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Médicaments pour tous : quand l'Egypte invente un modèle de coopération avec les labos pour garantir l'accès à la santé des plus pauvres
©Wikipédiacommons

Efficace ou pas ?

L’Égypte est le pays le plus touché par l'hépatite C, avec plusieurs millions d'individus malades. Elle a passé un accord il y a un an avec une grande entreprise pharmaceutique pour faire baisser le coût du traitement en échange de conditions particulières de vente et de consommation.

Arnaud Fontanet

Arnaud Fontanet

Arnaud Fontanet est Coordinateur Nord du site de recherche de l’ANRS sur les hépatites virales en Egypte, chercheur à l’Institut Pasteur et enseignant au Conservatoire National des Arts et Métiers.

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Atlantico : Un accord a eu lieu en Egypte entre le gouvernement et l'entreprise pharmaceutique Gilead qui permet la vente du Sofosbuvir, utilisé pour soigner l'hépatite C, pour réduire le coût du traitement. Un an après la mise en place de cet accord pouvons nous considérer que cet accord a été un succès ?

Arnaud Fontanet : Oui, cet accord a été un succès. L’Egypte est dans une situation très particulière vis-à-vis de l’hépatite C, étant le pays le plus atteint au monde. L'hépatite C est due à un virus qui se transmet par le sang, et notamment par la réutilisation sans stérilisation de matériel médical contaminé par le sang d’un individu infecté. L’épidémie égyptienne a débuté dans les années 60 et 70, lors des campagnes de traitement de la bilharziose avec des injections intraveineuses de sels d’antimoine. Malheureusement, le matériel d’injection n'était pas suffisamment stérilisé entre les patients, à l’origine de très nombreuses contaminations. L’épidémie s’est depuis propagée à l’ensemble de la population, avec 15% des adultes infectés en 2008, chiffre le plus élevé au monde.  Dans la tranche des 50 60 ans dans les populations rurales jusqu'à 40% de la population a été contaminée pour près de 25% en zone urbaine. Le gouvernement a donc mis en place un programme de prévention associant stérilisation du matériel médical et utilisation de matériel jetable dans les lieux de soins dépendant du ministère de la santé notamment. Un programme national de traitement a également été mis en place en 2008 et qui permet une prise en charge du patient. Jusqu'à 2014 les traitements privilégiés étaient l'interféron pégylé et la ribavirine. Une compagnie égyptienne, Minapharm, a produit un biosimilaire de l'interféron pégylé qui a permis au gouvernement égyptien de négocier à la baisse le prix de l’interféron pégylé avec les autres compagnies le produisant.  Des traitements qui coutaient 25 000 dollars dans des pays industrialisés, étaient vendus en Egypte 1500 dollars.

Par la suite de nouveaux antiviraux sont apparus sur le marché dont le sofosbuvir produit par Gilead. Les taux de guérison sont bien supérieurs aux précédents. Ils se situaient à environ 60% avec l’interféron pégylé pour le génotype du virus circulant en Egypte pour atteindre aujourd'hui 90% avec le sofosbuvir. Le traitement est également beaucoup moins lourd puisqu'il dure actuellement 12 semaines au lieu d'un an, avec beaucoup moins d'effets indésirables, et peut être pris strictement par voie orale en association avec d’autres molécules.

Le prix du sofosbuvir dans les pays industrialisés a été fixé par Gilead par rapport au bénéfice supplémentaire qu'apporte son traitement en termes de facilité d'utilisation et d'efficacité, mais complètement déconnecté de son prix de production (estimé à 150 dollars par traitement).  Alors qu’un traitement à base d’interféron pégylé était vendu autour de 25 000 dollars, le prix a doublé quand ont été rajoutés les premiers inhibiteurs de protéase (bocéprévir et télaprévir), pour atteindre 84 000 dollars avec le sofosbuvir aux Etats-Unis. En Egypte, comme dans la plupart des pays à bas et moyens revenus où vivent 80% des patients, des prix pareils ne peuvent être proposés puisque les gouvernements ou les patients sont incapables de payer. L'entreprise a donc décidé de ne pas rester sur la même gamme de prix que pour les pays industrialisés, et a proposé pour ces pays de se procurer le sofosbuvir auprès de fabricants autorisés de génériques indiens à des prix 100 fois inférieurs (900 dollars pour 12 semaines de sofosbuvir).

Cet accord a été élargi a plus de 100 pays à bas et moyens revenus.  Ce fut la même chose pour le SIDA quand les premières trithérapies efficaces sont apparues à la fin des années 90, et où la majorité des patients étaient dans des pays à ressources limitées. Pour le marché égyptien le traitement est proposé avec une possibilité de traçabilité du médicament pour éviter que les médicaments soient revendus à l'extérieur du pays et qu'un marché parallèle se crée. Pour l'instant aucun marché noir de médicament n'a été mis en évidence en Egypte à ma connaissance. Lors des premières années du programme national de traitement utilisant l’interféron pégylé, 50 000 personnes par an étaient traitées. En 2015, le gouvernement a annoncé que 125 000 personnes avaient reçu un traitement à base de sofosbuvir  avec un coût total par patient de 1 000 dollars. D’autres molécules provenant de compétiteurs ont été introduites sur le marché égyptien, où 6 millions de personnes sont atteintes d'hépatite C.  C'est donc un très grand progrès mais il ne faut pas oublier la prévention. La priorité devrait aussi être à la réduction des injections quand elles ne sont pas nécessaires, à l’utilisation de matériel jetable (seringue et aiguilles) ou à la stérilisation des outils qui doivent être ré-utilisés.

Cet accord est tout de même contraignant avec l'obligation de consommer le premier cachet d’un flacon devant une personne. Il existe de nombreuses critiques sur ces conditions, sont-elles justifiées ? L'accord peut il constituer un modèle à reproduire ?

Je n'ai pas senti ce problème que ce soit du côté du patient comme du médecin égyptien. Mais cela crée un précédent qui pourrait être problématique dans un autre contexte. La réduction du prix par 100 est bien sûr positive. Mais le problème est plus du côté des pays industrialisés à présent, où le coût rend ce traitement inaccessible aux patients, et aux organismes de remboursement.  De même, dans les pays à ressources limitées, 1000 dollars reste un coût très élevé, tant qu'il n'y aura pas d'organisation internationale ou une grande organisation philanthrope qui subventionne les traitements comme le fait le  Fonds Mondial pour le SIDA, le paludisme ou la tuberculose. Il reste un travail considérable à faire pour l'accès au traitement pour les plus pauvres.  Nous poursuivons d’ailleurs avec l’ANRS des recherches pour optimiser l’usage des traitements pour avoir le meilleur impact possible sur la mortalité liée à l’hépatite C dans un contexte d’accès limité aux médicaments.

Comment expliquer un niveau aussi élevé des médicaments dans les pays industrialisés ? Pourrions-nous mettre en place un tel accord avec l'industrie pharmaceutique ?

Il faut trouver un nouveau modèle de fixation du prix des médicaments, où le coût de revient du médicament reprend sa place, et non plus une simple appréciation du bénéfice rendu par rapport à l’existant, qui introduit une course sans fin vers l’augmentation des prix.  Le système actuel a fonctionné en partie dans les pays ou les systèmes d’assurance pouvaient rembourser, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui pour des molécules qui deviennent de plus en plus chères.

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