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Juppé, l’offensive par le régalien : tous les pièges que le favori des sondages devra éviter pour finir l’année 2016 aussi bien qu’il l’a commencée
©Reuters

Parcours semé d'embûches

L'année 2016 va être décisive pour Alain Juppé. Pour remporter la primaire de la droite et aborder la campagne des élections présidentielles en position de force, il va lui falloir sortir vainqueur des combats qui vont se mener sur au moins quatre terrains décisifs : le terrain de la modernité, le terrain de la réforme, celui des voix centristes, et enfin, le régalien.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Alain Juppé peut-il encore être présenté comme le candidat de la modernité ? N'est-il pas déjà fortement concurrencé par des personnalités comme Emmanuel Macron, Bruno Le Maire ou Christine Lagarde sur ce terrain ? Quelles sont les solutions qui s'offrent à lui dans cette optique ?

Jean Petaux : Tout dépend ce que vous entendez par « candidat de la modernité ». Les personnalités que vous citez (Macron, Le Maire, Lagarde) sont-elles « modernes » ? Sans vouloir être discourtois, si le fait d’être renvoyée devant la section de jugement de la Cour de Justice de la République est un critère de « modernité » alors incontestablement Christine Lagarde surclasse tous ses concurrents. Si le fait d’être « moderne » est une question d’année de naissance : Bruno Le Maire, né en 1969, promotion « Valmy » de l’ENA ou Emmanuel Macron, né en 1977, promotion « Senghor » de l’ENA ; alors oui en termes générationnels ces deux hommes politiques sont plus « récents » qu’Alain Juppé. « Récent » n’est pas synonyme de « moderne ».

Dès 1991 dans son essai « Nous n’avons jamais été modernes », le sociologue des sciences Bruno Latour a remis en cause le fait que notre société aurait été moderne disqualifiant ainsi, du même coup, la catégorie de la « post-modernité ». Donc la question n’est pas de savoir si Pierre, Paul, Jacques (ou Alain) est « moderne » ou pas. La question essentielle pour tout politique aujourd’hui est de savoir comment faire en sorte que la société intègre, positivement, les transformations issues de la formidable révolution technicienne qui est celle qu’elle connait actuellement. De ce point de vue-là l’histoire montre combien il convient d’être modeste. Le « politique » a toujours eu tendance à courir derrière le « savant », pour paraphraser le titre français du sociologue allemand Max Weber. Dans le premier des quatre livres projets qu’Alain Juppé a publié il y a quelques semaines désormais, celui sur l’éducation, on relève quelques pistes en matière de prise en compte de la « modernité » dans la formation, la transmission des savoirs et la recherche. Mais, d’évidence, il lui reste à approfondir cette question. C’est plus dans le travail qu’il a opéré avec Michel Rocard à la tête de la « commission du Grand emprunt » sur toute la partie des « Investissements d’avenir » (IDEX) que l’on peut détecter chez Alain Juppé une volonté de renforcer considérablement  l’effort en matière de recherche par exemple. Reste au politique de disposer de suffisamment de volonté pour faire en sorte que l’Etat accompagne la société dans sa transformation « moderne ». On peut faire crédit à Alain Juppé de ne pas manquer de volonté.

Roland HureauxVous supposez que les Français sont à la recherche d'un candidat à la présidentielle "jeune et moderne", d'une sorte de Kennedy .  Ce n'est pas sûr.  D'abord parce qu'ils sont  un peu blasés sur ce chapitre. Ensuite parce que, en ces temps troublés , ils veulent à mon  sens une figure qui rassure  et qui donc qui ne promette pas de casser la baraque dans tous  les sens. Quand je dis que les gens sont troublés, ce n'est pas seulement par les  attentats ou par les  flux , toujours hors de contrôle,   d'immigrants qui arrivent en Europe, par l'Italie ou par la Grèce, c'est aussi par un amoncellement de réformes qui   ont toutes  pour effet,  sinon pour objectif, de déstabiliser leurs références:  remise en  cause continuelle du cadre territorial, menaces sur les professions réglementées, y compris les fonctionnaires, fuite en avant pédagogiste  de l'école illustrée par la réforme Belkacem , justice idéologique etc. On pourrait y ajouter, n'en déplaise  Juppé qui ne veut pas la remettre en cause,  la loi Taubira sur le mariage homosexuel  destinée , explicitement,  à casser des repères ancestraux.

