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Après les Chinois, les Russes : Moscou à la reconquête de l'Afrique comme au bon vieux temps de l’URSS
©Reuters

La Russafrique

Lentement mais sûrement, la Russie reprend pied depuis plusieurs années sur le sol africain en y pratiquant de massifs investissements. Au-delà du profit économique, cette implantation économique permet à Vladimir Poutine de retrouver une place majeure dans l’échiquier géopolitique mondial.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : À l'instar de ce qu'a pu faire la Chine depuis plusieurs années maintenant, la Russie investit massivement en Afrique. Quel est l'intérêt pour Vladimir Poutine de se tourner vers ce continent en particulier ?

Cyrille Bret : Il y a une première raison qui est matérielle. Comme tous les grands pays émergents et comme tous les grands pays producteurs d’hydrocarbures, la Russie a constitué des réserves de change très importantes. Elles ont eu un pic à près de 400 milliards de dollars en 2008 et elles sont maintenant à 360 milliards. Pour que ces réserves ne produisent pas d’inflation, il faut évidemment les investir, et les investissements internes ne suffisent pas à absorber cette manne, donc il faut les investir quelque part. Pourquoi en Afrique ? Parce que c’est un continent qui a un potentiel de croissance démographique et économique très important, et de ce point de vue-là, la Chine et la Russie obéissent à peu près à la même logique. Ensuite, cela permet aussi à la Russie de se réinviter dans la compétition internationale puisque l’Afrique fait l’objet de toutes les attentions bien sûr de l’ancienne puissance coloniale, la France, mais aussi des États-Unis, qui sont très présents en Afrique de l’ouest, et de la Chine, à travers tout le continent. De sorte que c’est, comme en Syrie, le moyen pour Moscou de récupérer son statut de puissance internationale.

L'Afrique a longtemps été un partenaire privilégié pour les grandes puissances occidentales dans leur ensemble, l'arrivée de la Russie peut-elle conduire à terme à faire de l'Afrique le théâtre d'une nouvelle lutte d'influence, dans le cadre d'une nouvelle Guerre Froide ?

Je vais faire deux nuances. Il ne s’agit pas de l’arrivée mais du retour de la Russie, qui a été extrêmement présente durant toute la période de l’URSS, en Angola, au Mozambique, dans les régimes non-alignés en Egypte, etc. Donc il s’agit pour la Russie de reprendre pied en Afrique, elle qui était vraiment présente notamment en terme d’infrastructures, d’éducation, etc. Deuxième nuance, ce n’est évidemment pas une Guerre Froide puisqu’il y a deux dimensions qui sont absentes : la dimension militaire et la dimension idéologique. La Russie n’exporte pas d’idéologie, alors que l’URSS avait pour vocation d’exporter l’idéologie de certains types de régimes. L’URSS avait pour but d’implanter des bases militaires et navales, or toutes les bases en Afrique ont été démantelées immédiatement après la disparition de l’URSS. Donc ça ne peut pas être une Guerre Froide. La logique, c’est bien sûr de reprendre pied dans la rivalité internationale et dans la définition d’une sphère d’influence avec cette perspective historique que, comme au 19e siècle, la Russie est une parvenue dans la compétition internationale. Elle arrive en Afrique en outsider, alors que pendant la Guerre Froide elle avait l’immense avantage d’être en position de challenger, voire de leader.

Peut-on dire que la politique économique russe en Afrique est de nature à favoriser un rapprochement avec la Chine, qui adopte une stratégie similaire, ou bien ces deux géants sont-ils appelés à entrer en concurrence l'un avec l'autre ? L'axe Poutine-Jinping peut-il souffrir de cette situation ?

Il s’agit d’une concurrence, bien sûr, mais une concurrence entre deux partenaires qui ne sont pas du tout de même taille. La Chine peut déverser sur l’Afrique des réserves de change d’une capacité bien supérieure puisqu’on parle de 4000 milliards de dollars, selon la Banque Mondiale, alors que c’est 360 milliards pour la Russie. De plus, ce n’est pas du tout la même réserve de main-d’œuvre : la Russie ne peut pas envoyer des dizaines de milliers de travailleurs dans les infrastructures comme la Chine le fait en Algérie, au Soudan, etc. Donc en Afrique, comme c’est le cas en Sibérie et en Asie, la compétition est entre deux partenaires qui sont vraiment très différents. C’est un peu la compétition d’un éléphant et d’une souris. Cela ne peut pas donner lieu à une coopération puisque les secteurs dans lesquels les deux pays interviennent ne sont pas les mêmes.

Lors du vote de l'Assemblée Générale de l'ONU qui a condamné la Russie pour son intervention militaire en Ukraine, une grande majorité d'Etats africains se sont abstenus, et deux d'entre eux l'ont même soutenue. Doit-on y voir le signe d'un prochain renversement du rapport de force à l'ONU en faveur de Vladimir Poutine, ou cela reste-t-il anecdotique, compte tenu des différences de pouvoir entre l’Assemblée Générale et le Conseil de sécurité ?

D’une certaine façon, c’est ni l’un ni l’autre, et et l’un et l’autre. Effectivement il y a des dynamiques au sein de l’Assemblée Générale qui échappent au mainstream du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui fait que les politiques des grandes puissances qui essayent de contrer la Russie ne s’appliquent pas, typiquement, à l’Assemblée Générale. À cela s’ajoute, évidemment, la préoccupation très interne de certains régimes africains de prévenir toute velléité d’ingérence dans les affaires intérieures, donc c’est un peu ni l’un ni l’autre et les deux à la fois. De toute façon, l’Afrique n’a pas d’intérêt direct à contrecarrer les initiatives des Occidentaux au sein du Conseil de sécurité, mais l’Afrique n’a pas non plus intérêt à ce que l’ONU se mêle de trop près aux questions de frontières, de rectification de frontières et d’ingérence. 

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