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Emmanuel Macron et Patrick Drahi, les deux hommes qui en 2015 ont beaucoup dérangé le monde politique et celui des affaires
©Reuters

L'Edito de Jean-Marc Sylvestre

Deux hommes ont marqué l'actualité politique et économique en 2015 : Emmanuel Macron et Patrick Drahi. Le premier s'est illustré en politique par sa capacité à faire ce que les cadres du PS n'ont jamais voulu et su faire : faire rentrer la France dans l'ère de la modernité. Quant au second, sa stratégie de rachats à crédit des principaux groupes médiatiques mondiaux lui a permis de bousculer le monde affaires.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Personne ne peut dire si Macron d’un côté et Drahi de l’autre, laisseront des traces indélébiles dans le fonctionnement du système économique. Personne ne sait si ces traces seront bénéfiques dans l’avenir en termes de performance globale. Mais ce qui est évident, c’est que ce sont les deux hommes qui auront secoué la sphère des affaires.

Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique s’est taillé une place bien à part sur l’échiquier politique. Il appartient plus à la société civile qu’à la tribu des politiciens professionnels. Sorti de l’ENA, passé par la haute administration et par la banque, on l’a découvert au cabinet de François Hollande comme conseiller économique au début du quinquennat. On ne lui connaissait pas d’engagement politique, on le savait même un peu agacé par la supercherie de certains arguments socialistes…Toujours est-il qu’il n’était pas encarté à gauche.

Les amis qui le soutiennent ne sont pas très militants socialistes. On dit que c’est Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Elysée, l’ami intime du Président, qui a convaincu François Hollande de le faire renter au gouvernement. Son mentor Jacques Attali, auprès duquel il a beaucoup travaillé quand Attali cherchait à convaincre Nicolas Sarkozy d’engager des réformes libérales, le suit de très près. Entre les trois hommes, la confiance et l’estime sont réciproques. Et ces trois hommes ne vont pas chômer pour essayer de faire bouger la gouvernance française.

Leur ambition est de faire évoluer ce pays vers plus de modernité. Il faut donc s’adapter à la mondialisation inéluctable, à l’Europe et à l’euro incontournables, et au progrès technologique. 

Pour ces trois hommes qui ont le sentiment de porter une ambition partagée par une bonne moitié de l’opinion publique, le problème est que cette moitié n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est plus libérale au sens américain du terme que conservatrice… En Europe, cette ambition est donc de droite (mais pas toute la droite) et elle est de gauche (mais pas de toute la gauche), ce qui ne facilite pas la formation d’une majorité quand il s’agit de faire passer des lois.

Emmanuel Macron, qui restera le ministre de l’Economie le plus jeune de la Vème République après Valéry Giscard d’Estaing, qui passe bien à la télévision et qui semble habité par une liberté de parole totale, va, en 2015, briser beaucoup de totems utilisés par la gauche historique. D'autant plus que les mots ne lui font pas peur. Il appelle un chat, un chat : un capitaliste, un marché, une concurrence, une performance, un goût de l’argent... Ce qui a pour effet de mettre en colère une grande partie du Parti socialiste pour qui l’économie n’a pas dû changer beaucoup depuis l’époque de Jeanne D’Arc. Le vocabulaire et les attitudes très pro-business ont pour avantage de plaire aux chefs d’entreprise, mais pas à tous.

Ceci dit, le monde du business ne se contente pas de promesses, il attend des réformes, des faits, des résultats. La première loi Macron est passée au terme d’une bataille parlementaire homérique.

La gauche a commencé à se couper en deux. Les frondeurs, les écologistes, et une partie de la gauche traditionnelle ne pouvaient pas admettre une loi-cadre déréglementant certaines professions, libérant les initiatives et amorçant un début de compétitivité. Face à un Parti socialiste qui en est resté à considérer que la concurrence est une addiction honteuse, face à des écologistes pour lesquels toutes mesures propre à relancer l’activité et la croissance va forcément produire des pollutions supplémentaires, et face aux partisans de l’ordre rigoureux (il y en a à gauche), il ne pouvait pas faire voter une loi qui dérégule les professions de notaires, de pharmaciens ou encore les taxis et les autocaristes. La gauche française, c’est aussi la gauche des petites rentes de situation et des bobos enrichis. Dans cette gauche-là, Macron voulait relancer la machine plutôt que protéger les avantages acquis.  