Certains  Français attendent aussi des réformes économiques drastiques : suppression des trente-cinq heures, assouplissement du contrat de travail, report de l'âge de la retraite. Certaines de ces mesures, notamment sur les retraites, sont probablement  nécessaires surtout  si on raisonne dans le cadre de l'euro , mais il n'est   certain, ni qu' elles suffiront à relancer la croissance, ni  qu'elles répondent , autant qu'on le croit dans certains cercles parisiens,  aux aspirations de la majorité de la population qui redoute au contraire d'être un peu plus  précarisée.  

Parmi les rivaux que vous citez, Christine Lagarde me paraît hors champ: il faudrait  déjà quelle donne le sentiment  de diriger  effectivement le FMI.  Macron est une créature de Hollande  qui lui permet d'afficher l'image d'une  gauche ouverte aux réformes libérales et donc de brouiller un  peu plus les repères de la droite classique. S'il venait à apparaître  comme un rival sérieux pour ces fauves  que sont   le président ou le premier ministre , je ne pense pas qu'il tiendrait longtemps. Lui aussi est , sinon hors champ  du moins  hors sol : aucune expérience électorale, aucun vrai contact avec  la population, des idées qui sont au fond celles  qui nous gouvernent depuis trente  ans et que les Français rejettent.

Le Maire, c'est déjà plus sérieux. Il est jeune et talentueux, mais il manque un peu de couleur, de relief  pour qu'on le remarque encore dans le paysage: il intéresse les militants de l'UMP à la recherche d'un homme de référence mais pas encore assez les Français. Et puis, ce garçon qui paraît si mesuré s'oublie parfois : au point de demander l'intervention de troupes françaises au sol  en Syrie  contre les  djihadistes (et  non pas  de leur   côté comme on l'a fait jusqu'ici), ce qui, compte tenu de nos moyens limités  et du contexte international  me paraît pure folie.

Au vu de ses dernières déclarations dans le  Journal du Dimanche, Juppé semble avoir choisi de rester fidèle   à son personnage : une incarnation de l'Etat un peu austère insistant sur les problèmes de sécurité, demandant qu'on ouvre des places  de prison, une plus grande efficacité des reconduites à la frontière, la création d' une police pénitentiaire. Il n'a pas tort de dénoncer le projet de  déchéance de la nationalité pour les binationaux impliqués dans le terrorisme comme un leurre et une manœuvre de Hollande : les cas où cette mesure qui fait tant de bruit s'appliquerait se comptent  sur les doigts d'une main. C'est de la gesticulation sécuritaire. Il faudrait que la droite classique le dise encore  plus  fort.

Quelle est la crédibilité d'Alain Juppé sur le terrain des "réformes" ? Son bilan de Premier ministre entre 1995 et 1997 ? Cette perception des français d'un Alain Juppé réformateur n'a telle pas été dépassée par Nicolas Sarkozy ? De la même façon, le couple Hollande-Valls peut aujourd'hui se targuer d'avoir occupé ce terrain, Alain Juppé incarne-t-il suffisamment l'audace nécessaire à la conduite de réformes ?

Jean Petaux : C’est une vraie question, d’autant plus difficile que pour y répondre il faudrait se livrer à l’exercice compliqué (pour ne pas dire « impossible ») de la comparaison. Les « pro » et les « anti » Juppé, les « pro-Sarko » et  les autres  trouveront sans problème, dans une comparaison forcément orientée  les arguments qui leur permettront de renforcer leur opinion. Une des difficultés dans l’exercice comparatif  tient au fait qu’Alain Juppé n’a jamais été président de la République, à l’inverse de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Dans un Etat où tout procède désormais du président de la République, même si la nature des relations qui ont prévalu entre le président Chirac et son premier ministre Juppé (de l’aveu même de ce dernier, répété et formulé à maintes reprises) ont été très bonnes et très claires, placées sous le sceau de la confiance totale, de la bienveillance du premier à l’égard du second et de la loyauté du second envers le premier, Alain Juppé n’a jamais été en situation de trancher, d’arbitrer, de présider-gouverner comme peut l’être un président de la République sous la Cinquième, hors période de cohabitation. Nicolas Sarkozy hier, François Hollande aujourd'hui, l’ont été et le sont encore pour le dernier des deux. Encore que, là aussi, pour leur rendre pleinement justice dans cette « évaluation », il est indéniable que l’intégration de la France dans une multitude de traités internationaux, de conventions diverses et variées, a considérablement réduit la souveraineté nationale et, partant, le « libre-arbitre » présidentiel par rapport à celui d’un de Gaulle bien évidemment, d’un Pompidou, d’un Giscard voire d’un Mitterrand.

