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Libye : pourquoi la France n’a pas les moyens de faire intervenir son armée déjà dangereusement en sur-régime
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"Valls Tour" contre l'Etat Islamique

Dans sa croisade contre l’Etat islamique, la France pourrait se lancer dans la bataille de Libye : c’est ce que Manuel Valls a laissé entendre. Pourtant, la France est déjà engagée sur plusieurs terrains d’opérations... et pourrait s'avérer incapable de relever le défi que pose l'Etat Islamique dans cette région.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Ce vendredi, Manuel Valls a laissé entendre que la France devra probablement combattre l’EI en Libye. Alors qu’elle est déjà engagée sur de multiples théâtres d’opérations, la France a-t-elle les moyens techniques et opérationnels de se lancer dans cette nouvelle aventure ?

Jean-Vincent Brisset : Si le Chef des Armées, qui ne s’est pas encore exprimé publiquement sur le sujet, le décide, l’Armée de la France enverra, en fonction des ordres reçus, des moyens combattre en Libye. Il faut encore savoir lesquels et dans quelles conditions. Plusieurs stratégies sont possibles, mais elles doivent être confrontées aux capacités réelles des forces.

L’Elysée peut faire le choix, le plus facile, de se limiter à des opérations aériennes, qu’il s’agisse de frappes air-sol ou simplement de renseignement (les premières n’étant pas possibles sans les secondes). Sur un terrain très étendu (la Libye, c’est trois fois la superficie de la France) et où les troupes de l’adversaire sont dispersées, peu identifiables et protégées par des boucliers humains, ce n’est ni facile ni efficace. L’envoi de troupes au sol ne paraît guère envisageable, à moins de se limiter à quelques forces spéciales faisant du renseignement. Il faut cependant savoir que ce serait très difficile dans un contexte où il n’y a plus de ligne de front, aucune cartographie bien délimitée des belligérants et pas d’aide à attendre des populations locales. Dans tous les cas, l’ensemble des forces armées françaises est déjà employé à un tel niveau que chaque jour qui passe hypothèque, pour très longtemps, leur futur. Le potentiel, tant matériel qu’humain est actuellement consommé au-delà de ses possibilités de régénération. Tout surcroît d’engagement aggraverait encore une situation qui est déjà très inquiétante pour l’avenir à moyen et long terme.

On pourrait aussi imaginer que la France abandonne des terrains sur lesquels elle est déjà présente et se redéploye en direction de la Libye. C’est peu envisageable dans la zone Barkhane ou en Centrafrique. Malgré certains communiqués de victoire, la situation est loin d’y être réglée et la présence française demeure la seule capable d’exercer une certaine influence. Pour des raisons de communication face à l’opinion publique, les déploiements liés à l’opération Sentinelle ne peuvent être réduits. L’engagement au Liban, qui consomme plusieurs centaines d’hommes pour des raisons discutables, est l’une des très rares variables d’ajustement envisageable et se heurte à de nombreuses réticences.

On pourrait aussi imaginer que des alliés ou des amis viennent prendre de manière efficace le relais de la France en Afrique subsaharienne. Le peu d’enthousiasme des Européens et le peu d’efficacité des forces locales rendent improbables ces hypothèses, au moins dans le court terme.


Quels sont les cibles prioritaires pour la France en Libye ?

Alors que la montée en puissance de l’Etat islamique en Libye a débuté depuis déjà longtemps, la prise en compte de cette réalité, ou du moins l’affichage de cette prise en compte, est récente. Sans même être au courant de ce que savent les services de renseignement, on peut imaginer que les signaux d’alarme sont plus anciens mais ils n’ont pas donné lieu à des prises en compte officielles. Les risques liés à la crise des migrants a rendu évidente la réalité de la menace dans un cercle plus large, en particulier parmi ceux qui sont directement concernés sur le territoire national.

L’extension des prises de contrôle de territoires par l’Etat islamique en Libye, se faisant dans des zones contigües à celles où l’opération Barkhane tente d’éradiquer les menaces fondamentalistes, est une menace directe pour l’action française. Une éventuelle intervention militaire en Libye devrait avoir pour but d’empêcher que l’emprise de l’EI ne s’étende à toute la zone Sahélienne, ce qui pourrait être le cas si les différents groupes en présence lui faisaient allégeance. Un EI s’établissant en Libye serait aussi une menace pour l’Egypte. Outre le danger local, la Libye, proche de l’Europe et actuellement en proie au chaos, devient une excellente base arrière, aussi bien comme camp d’entrainement pour les candidats au djihad que pour les futurs auteurs d’attentat sur le sol du Vieux Continent.

En dépit des bombardements en Irak et en Syrie, l’EI a laissé montrer comme à Paris le mois dernier qu’il pouvait désormais frapper où il voulait. En ouvrant un nouveau front en Libye et au regard du ratio coût militaire/résultats effectifs, cette stratégie ne présente-t-elle pas des risques politiques pour la majorité ?

La dernière opération française en Libye, en 2011 et sous présidence Sarkozy, a d’abord reçu un soutien très large de l’opinion publique et des élus, y compris dans l’opposition. L’engagement des moyens aériens, dans le cadre de la résolution des Nations Unies, a été, dans les premiers temps, un succès. La poursuite, hors de l’esprit et de la lettre, d’opérations visant uniquement la destruction du régime de Khadafi au profit d’une opposition non représentative, a conduit le pays dans le chaos, a empêché la formation d’un gouvernement d’union nationale et permis la dispersion d’énormes stocks d’armes. La situation est désormais hors de contrôle, sans doute pour longtemps.

Aujourd’hui, la menace venue de Libye ne peut plus être occultée. Les attentats de Paris ont montré que, contrairement à ce que laissaient entendre certains discours angélistes, des terroristes pouvaient se cacher parmi les migrants. D’où la tentation, dans le cadre d’une politique basée avant tout sur la communication, de prôner une action militaire rapide en Libye.

Au-delà des discours, il sera pourtant très difficile d’entreprendre une action militaire qui aille au-delà de quelques largages de bombes sur des objectifs improbables. La France, à elle seule, ne peut rien faire d’efficace et ses forces armées sont déjà engagées au-delà de leurs capacités dans la durée. Son image de marque dans le monde est aussi devenue très peu visible et elle ne sera pas capable de créer une coalition derrière elle. Après le discours du Premier ministre, pour ne pas se déjuger et garder une bonne image de marque dans un contexte électoral difficile, il faudra donc probablement effectuer une ou deux actions spectaculaires et soigneusement médiatisées, puis regretter de ne pas être soutenus par le reste du monde. En attendant - on n’ose pas dire "en espérant" -  qu’une nouvelle action spectaculaire de l’Etat islamique provoque une réaction et l’engament réel d’autres pays.

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