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Premier tour des régionales : les clés de la progression du FN
©Reuters

Analyse

Le Front National se situe à un niveau inégalé et s’est qualifié dans la totalité des régions françaises et est même arrivé en tête dans six d’entre elles. Plus qu’à une percée subite c’est à une montée en puissance régulière à laquelle nous assistons.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Avec un score de 28.4% en métropole au premier tour des élections régionales, le Front National se situe à un niveau inégalé et s’est qualifié dans la totalité des régions françaises et est même arrivé en tête dans six d’entre elles. Contrairement à ce qui a été parfois dit, il ne s’agit pas d’une « véritable percée » puisque la formation de Marine Le Pen avait déjà atteint 25% des voix aux européennes et 25.4% en moyenne aux élections départementales. Néanmoins, le palier, déjà très élevé, de 25% observé il y a neuf mois seulement a été dépassé et le Front National a connu une nouvelle progression de l’ordre de 3 points. Plus qu’à une percée subite c’est à une montée en puissance régulière à laquelle nous assistons. Rappelons qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen ne recueillait que 18.4% des voix en métropole soit 10 points de moins qu’aujourd’hui (avec certes une participation bien plus faible au premier tour des régionales qu’à la présidentielle).

Entretemps, la formation frontiste a présenté plus de 500 listes aux municipales et remporté 10 villes puis elle est arrivée en tête aux élections européennes, a fait élire deux sénateurs et a atteint 25% au premier tour des départementales, élection s’étant soldée par un gain de 31 cantons.

Au terme de cette séquence de forte progression, quelle est aujourd’hui la structure du vote FN ? Dans quelles catégories de la population a-t-il gagné le plus de terrain et les attentats ont-ils favorisé cette progression ? Pour répondre à ces questions, nous nous baserons sur les données des Sondages Jour du Vote de l’Ifop réalisés lors des premiers tours des départementales de mars et des régionales de décembre 2015. 

1-Sociologie du vote FN

La structure socio-démographique du vote frontiste demeure très stable. On constate ainsi toujours un sur-vote dans l’électorat masculin et une meilleure audience parmi les tranches d’âge actives (35-49 ans) avec un vote élevé mais proche de la moyenne chez les plus jeunes (moins de 24 ans). Le verrou existant parmi les seniors est toujours puissant puisque cette classe d’âge demeure très majoritairement favorable à la droite alors que le Front National est arrivé en tête dans toutes les autres générations.

Par rapport aux élections départementales de mars dernier (où le niveau d’abstention a été quasi-identique, ce qui permet de faire des comparaisons sur un corps électoral similaire), on constate une légère progression chez les femmes (+4 points contre une stabilité du score parmi les hommes) et un gain assez conséquent dans les générations les plus jeunes : +7 points auprès des moins de 35 ans et +6 points auprès des 35-49 ans. Le gain est en revanche quasi-nul dans les tranches d’âge plus âgées, -2 points chez les 50-64 ans et +2 points parmi les 65 ans et plus. Pour les seniors, bien que le Front National y dispose d’une marge de progression, la dynamique qui a été observée chez les plus jeunes ne s’est donc pas produite et cette tranche d’âge est restée majoritairement ancrée à droite (40% pour les listes de droite parmi les 65 ans et plus).

Disposant de bases toujours aussi solides dans ses catégories phares, le Front National diffuse son audience dans d’autres strates sociologiques de la population, ce mouvement amenant à la progression de son score au niveau global. La formation lepéniste enregistre ainsi une nouvelle fois ses meilleures performances avec 51% (+2 points) parmi les ouvriers et auprès des employés (38%, stable) soit un total de 43% dans les milieux populaires mais sans y progresser de nouveau comme si le parti avait déjà fait le plein dans ces catégories. Un mouvement de hausse s’observe en revanche dans d’autres groupes sociaux traditionnellement marqués à droite : +12 points chez les artisans et commerçants et +3 points parmi les professions libérales et les cadres supérieurs.

L’assise sociologique du Front National se dessine alors de la manière suivante : une très forte implantation auprès des chômeurs (42%), des milieux populaires (43%) et des artisans/commerçants (40%) et une audience plus limitée, mais néanmoins désormais réelle, auprès des cadres supérieurs et professions libérales (16%), des professions intermédiaires (20%) et des retraités (21%). Même si ces « insiders » demeurent les plus réticents au vote frontiste, ce dernier est désormais bel et bien présent dans toutes les couches de la société avec un minimum de 16% chez les CSP+ et un maximum de 51% parmi les ouvriers.