Pour la période que vous évoquez, 1995-1997, celle au cours de laquelle Alain Juppé a été à Matignon, l’histoire politique récente retient l’épisode de l’automne 1995 qui a connu la longue séquence de la grève des cheminots et surtout sa fin qui s’est soldée par un retrait (partiel) de la réforme engagée. Cela suffit-il à ranger Alain Juppé dans le camp des « frileux » qui manqueraient « d’audace nécessaire à la conduite des réformes » pour reprendre vos propres termes ? Je ne le pense pas. D’abord parce qu’on l’oublie trop facilement, toute une partie du projet de réforme Juppé de septembre 1995 a bel et bien été appliquée (celle concernant la réforme hospitalière, la mise en place des Agences Régionales de l’Hospitalisation qui vont préfigurer les Agences Régionales de Santé (ARS) instituées par la loi hospitalière du 21 juillet 2009, etc.).

Peu de premiers ministres, sous la Vème République, sont restés seulement deux années à Matignon ou moins : Couve de Murville, Messmer, Cresson, Bérégovoy,  Balladur, Juppé, Villepin et Ayrault sont dans ce cas. Tous ont du quitter Matignon pour des raisons très différentes les unes des autres (démission du général de Gaulle en 1969 pour Couve ; décès de Pompidou le 2 avril 1974 pour Messmer, etc.). Alain Juppé qui est resté 2 ans et 15 jours à Matignon est le seul qui a du démissionner sur une défaite électorale consécutivement à une dissolution de l’Assemblée nationale. Ce « cas particulier », cette défaite inattendue tient autant à l’état de « sa » majorité parlementaire élue en 1993 et aux circonstances de l’élection présidentielle de Jacques Chirac en mai 1995 qu’à une « renaissance » de la « gauche plurielle » en mai-juin 1997. Mais son bilan « réformateur » ne saurait être estimé complètement sans prendre en compte la volonté du président Chirac et la brièveté du séjour à Matignon du maire de Bordeaux.

Il faut donc s’en remettre aux intentions affichées par Alain Juppé lui-même pour concevoir qu’il serait à même de réformer le pays (ou pas). Pour le dire différemment : « il dépendra de la capacité de conviction d’Alain Juppé que ces intentions soient crues par celles et ceux qui auront à se prononcer aux primaires de novembre 2016 »…

Roland HureauxAussi bien Juppé que Sarkozy ont sans doute  un problème avec leur bilan. Mais ne nous faisons pas d'illusions, celui de Hollande sera bien plus accablant : peut-on citer une seule mesure  positive  qu'il aurait prise ?

Le bilan de Nicolas  Sarkozy, même s'il contient de bonnes choses (comme les peines plancher  que Juppé propose de rétablir),  est contesté pour s'être trouvé en dessous des promesses  sur la question de l'emploi et sur celle de la sécurité (et l'immigration) .

Pour Alain Juppé, son bilan de 1995-1997 est un peu oublié. Il comporte la suppression du service;national qui est aujourd'hui  remise  en cause, par exemple  par la pétition lancée par une députée  chevènementiste, Marie-Françoise Bechtel en faveur de son rétablissement. Son plan d'économies budgétaires,et sociales de l'automne 1995 a fait descendre les Français dans la rue et il comportait des propositions  de modulation des prestations  familiales  qui allaient frontalement contre la culture de droite et les classes moyennes. Jospin s'est heurté aux mêmes résistances  mais Hollande est passé outre , en plafonnant les prestations de telle manière qu'elles semblent aujourd'hui réservées aux immigrés, ce qui est un comble. Qui , à droite,  proposera de rétablir le régime antérieur, quel qu'en soit le coût ?

