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Elections en Espagne : les leçons de Podemos pour la gauche de la gauche française
©Andrea Comas / Reuters

Nouvel exemple

Les élections générales espagnoles se sont tenues ce dimanche 20 décembre. Alors que le Parti populaire du chef du gouvernement Mariano Rajoy arrive en tête mais perd sa majorité absolue (123 sièges), le parti anti-austérité Podemos fait une entrée fracassante à l’Assemblée et devient la troisième force politique du pays avec 69 sièges, non loin derrière les socialistes (90 sièges).

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Dimanche soir, Podemos s'est positionné dans le trio de tête des vainqueurs des élections législatives espagnoles, derrière le parti conservateur (PP) et le Parti socialiste (PSOE) qu'il talonne. Comme attendu, ces résultats sonnent comme la fin du bipartisme du pays. Dans quelle mesure la jeune formation d'extrême-gauche peut-elle se prévaloir d'une alternative crédible au Parti socialiste traditionnel ?

Sylvain Boulouque : Le déclin de la droite et du PSOE marque comme partout en Europe un essoufflement des formations politiques traditionnelles qui aujourd’hui dépassent rarement – sauf en Allemagne et en Grande Bretagne – les 50 % du corps électorales. La formation Podemos s’est considérablement recentrée, le soutien de l’économiste français Thomas Piketty en est l’illustration. Pour le moment il est trop tôt pour savoir si cela sera une alternative ou une alliance avec le PSOE. Il semble cependant que la gauche espagnole rassemble différent type d’électorat. Le PSOE est majoritaire dans les campagnes et auprès d’un électorat plus âgé et moins qualifié, encore marqué par la dictature franquisme. Podemos a progressé dans les centres urbains et dans chez les jeunes diplômés. Il semble qu’il est mobilisé chez les abstentionnistes. Il semble avoir également mordu sur l’électorat du PC espagnol (Izquierda unida) et sur les partis nationalistes en catalogne et aux pays basque. 

En France, l'extrême gauche est en voie de marginalisation, et son discours semble de plus en plus inaudible. Quels enseignements pourraient-ils tirer des bons résultats de Podemos ? 

On constate indéniablement un reflux de la gauche marxisante. Ce rejet est particulièrement clair en France. Le Front de Gauche souffre notamment de ne pas avoir su établir une ligne politique assez claire : beaucoup des électeurs traditionnels lui reprochent d'être tombé dans l'électoralisme et se sont, de ce fait, désintéressés de ce parti. C'est d’autant plus visible que le Front de Gauche n'a pas de thème mobilisateur fort. En outre, dans les récentes élections (régionales, mais également départementales, municipales, etc) locales, le Front de Gauche disposait dès le départ d'assez peu de chance pour tirer son épingle du jeu. In fine, le parti sortait perdant avant d'avoir commencé les élections. Cet état de fait peut aussi se dresser, de façon plus générale, en Europe du nord et en Europe centrale. La gauche radicale en France n’est pas capable de faire son aggirnamento, de changer de tête et de proposer un discours mobilisateur novateur. Si elle voit en Podemos un modèle et a de nombreux contact avec les leaders du mouvement. La structuration même de ce mouvement est totalement différente et n’a rien à voir avec le gauche française, même si plusieurs de ses dirigeants sont passés par le communisme. Ils n’ont pas eu d’apparition publique sous les anciennes étiquettes alors qu’en France ils restent englués dans ces appareils et cette manière de faire de la politique. Or quand on porte un discours de changement, il est important qu'il soit appliqué à ce niveau également : quand bien même ils ne sont pas institutionnels à proprement parler, il y a tout de même institutionnalisation des visages de la gauche radicale. Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Clémentine Autain, Olivier Besancenot… Tous font partie du paysage de la gauche radicale depuis longtemps. Il n’y a pas ou peu de jeunes cadres émergeants ou alors des cadres peu souples et marqués par le sectarisme comme au NPA.

Cette tendance à la marginalisation de l'extrême gauche se retrouve ailleurs en Europe. En quoi le parti d’Iglesias se distingue-t-il ?

Il faut être prudent parce que la marginalisation, le sud de l’Europe semble indiqué une évolution. Ce que cela signifie l’éclatement de l’Europe en entité politique différente avec une Europe de l’Est nationale populiste et une Europe du Sud très à gauche. Pour le moment il est trop tôt pour le dire.

La situation de Podemos est spécifique : il incarne une espèce de renouveau en matière de politique, d'abord parce qu'il refuse de se positionner sur l'arc traditionnel droite-gauche. Dans sa façon de faire de la politique, dans ses pratiques, il est neuf. Le gros contraste vient du fait que, dans son organisation et sa hiérarchie, il est mené par de vieux briscards de la politique. Pablo Iglesias, le chef de file du parti, a déjà eu toute une carrière au sein des Jeunesses communistes espagnoles en plus d'être docteur en sciences-politique. Il n’est pas le seul dans Podemos à être passé par le communisme, loin s’en faut. C'est assez paradoxal : ils refusent plusieurs des aspects de l'ancienne tambouille politique, mais restent des vieux "routiers" de cette même politique. Ils en connaissent parfaitement la chose, pour l'avoir étudiée, parfois sur les bancs des universités françaises. Il ne s'agit donc pas d'un système politique traditionnel. Les leaders de Podemos sont républicains, pourtant ils acceptent de participer à différents types de cérémonies qui impliquent le monarque ou des membres de la famille royale, pour ne pas avoir à s'emparer du sujet de la monarchie avant d'arriver au pouvoir. Idem pour la question de la Catalogne : ils bottent en touche ces sujets pour ne pas s'enfermer dans des débats jugés traditionnels. Cela répond au fait que Podemos vient, à l'origine, des capacités politiques des anciens politiciens que nous évoquions, mais également du fait que son soutien vient de gens qui refusent la politique classique. Ces gens proviennent généralement du mouvement des Indignés et en appellent à de nouvelles pratiques politiques. Ce qui ne veut pas dire qu’une fois aux responsabilités ils le feront réellement comme le montre l’exemple grec.

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