Cette pénétration du vote Front National notamment dans le monde du travail s’observe particulièrement quand on analyse les votes en fonction de la proximité syndicale. On constate en effet qu’aucune centrale n’est à l’abri avec 27% pour le Front National parmi les sympathisants de la CGT, 26% auprès de ceux de la CFDT et 34% chez les scrutins de FO [1]. Aucun segment n’est donc épargné par ce phénomène.

2- Une poussée frontiste dans la France catholique

On voit aussi, et c’est l’un des enseignements de ce scrutin, qu’un phénomène de rattrapage s’est opéré parmi les catholiques pratiquants. Entre les élections départementales et le premier tour des régionales, le vote Front National y est ainsi passé de 16% à 25% soit une progression de 9 points [2].

Cette forte progression du Front National parmi les catholiques (et notamment les pratiquants) est d’autant plus marquante que dans le même temps, ce vote refluait de 2 points dans la population se déclarant sans confession. Il y a donc des causes ou des facteurs spécifiques qui ont joué sur une frange des catholiques et pas dans le reste de la population. On peut penser que l’inquiétude croissante d’une partie des catholiques concernant la montée en puissance de l’islam, perçu comme menaçant ou concurrençant un catholicisme en déclin, constitue la toile de fond de cette droitisation et de ce durcissement identitaire. Qu’il s’agisse du succès de la pétition lancée par Valeurs Actuelles pour refuser que des églises ne soient converties en mosquées (comme l’avait maladroitement proposé Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris), ou de la levée de boucliers suite à la recommandation de l’Association des Maires de France de ne plus installer de crèches de Noël dans les mairies afin de respecter à la lettre le principe de laïcité, on constate que toute une partie de la France catholique se mobilise très rapidement sur ce type de sujets « identitaires ». Si le mouvement de la Manif pour tous ne s’est pas réinvesti sur ces enjeux à l’issue du débat sur le mariage homosexuel, on peut penser qu’il a contribué à mettre sous tension toute une partie du monde catholique qui a pris conscience de la nécessité de se mobiliser pour défendre ses convictions et ses valeurs.

Dans ce contexte particulier, l’idée du péril islamiste, qui était déjà présente de manière plus ou moins sous-jacente depuis plusieurs années, a gagné en puissance et s’est considérablement renforcée avec les attentats de janvier puis ceux de novembre. A cela s’ajoute le trouble créé par la crise des migrants parmi les catholiques français. Un sondage Ifop pour Pèlerin [3] réalisé en septembre dernier montrait que si 58% des catholiques pratiquants approuvaient la demande du Pape selon laquelle chaque paroisse d’Europe devait accueillir une famille de migrants, 31% la désapprouvaient et 11% y étaient indifférents, cette position d’indifférence étant assez rare chez des pratiquants lorsqu’il s’agit de la parole papale. Le fait que ces migrants soient musulmans a sans doute joué sur la réticence d’une partie des catholiques français à pratiquer la charité chrétienne. On se souvient que plusieurs maires de droite avaient signifié qu’ils étaient prêts à accueillir des migrants dans leur ville mais uniquement des chrétiens. Et dans le même ordre d’idées, on rappellera qu’en août 2014, après la prise de Mossoul par l’Etat islamique, 76% des catholiques pratiquants étaient favorables à ce que la France accueille des chrétiens d’Orient [4] alors que cette proportion n’était plus que de 49% en septembre dernier lorsqu’il s’agissait des migrants, très majoritairement musulmans. Dans ce cadre, les multiples signaux adressés par Marion Maréchal Le Pen aux catholiques ont sans doute rencontré un écho notamment ceux sommant les musulmans de s’assimiler. La candidate frontiste en Paca a ainsi déclaré le 1er décembre lors d’un meeting à Toulon : "Nous ne sommes pas une terre d'Islam, et si des Français peuvent être de confession musulmane, c'est à la condition seulement de se plier aux mœurs et au mode de vie que l'influence grecque, romaine, et seize siècles de chrétienté ont façonné", avant d’ajouter :  "chez nous, on ne vit pas en djellaba, on ne vit pas en voile intégral et on n'impose pas des mosquées cathédrales".    