Le problème est que la plupart des réformes qui sont aujourd'hui nécessaires à la France sont des réformes de droite. C'est  comme ça , qu'on le veuille ou non. Nous avons tous des amis  de gauche un peu lucides qui nous  le disent  en privé:" il y a des choses à faire ,  nous,  nous ne pouvons pas, c'est à vous de le faire."  Dans la plupart des domaines, il s'agit de réparer  des dégâts  dont les idéologies de gauche portent la responsabilité même quand elles ont  été appliquées par des hommes de droite,  comme la réforme Haby du collège. Or quand on prend ces réformes une par une,  elles heurtent des tabous idéologiques instaurés par la gauche ,en matière de justice, d'éducation, d'immigration, de préférence nationale etc.  D'autres se heurtent  à des logiques européennes, je ne pense pas spécialement à l'euro, qu'on tient pour sacro-saintes. Si un candidat de droite prenait tous ces tabous ensemble  bille en tête, il serait vite  étiqueté d'extrême droite et diabolisé. Il  a le choix entre ne  promettre rien de précis : c'était un peu la posture de Juppé jusqu'à ces derniers jours,  ou alors  choisir les domaines les moins  sensibles : Juppé s'y risque sur la sécurité en proposant toute  une  série de mesures, dont plusieurs sont intéressantes. Sur l'éducation, en revanche ses propositions récentes, à la différence des circulaires   Robien de 2008, beaucoup plus audacieuses, ne remettent en cause aucun des dogmes  pervers qui détruisent cette institution.  Il y a aussi l'économie qui n'est pas un terrain trop  miné,  mais là,  le chemin est étroit entre  une rhétorique  libérale peu suivie d'effets  à la Macron    et des réformes  saignantes telle la suppression immédiate des 35 heures. François Fillon qui a le même souci de proposer des réformes de fond tout en restant politiquement correct a fait ce pari risqué. Nous  attendons Juppé au tournant car il a payé assez cher en 1995 pour savoir comment la population  peut rejeter  une politique de rigueur . J'y reviens  : il ne faut pas imaginer que la majorité des Français sont dans une attente fiévreuse d'un démantèlement de l'Etat social, même s'ils en critiquent  les abus, surtout ceux dont bénéficient les étrangers.   

Quel est l'état des forces sur le terrain des "voix centristes" ? Seront-elles décisives dans les futures élections ? François Bayrou est il toujours dominateur sur ce terrain ? Alain Juppé peut-il le faire disparaître et si oui, comment ? Existe t il un risque pour Alain Juppé de voir François Bayrou se rapprocher de François Hollande ?

Jean Petaux : François Bayrou ne fera rien pour gêner Alain Juppé. En revanche il fera tout pour faire battre Nicolas Sarkozy. La question « des » « centres » est, encore une fois, comme à chaque présidentielle, une question récurrente mais qui n’est pas stratégique. Ce qui ne signifie pas qu’elle ne peut pas le devenir. On assiste actuellement à la confirmation du glissement vers la droite de l’ensemble du débat politique du fait de « l’hypothèque Front national ». François Hollande multiplie les appels du pied à l’électorat de centre-droit qui est le socle électoral d’Alain Juppé. Celui-ci, fort de ce soutien « structurel », développe des thèmes destinés à « coincer » en quelque sorte Nicolas Sarkozy entre lui et le Front National, en le repoussant toujours plus à droite pour le démonétiser plus encore. Au passage Alain Juppé se met en situation d’alliance potentielle avec François Fillon au second tour de la primaire de novembre et contrarie l’opportuniste Le Maire qui se représente de plus en plus comme le « modéré de droite » dangereux pour Juppé,  parce que porteur d’une image de « modéré comme Juppé et de droite comme Sarkozy ».

