris des côtés plus sombres et dérangeants de l'âme. La théorie serait que les créatifs jouent sur toute la gamme de la vie humaine, du plus ordonné au plus désordonné. C'est pour cela qu'on a le cliché du génie fou, mais qu'en même temps de nombreux génies semblent plus ancrés dans la nature humaine, et dans leur vie.

La neurologie du génie : le jonglage avec la fonction "imagination" et la fonction "exécutive"

Le neurologiste Marcus Raichle a identifié en 2001 un concept important en neurologie : le réseau à l'intérieur de notre cerveau qui gère notre comportement au jour le jour. Ce réseau active de nombreuses régions partout dans notre cerveau, et nous l'employons plus de la moitié du temps, surtout lorsque nous faisons ce que les chercheurs appellent de la "cognition auto-générée"--lorsqu'on rêvasse, qu'on réfléchit, qu'on rumine, qu'on laisse son esprit vagabonder.

Mais ce réseau imaginatif ne sert pas qu'à ça, nous l'employons tous les jours. En effet, dans chaque situation de la vie, nous extrayons du sens--ce que les psychiatres appellent nos représentations mentales, par lesquelles nous interprétons nos vies et ce qui nous entoure. A chaque fois que nous tirons du sens de nos expériences, que nous nous souvenons du passé, que nous pensons à l'avenir, que nous imaginons ce que pensent les autres, ou des scénarios alternatifs dans notre vie, que nous écoutons ou racontons des histoires, ou que nous réfléchissons sur nous-mêmes, nous utilisons ce "réseau imaginatif" au coeur de notre cerveau. 

Mais le "réseau imaginatif" n'est évidemment pas le seul aspect de notre cerveau. En effet, une autre composante clé de notre cerveau est le réseau dit "exécutif", qui contrôle la prise de décision. C'est lui qui contrôle notre attention et notre mémoire, nous permet de nous concentrer.

Là où les génies créatifs sont particulièrement doués, c'est qu'ils arrivent beaucoup mieux à activer et désactiver ces réseaux et à les faire fonctionner ensemble, alors que chez la plupart des gens ils se chevauchent et se contredisent. En somme, ils sont capable de jongler avec des modes de pensée qui pour la plupart des gens sont contradictoires--la réflexion et l'émotion, la délibération et la spontanéité.

Mais pourtant, la créativité ça s'apprend

De tout ça, il ne faut pas forcément tirer la conclusion que les créatifs sont "différents" de nous. Personne ne sait si les cerveaux créatifs sont comme ça par habitude, ou par naissance. En effet, dans la vie courante, on considère souvent que la créativité est un don, qu'on n'a ou qu'on n'a pas. Or, des études montreraient que la créativité est un peu comme la musique : oui, certains sont plus doués que d'autres, mais on peut tous apprendre, et on peut tous s'améliorer progressivement. 

C'est ce que montre une série d'études réalisées par deux professeurs en management, Brian J. Lucas et Loran Nordgren, dont les résultats sont publiés dans la très sérieuse et prestigieuse Harvard Business Review.

Lors d'une étude, les professeurs ont demandé à des étudiants de produire des idées de plats de Thanksgiving. Après dix minutes, les examinateurs leur ont demandé de prédire combien d'idées en plus ils pensaient qu'ils pourraient trouver s'ils continuaient pendant dix minutes de plus. Ensuite ils leur ont demandé de trouver autant d'idées supplémentaires que possible pendant ces dix minutes de plus. En moyenne, les étudiants ont prédit qu'ils pourraient trouver 10 nouvelles idées. Mais en réalité, ils en ont trouvé 15 en moyenne. 

L'expérience a été reproduite avec de nombreux groupes, toujours avec le même résultat : "Nous avons demandé à des comiques professionnels de trouver des blagues pour un sketch ; à des adultes de créer des slogans de publicité pour un produit ; à des gens de trouver des tactiques qu'une association pourrait utiliser pour augmenter les dons. Dans chaque expérience, les participants ont sous-estimé de manière significative le nombre d'idées qu'ils pouvaient générer."

Et surtout, ils n'ont pas seulement mesuré la quantité. Pour chaque expérience, les professeurs ont demandé à un autre groupe de juger la créativité des idées. Sur la majorité des études, les idées jugées les plus créatives étaient celles que les gens ont trouvé lorsqu'ils ont persisté. Donc non seulement les gens sous-estiment leur capacité à générer des idées créatives, ils sous-estiment leur capacité à générer les idées les plus créatives.

Mais voilà : pour être créatif, il faut bosser

Cela recoupe la découverte connue réalisée par Malcolm Gladwell dans son livre, "Outliers", qui examine justement ceux qui ont eu des résultats exceptionnels, notamment dans le domaine de la créativité. Le point commun qu'il trouve à tous qui n'est pas signalé dans les études de Barron ou Raichle, c'est le suivant : le travail. Tous les génies créatifs ont énormément travaillé pour y arriver. Gladwell en tire même une "règle", la "règle des 10 000 heures", selon laquelle on arrive à la maîtrise d'un sujet ou d'un domaine à partir du moment où on y a travaillé pendant 10 000 heures. 

Cette découverte recoupe celle d'une psychologue reconnue de Stanford, Carol Dweck, dont la découverte se réfère à ce qu'elle appelle l'état d'esprit. Selon elle, il y a deux états d'esprit : "l'état d'esprit de croissance" et "l'état d'esprit fixé". L'état d'esprit fixé, c'est le fait de croire que ses compétences et ses dons sont une donnée fixe avec laquelle on vit. A contrario, les gens qui ont un état d'esprit de croissance pensent que leurs talents peuvent se développer par la persévérance et le travail. Les travaux de recherche du professeur Dweck montrent que ceux qui réussissent le mieux ne sont pas tant ceux qui ont les talents de départ les plus forts, mais ceux qui ont cet état d'esprit de croissance. Le livre de Dweck, considéré comme un classique, a récemment été recommandé par Bill Gates--qui est aussi un des sujets de Gladwell, et sans nul doute un des plus grands créatifs du 20ème siècle. 

C'est important à garder à l'esprit : être créatif, ça peut se travailler et s'améliorer. On peut tous avoir un cerveau de créatif, mais pour cela il faut y travailler. 

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