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C'est à l'innovation que Google, Facebook ou Apple sont addicts, pas au contrôle de nos vies
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Big brothers

Moteur de recherche, boîtes mails, données conservées en ligne, smartphones, lecteurs MP3, carnets d'adresse, etc... Google, Apple et Facebook sont-il en train de construire des monopoles à la big brother qui leur donneraient une emprise comme aucun pouvoir n'en a jamais eu sur nos vies ?

Mehdi  Benchoufi

Mehdi Benchoufi

Mehdi Benchoufi est Président du Club Jade, un think tank qui s'emploie à la recherche et à l'élaboration d'idées innovantes sur l'ensemble les thématiques de l'action publique.

 

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Google a récemment annoncé la commercialisation d’un Chromebook, un ordinateur qui ne permettrait l’accès qu’à Internet par le moteur de recherche du même nom. L'objet suscite de nombreuses interrogations. Tout à la fois, moteur de recherche, producteur des services Gmail, Google Docs, Androïd, Orkut, Picasa, Sidewiki, le leader maximo du web deviendrait, au moins en puissance, l’interlocuteur unique de nombre d’usagers du web. Incisif ou intrusif, ambition totalisante ou innovateur génial ? Il est certain qu’avec Itunes, l’AppStore et aujourd’hui le Chromebook, la très annoncée convergence des supports multimédia semble se doubler du concours des supports et des contenus dans un même espace offert par une même entreprise de service. Google, Facebook, Apple auront ainsi créé en l’espace de quelques années des empires dont une analyse rapide aurait tôt fait de déduire l’anagramme d’emprises sur le web.

Ici, Google joue à visage découvert, la stratégie industrielle est particulièrement agressive et ses déterminants revêtent aussi bien une nature économique qu’ils supposent en toile de fond un combat culturel d’une rare intensité.

En effet, au-delà de la qualité et de l’utilité des services perçues par les usagers de Google, la familiarité que l’on éprouve à l’usage du Big Browser-moteur de recherche, dans un geste qui rassemble des centaines de millions internautes en allumant un ordinateur, témoigne d’une conquête dont la portée est culturelle.

De plus, gardons bien à l’esprit que le développement du cloud computing, qui ménage la possibilité pour chaque internaute de transférer et de gérer ses données depuis internet, devient ici un objectif essentiel car sa maîtrise permettrait en puissance de piéger les pratiques web dans un écosystème de services bien fléchés, et ce, par exemple depuis un Chromebook. L’on pourrait alors supposer l’intérêt que Google aurait à amener l’internaute dans sa toile.

L’open source des systèmes fermés, une situation de monopole ?

L’éclosion de systèmes fermés est devenue une tendance importante de l’évolution de l’internet. L’extrémité étant largement atteinte par Apple, qui a pensé et organisé cette architecture selon le choix bien marqué d’un parcours obligé pour tout usager : iTunes, AppStore, obligation pour les développeurs d’utiliser Xcode sous couvert d’open source ….

Tout ceci laisserait-il augurer d’une minitelisation du web ? Technologies propriétaires, matériel standardisé, serveurs centralisés passant par un point d’entrée unique pour le Chromebook, terminal fermé avec absence de compatibilité Flash pour Ipad ou validation obligatoire par l’AppStore…

L’omniprésence des acteurs que nous citons fait craindre une situation de monopole qui verrait la toile se refermer sur ses usagers. Or, le monopole a été désavoué par la théorie économique et politique, car la force de frappe financière conférée par la rente qui le consolide serait préjudiciable à l’innovation. Or, dans le contexte d’internet, ceci mérite une analyse plus précise.

D’une part, dans le World War Web, toute situation de monopole est remarquablement exposée. On disait l’Iphone indétrônable, et les systèmes d’exploitation Android ont conquis l’essentiel du marché du mobile. Google +, en refermant l’expérience usager sur la notion de cercle n’a pas le succès attendu. Et que dire des nombreux échecs commerciaux de Microsoft, faute d’inventivité plutôt que de moyens financiers. Le moteur de recherche Alta Vista, avant Google, était censément inatteignable, puis une page blanche de moteur de recherche est apparue, sans publicité…et Alta Vista fut balayé.