Alors quid de Bayrou dans ces circonstances ? Les élections régionales ont montré que l’électorat centriste ne s’est pas réellement mobilisé en faveur des têtes de liste « Les Républicains ». Ainsi dans la grande région ALPC (Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes) dans la ville de Pau dont François Bayrou est le maire depuis 2014 (grâce au soutien sans faille d’Alain Juppé) la liste fusionnée PS-EELV emmenée par le socialiste Alain Rousset a obtenu plus de 50% des suffrages exprimés (50,66% exactement) soit 16 points de plus que la candidat de la droite et des centres réunis, Virginie Calmels qui a considérablement «  droitisé » son discours entre les deux tours. François Bayrou sait parfaitement que l’électorat de la droite modérée adhère totalement aux idées et aux propositions d’Alain Juppé. Il n’a donc aucune raison d’aller contre Juppé. Ce sera une toute autre histoire si Nicolas Sarkozy emporte la primaire. Dans ce cas-là François Bayrou se présentera à l’élection présidentielle avec d’autant plus d’ambition que ce sera certainement, pour lui aussi, sa dernière tentative… ou tentation.

Roland HureauxFrançois Bayrou est comme  la particule dans la théorie des  quanta : elle ne semble exister que quand on l'observe,   en l'espèce  quand  il est candidat  à  des élections. Il  n'a pas de troupes, pas  de réseaux, peu d'influence personnelle sur le vote ( je pense que son ralliement  à  Hollande en 2012 n'a entraîné  presque  personne). Mais s'il est  présent  au premier tour de l'élection présidentielle, il compte ente 8 et 10 % des voix qui peuvent  précipiter la droite classique en troisième  position.   C'est pourquoi  le risque que Bayrou se rapproche de Hollande me paraît très grand pour lui, Bayrou,  dont  une telle manœuvre ruinerait  la carrière comme elle  a menacé de  le faire en 2012,  mais ce risque  est assez faible pour la droite. Non, Bayrou n'est dangereux que comme candidat.

C'es précisément une des grandes forces de Juppé, de pouvoir maîtriser  le problème Bayrou  parce qu'ils se connaissent ;  ils sont tous les deux  gascon-béarnais  ( c'est  à peu  près la même chose)  et  ils ont de bonne relations. Je pense que si Juppé est le candidat des Républicains, Bayrou ne se présentera pas. Alors que les relations ente Sarkozy et Bayrou sont telles que la candidature du maire de Pau  est  presque sûre  si Sarkozy est désigné. Juppé aurait en revanche, lui, un problème à droite  qu'apparemment il cherche actuellement à conjurer.

Il  faut  relativiser cette idée d'un électorat  centriste décisif. Il y a des réseaux centristes,  il y a un certain type de gens qui n'aime   pas les options tranchées  et  vote  pour un centriste quand il y a en a  un :  une question psychologique que plus politique. Mais les centristes sont   au fond d'eux-mêmes, presque tous   à droite. La plupart des leaders centristes, quand vous les regardez un par un,  sont des  gens de droite  qui ont ou ont eu  sur le terrain des problèmes avec  le RPR ou l'UMP : voyez par exemple Fromentin à   Neuilly. Les  Français savent s'ils sont de gauche ou de droite et les ménagements que l'UMP prend à l'égard des centristes  ne me semblent pas nécessairement utiles: on l'a vu aux régionales.  Je crois que le candidat de droite qui sera désigné a surtout  besoin  de  susciter un véritable  espoir dans son camp, et, par delà son camp  chez beaucoup de Français qui  ne voteront peut-être pas pour  lui,  mais qui attendent un projet clair sur certains sujets. 

Y a-t-il une place sur le terrain du "régalien" sur lequel semblent s'affronter l'actuel président de le République François Hollande, l'actuel Premier ministre Manuel Valls et l'ancien président Nicolas Sarkozy ? Est-il un adversaire crédible pour eux ?

Jean Petaux : Pour ce qui concerne le « régalien » la crédibilité d’Alain Juppé est totale. Il « incarnera » en quelque sorte la fonction présidentielle, tout comme avant lui d’ailleurs ses différents prédécesseurs. Mais pas spécifiquement pour des raisons qui lui sont propres ou qui tiendraient à un charisme particulier. Encore que, d’évidence, compte tenu de son histoire personnelle, de ses fonctions antérieures et de ses qualités propres, Alain Juppé dispose d’un charisme certain. La principale explication pour laquelle Alain Juppé incarnera parfaitement la fonction régalienne, tout autant que d’autres, est ailleurs.