A droite, alors que l'on considérait que beaucoup de réformes étaient justifiées, on a préféré s’abstenir ou voter contre. Parce que la droite française aussi protège les petites rentes économiques. C’est là-même ce qui avait empêché Nicolas Sarkozy de reprendre beaucoup des recommandations de la commission Attali.  

Le résultat, c'est que la loi a néanmoins été votée; elle est désormais appliquée, mais il faudra qu'elle soit suivie d’un Macron 2, puis 3 … sinon, les autocaristes risquent d’être les seuls à pouvoir profiter de cette ouverture. Le succès des ouvertures de lignes d'autocars a été foudroyant : en six mois, 200 lignes ouvertes et 1000 emplois créés.

A la fin de l’année 2015, il semble bien que Macron ait été sommé de ne plus rien dire et d’attendre que l’orage populiste passe. La loi Macron 2 est, non pas annulée, mais retardée... ce qui revient au même quand on sait l’agenda 2016. La réalisation la plus importante de Macron aura été d’accélérer la pédagogie des socialistes beaucoup plus vite que les cadres du parti eux-mêmes le croient.

Alors en 2016, de deux choses l’une : ou François Hollande utilise Macron pour poursuivre et forcer la mue du Parti socialiste vers l'économie de marché. Ou bien il se sépare de ce symbole de la modernité pour se replier sur le cœur de sa famille, même si les dogmes traditionnels du PS sont absolument incompatibles avec les contraintes de la modernité.

Dans le premier scénario, François Hollande a une petite chance d’être réélu et Macron a la chance de faire ce que Michel Rocard n’a pas réussi à engager.

Dans la sphère privée, l’homme à abattre parce qu'il a dérangé tellement d’habitudes et de situations acquises, c’est Patrick Drahi.

Patrick Drahi est désormais aussi connu qu'un ministre. Il s’était fait connaitre en 2014 par le rachat de SFR. Il a fait beaucoup plus et beaucoup plus fort en 2015, puisqu’il a continué à racheter des affaires. Dans les télécoms aux Etats-Unis (Suddenlink et Cable Vision) pour plus de 26 milliards de dollars. Patrick Drahi aurait pu racheter Time Warner mais c’était un peu gros; il l’a laissé à un de ses amis, qui le garde peut-être au chaud pour plus tard.

Dans les médias, il a mis la main sur Libération, L'Express, L'Expansion et vient de mettre un pied dans la porte de NextRadio TV, le propriétaire de BFMTV et de RMC.

Le seul échec qu'on lui connait, c’est de ne pas avoir réussi à racheter Bouygues Télécom. Mais les jeux ne sont sans doute pas finis. En moins d’un an, Patrick Drahi est devenu un des acteurs majeurs du marché de la téléphonie et des médias sur les marchés mondiaux.

Ce qui trouble le monde des affaires, c’est que Patrick Drahi a beau être polytechnicien, il n’appartient pas au gotha français, un peu comme Bernard Arnaud, Français Pinault ou Vincent Bolloré à leurs débuts. Drahi chasse seul avec pour rabatteurs et complices quelques banques internationales qui lui ouvrent des lignes de crédit sans compter ou presque.

Ce qui trouble le monde des affaires, c’est que Patrick Drahi achète tout à crédit. Son endettement dépasse ses actifs, 50 milliards d'euros environ. La stratégie est intelligente si la rentabilité dégagée est supérieure au coût du crédit, et c’est évidemment le casD’abord, parce que Patrick Drahi sait comment faire cracher une entreprise. Ensuite, parce que le coût du crédit n’est pas très élevé, on peut même dire qu'il est proche de zéro grâce à la générosité de Mario Draghi, le président de la BCE.

Drahi travaille indirectement avec l’argent de la BCE. Le jour où la BCE changera de politique, que se passera-t-il ? Et le jour où les banques lui seront moins fidèles?

Patrick Drahi n’a qu’une réponse : demain est un autre jour ! Le monde des affaires, bousculé dans ses habitudes et ses équilibres patrimoniaux, n’aime pas ce genre de provocation. Ceci dit, le patronat traditionnel, qui manque tellement de performance, est admiratif. Demain est un autre jour !  

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