D’autre part, l’exemple de Google doit nous faire observer un phénomène singulier : plus la possibilité de son monopole se fait menaçante, plus cette entreprise innove… Et la menace est permanente, car les barrières à l’entrée dans l’économie numérique se sont formidablement réduites, la capacité de convertir une idée de service web en sa concrétisation s’est remarquablement simplifiée. L’Open source est un incitatif majeur entraînant les entreprises dans une course-poursuite à la trace de l’innovation. Les exemples spectaculaires de services web confectionnés par des enfants ne sont plus histoires de chasse. Joe Trippi, ancien conseiller politique d’Howard Dean, racontait récemment comment un enfant de 10 ans avait pu créer un logo qui fut retenu pour une campagne électorale dont il assurait la direction…

Tout ceci nous conduit à poser les termes de l’enjeu le plus essentiel : celui de la liberté du choix de l’usager. Le verrouillage des points d’entrée des usages du web restreint-il la liberté de mouvement de l’internaute sur la toile ? Est-il un obstacle à la fameuse sérendipité, c’est-à-dire, la possibilité de l’imprévu dans une expérience web, l’usager découvrant en naviguant des informations dont il n’était pas à la recherche ? Le web est-il un espace de pervasivité et de choix permanent ? Car, l’on peut s’insurger en reproches contre les hyper-potents que nous évoquons, néanmoins, si la capacité de l’internaute à former un choix non contraint dans ses usages est établie, alors ces écosystèmes ne doivent être réfutés que par davantage d’innovation.

L’internaute, le Big Other

Les entreprises web sont d’un type nouveau car elles sont contrôlées autant par leurs actionnaires que par leurs usagers. Ce sont précisément ces derniers qui entraînent les entreprises du web vers une course à l’innovation. Toutes les entreprises sont à la merci d’un plébiscite permanent, du choix performatif de ses usagers. Les internautes, dans leur pratiques de consommation sont une force consentante et agissante, ils commentent, évaluent, désavouent en partageant, promeuvent en partageant.

Ainsi, outre que le choix est la charpente constitutive d’internet, ce qui devrait d’ailleurs nous amener à approfondir encore et toujours sa décentralisation, la particularité du web, c’est que le monopole est toujours consenti, et ce, sur le fondement seul de la qualité de service. La possibilité d’un « flight to quality » est une menace qui plane en temps réel sur toutes les entreprises web. Car, l’on peut se détourner d’une entreprise, en un coup de clic, et tous ensemble, en un coup de Buzz.

Ce serait donc être mauvais joueur et bien court que de condamner la position effectivement dominante qu’occupent Google, Facebook ou Apple, et force est de constater qu’elle est toute entière conduite par un esprit d’innovation.

Ces entreprises ont développé par leurs API, un écosystème en essaim remarquablement puissant. Le procès que l’on serait tenté de faire à Google, ne serait-il pas alors la frustration de ne rien pouvoir opposer à tant d’innovation.

En effet, Google n’est plus un moteur de recherche : Google books est un formidable outil de démocratisation de l’accès à la culture, ambitionnant de numériser l’ensemble de la production humaine, on ne compte plus les initiatives en faveur de la recherche bio-médicale, le développement de pôles « nouvelles technologies et développement durable ».

Car la clé est bien là : l’ambition est mondiale, la vision est profonde, elle se fonde sur des déterminants et des besoins largement transnationaux. Ces entreprises américaines ont su dépasser le champ du coq national pour investir massivement toutes les contrées du web, en les dotant d’infra-structures de services quasi-publiques, les rendant par là incontournables.

Au total, il paraît donc périlleux pour notre pays de développer une ingénierie rhétorique pour justifier la menace de ceux dont nous devrions combattre les arguments sur le terrain seul de l’innovation, car, c’est là que se joue la nouvelle conquête de l’espace, sur ce nouveau territoire qu’est le web.

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