Valéry Giscard d'Estaing dans cet étonnant (et passionnant) entretien avec Frédéric Mitterrand diffusé récemment sur la chaîne LCP-Public Sénat, jamais en retard d’une pique sur Jacques Chirac, dit qu’à ses yeux, François Mitterrand est le dernier, après lui, à avoir réellement « incarné » la fonction de président de la République. Evidemment VGE est cruel et injuste dans cette appréciation. En quoi Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’auraient-ils pas ou n’incarnerait-il pas (pour l’actuel Président) les attributions régaliennes de l’Etat ? On est forcément ici dans la subjectivité intégrale. En réalité ce qui confère en France sa crédibilité au chef de l’Etat, le fait qu’il « incarne » en quelque sorte l’Etat, c’est tout simplement « l’onction » du suffrage universel ajoutée à l’ensemble des prérogatives liées à sa fonction lesquelles prérogatives sont mises en scène, encadrées, orchestrées par toute la machinerie du protocole républicain. Le chef de l’Etat peut convaincre ou pas. Il peut connaitre une popularité et disposer d’un indice de confiance qui tutoie les sommets (VGE par exemple en 84 mois de présence à l’Elysée n’a vu sa cote que popularité descendre sous la barre des 50% qu’une seule fois…) mais s’il est battu à l’élection présidentielle il n’est plus rien. Ce fut son cas le 10 mai 1981. A l’inverse un président de la République peut connaître un indice de confiance complètement congelé autour de 20%, il demeure Président jusqu'au dernier jour et en cas de tragédie nationale c’est vers lui que se tournent ses concitoyens. Sans doute que dans ce système très particulier il ressort du pouvoir présidentiel une dimension monarchique et royale totalement exacerbée et certainement problématique, mais en attendant le processus est immuable.

Roland Hureaux : Il y  a quinze jours,  je vous  aurais dit non. Entre Hollande et Valls qui ont   l'avantage d'être en place et donc de pouvoir se servir de l'appareil d'Etat pour orchestrer  leur mise en scène,   Sarkozy qui a avait axé une grande partie de sa campagne  de 2008 sur la sécurité,  et n'oublions pas Marie Le Pen,  on pouvait penser qu'il  n'y  avait pas de place sur ce sujet  pour quelqu'un comme Alain Juppé.

Je révise ce jugement : il  a commencé la campagne pour son livre sur le thème de la sécurité et il ne l'a pas trop mal fait. Sans doute parce  que cette idée d'un Etat régalien fort correspond  assez  bien à son personnage.

Mais là surgit une nouvelle question : la droite ne peut pas se contenter de présenter le  visage d'un Etat pète sec. Ce serait très  réducteur. Il faut  élargir, arrondir ;  humaniser et, contrairement  ce qu'on imagine, on ne fera pas cela par des concessions à la gauche . Il faudra défendre  un certain  nombre de fondamentaux de la France, des institutions plutôt que des valeurs, un mot que je n'aime pas beaucoup :   la médecine libérale qu'on dit à tort condamnée, une certaine permanence territoriale faisant sa part à la commune  et  même au département,  des méthodes pédagogiques efficaces, c'est à  dire traditionnelles etc.

Je le redis, les Français  ont besoin d'être rassurés, mais être rassurés ça ne  veut pas seulement  dire   l'état d'urgence et des gendarmes partout, ça veut dire aussi que leur cadre de vie ne sera pas inutilement    bouleversé. Car ces réformes déstabilisatrices  dont je parle sont la plupart  du temps inutiles à notre  compétitivité,  et cela,  les  Français le savent,  sinon ils les accepteraient.  Il se peut que nos compatriotes en aient quelque part assez  de la "société de spectacle"  dénoncée par Guy Debord où on  bouleverse tout tout  le temps  n'importe comment, seulement  pour  alimenter le spectacle.  

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