3- Les attentats ont favorisé le basculement vers le FN d’une partie de l’électorat de droite

On a vu que parallèlement à la poussée frontiste parmi les catholiques pratiquants, le Front National avait également fortement progressé auprès des commerçants et artisans, autre catégorie constituant le socle électoral de la droite [5]. Le nouveau franchissement de palier depuis les départementales a donc été permis par l’apport d’électeurs de droite. Cette hypothèse est confirmée par le sondage Jour du Vote de l’Ifop [6] selon lequel 18% des électeurs de Nicolas Sarkozy du premier tour de 2012 étant allés voter aux régionales ont voté pour le Front National. 

L’analyse des motivations de vote des différents segments de l’électorat de droite permet de mieux comprendre comment s’est opéré ce basculement. Comme le montre le tableau suivant, ce n’est pas sur la question du pouvoir d’achat et du coût de la vie que des électeurs sarkozystes se sont tournés vers le FN. Onconstate en effet que le niveau de cette préoccupation est identique parmi les électeurs sarkozystes restés fidèles à la droite et parmi ceux qui ont voté pour le Front National aux régionales et que ce niveau est nettement inférieur à ce que l’on mesure dans l’électorat Front National traditionnel, dans lequel ce sujet est beaucoup plus déterminant. A l’inverse, on observe que sur les thèmes de la sécurité des personnes et de biens, de la lutte contre le terrorisme ou de l’accueil des migrants, les scores sont très élevés et totalement identiques entre les électeurs frontistes traditionnels et les électeurs de droite ayant basculé. C’est donc bien sur ces thèmes que la porosité est la plus forte entre le Front National et une partie de la droite et que le basculement a pu s’opérer. On voit que c’est également sur ces thèmes qu’une fracture existe au sein même de l’électorat de Nicolas Sarkozy de 2012. En termes d’intensité des préoccupations, il y a en effet entre 20 et 30 points d’écart entre les électeurs de droite « fidèles » et les « ralliés » au Front National. 

On mesure également un différentiel de 25 points entre les deux segments de l’électorat de droite sur la question du développement économique et de l’aide aux entreprises. Ce sujet apparaît comme la priorité des électeurs de droite « fidèles » alors que son importance semble beaucoup plus relative parmi les « transfuges ». En termes de priorités, ces derniers taraudés par la question identitaire et sécuritaire, placent en tête et loin devant, la lutte contre le terrorisme et la délinquance et la question des migrants, à l’instar des électeurs traditionnels du Front National qu’ils ont rejoints pour ce scrutin.  

Le contexte créé par la crise des migrants cet été et les attentats de janvier et de novembre a joué un rôle décisif dans ce basculement. Si 8% de l’ensemble des votants au premier tour déclarent avoir changé d’avis dans leur choix de vote à la suite des attentats du 13 novembre, cette proportion s’établit à 16% dans l’électorat du Front National au premier tour des régionales. Mais comme le montre le tableau suivant, l’impact des attentats n’a concerné que 7% des électeurs Front National « traditionnels » (qui étaient sans doute déjà largement ancrés dans leurs convictions préalablement) mais s’élève à 26% parmi les « transfuges » provenant de la droite.

Cet événement a donc constitué un choc qui a conduit au basculement vers le Front National de la fraction de l’électorat de droite la plus sensible à ces thématiques. Parmi l’électorat de droite « fidèle », seulement 2% des personnes interrogées ont indiqué que les attentats avaient modifié le choix de leur vote pour ces élections. 

[1] Sondage Ifop pour l’Humanité réalisé par internet le 6 décembre 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 2904 personnes inscrites sur les listes électorales.

[2] Sondage Ifop pour Pèlerin réalisé par internet le 6 décembre 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 2904 personnes inscrites sur les listes électorales.

[3] Sondage réalisé par internet du 16 au 21 septembre 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 2997 personnes.

[4] Sondage Ifop pour Le Figaro réalisé par internet de 30 juillet au 1er août 2014 auprès d’un échantillon national représentatif de 1002 personnes.

[5] Il semblerait également qu’un autre électorat « droitier », les gendarmes (qui pèsent certes sociologiquement moins lourd que les catégories précédemment citées) ait été marqués par un même phénomène de poussée frontiste. Ainsi, dans le bureau de vote n°10 de Versailles, correspondant au camp de Satory, le vote FN est passé de 46,1% à 61,9% entre la présidentielle et les régionales et dans le bureau de vote n°14 de Nanterre, où ne sont inscrits que des gardes républicains et des membres de leur famille, ces scores sont passés de 37,5% à 51,8%.

[6] Sondage Ifop-Fiducial pour I Télé, Paris-Match et Sud Radio réalisé par internet du 16 au 21 septembre 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 2997 personnes. 

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