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Quand les magistrats tentent de se défendre des accusations d’être des juges sous influence
©Reuters

Procès d'intention

Nos juges manqueraient-ils de colonne vertébrale ? Un gouvernement des juges est-il en train de naître dans notre pays ? Seraient-ils changeants au gré des alternances politiques ?- Un colloque, de haut niveau, organisé le 27 novembre au Conseil économique, social et environnemental, a tenté d'y répondre.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Le juge est-il sous influence ? A-t-il suffisamment de distance par rapport à un accusé ? Ne faut-il pas craindre un gouvernement des juges ? Pourquoi les juges sont-ils les mal-aimés de notre société ? Sont-ils vraiment indépendants ? Autant de questions récurrentes qui agitent l’opinion depuis une trentaine d’années dans notre pays. A chaque fois, au gré des moments, des évènements, les réponses varient. Aussi, le syndicat FO des magistrats- dont Béatrice Brugère est la secrétaire générale- a eu l’idée d’organiser le vendredi 27 novembre, un colloque au Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour tenter de répondre à ces questions. Quelques vedettes étaient présentes comme le juge Renaud Van Ruymbeke, figure de proue de la lutte contre la corruption depuis plus de 30 ans, Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique, connue pour dénoncer la psychiatrisation de plus en plus forte de la justice, Mathieu Bock-Cote sociologue et chargé de cour à l’université de Sherbrooke à Montréal ou encore Guillaume Didier ancien porte-parole, notamment, de Rachida Dati, reconverti dans la communication judiciaire.

Un colloque, où l’on a parlé sans tabou. Ce qui est rare dans ce genre de réunion. L’attitude des magistrats pendant la période de l’Occupation soit de 1940 à 1944 ? Une historienne, spécialiste de cette période, Virginie Sansico, a évoqué l’attitude de l’immense majorité des juges, en poste sous la République (la IIIème) qui sans coup férir a prêté serment au maréchal Pétain… avant au bout de quatre ans de participer aux tribunaux de l'épuration… Cette même magistrature qui ne se privait pas d’appliquer les lois antisémites de Vichy avant de se rallier, sans trop de difficultés à la loi républicaine issue de la Résistance. Un participant en a profité pour rappeler que le procureur général André Mornet qui a requis contre Pétain avait prêté serment en 1940 à l’ancien vainqueur de Verdun. Un autre-magistrat- a rappelé qu’à la Libération, bon nombre de collaborateurs ont été jugés dans des conditions fort peu républicaines. Période peu glorieuse pour la justice ! En tout cas, aucun des participants, pas même l’historienne, n’a rappelé que seul un magistrat n’avait pas voulu faire allégeance au régime du maréchal Pétain…

Avec la question de la laïcité, là, pas de problème, notre pays, et la justice essayant tant bien que mal de faire appliquer la loi.... Heureusement, avec l’intervention de Mathieu Bock Cote, l’assistance s’est sentie soulagée. Surtout lorsque ce dernier a révélé quelques décisions de la Cour fédérale du Canada-… Jugez plutôt : cette juridiction a considéré qu’empêcher une jeune Sikh de porter un poignard de cérémonie à l’école était discriminatoire. Et portait atteinte au multiculturalisme. La Cour fédérale a même considéré qu’une femme musulmane pouvait aller voter en niqab. En vertu du droit à la différence. En France, une femme se verrait refuser l’entrée d’un bureau de vote si elle se présentait en niqab. Si d’aventure, elle contestait cette interdiction il y a de grandes chances pour que le juge lui donne tort. En effet, le juge quoique l’opinion en pense, est le gardien des libertés individuelles et le gardien de la loi. Il s’y tient. Pas plus pas moins.

Béatrice Brugère, aujourd’hui vice-procureur de la République à Paris, a taillé en pièces cette vision de certains – sans doute les politiques- qui affirment que nous vivons sous "un gouvernement des juges". Avant d’ajouter : "Hier [sous la droite] nous étions d’horribles répressifs ; aujourd’hui [sous la gauche], nous sommes devenus d’horribles laxistes." Voilà bien comme l’a dit Jean de Maillard, vice-président au Tribunal de Grande Instance de Paris, un beau stéréotype. Comme celui qui veut que le juge d’instruction soit toujours Balzac, "l’homme le plus puissant" de France. Faux et faux martèle Renaud Van Ruymbeke. Et de rappeler que désormais la collégialité existe depuis de nombreuses années. Ce qui permet à chaque magistrat de se consulter, de réfléchir avant la prise d’une décision. D’ailleurs, l’enquête sur les attentats de Paris du 13 novembre a été confiée à 6 juges d’instruction. Du jamais vu. Soit. Ce qui n’empêche pas ce commentaire ironique d’un de leurs collègues : "On n’arrive déjà pas à se réunir à deux ou trois, alors à six, ça risque d’être la croix et la bannière !"

Autre idée préconçue : celle qui consiste à opposer juges d’instruction et avocats. "Pas d’accord, répète l’emblématique juge Van Ruymbeke, la porte de mon cabinet, mes dossiers sont ouverts à tout le monde. Mais je dois faire attention à ne pas me faire manipuler, tempère-t-il…" Et, a-t- il ajouté, on a essayé de le faire. Ou tenté de porter des coups à ses instructions. Et de citer l’affaire Kerviel, dont la condamnation a été confirmée par la Cour de Cassation. Qui n’a oublié le bruit autour de cette affaire, pour faire de Kerviel tour à tour une victime puis un héros qui lutte contre l’ogre bancaire ? Rappelez-vous les multiples papiers annonçant que l’ancien trader de la Société Générale allait rencontrer le pape… Van Ruymbeke, ironique, de citer le quotidien La Croix qui apportait un démenti du Vatican : Jérôme Kerviel n’a jamais été reçu par le Saint-Père. Après tout libre à un prévenu de choisir les journaux pour se défendre ou se justifier. Cette stratégie est-elle payante ? Est-ce une bonne stratégie ? Depuis quelque temps, se développent des cabinets de communication judiciaire. Ainsi, Vae Solis, dans lequel est associé Guillaume Didier, ancien juge d’instruction à Douai, il y peu encore en poste à la Chancellerie. Il est surtout présent, a-t-il précisé, chez les parties civiles, victimes d’attentats. A coup sûr, il peut être utile. Mais sa présence au côté d'un mis en examen, ne risque-t-elle pas de déplaire à ses anciens collègues qui lui reprocheront d’être passé de l’autre côté du miroir ? On eut aimé, au cours de ce colloque, que l’on évoque le statut du magistrat, de sa responsabilité, -question très souvent soulevée par la droite et les justiciables- de sa place dans la lutte contre le terrorisme, de ses relations avec le pouvoir politique… Et aussi que l’on réponde à cette question angoissante posée par le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye : "pourquoi la force du droit se fait-elle de plus en plus suppléer par le droit à la force ?" 

Erratum : Matthieu Block-Cote est sociologue chargé de cour à l'Université de Sherbrooke, et non professeur de psychologie. Les affaires de laïcité au Canada ont été portées devant la Cour fédérale, et non la Cour suprême.

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