Kalachnikov à tous les étages : comment la France a-t-elle pu perdre à ce point le contrôle de la circulation des armes de guerre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une prise d'otages avec kalachnikovs a eu lieu à Roubaix.
Une prise d'otages avec kalachnikovs a eu lieu à Roubaix.
©Reuters

Le choix des armes

Un douanier a été tué lors d'une interpellation pour trafic d'armes à Toulon lundi 23 novembre. Le lendemain, une prise d'otages avec kalachnikovs a eu lieu à Roubaix. Face au fléau de la libre circulation des armes en France depuis près de 20 ans, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a dévoilé vendredi 20 novembre un plan en 20 mesures pour lutter contre le trafic d’armes.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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Atlantico : Une prise d'otages s'est déroulée mardi soir dans une maison de Roubaix (Nord), les agresseurs étaient une nouvelle fois armés de Kalashnikov. Ces armes se sont répandues sur le territoire depuis le milieu des années 90. Les pouvoirs publics ont-ils réellement pris la mesure du problème posé ? Quel état des lieux peut-on dresser de la situation ?

Stéphane Quéré : Tout d'abord, concernant l'affaire de Roubaix, il s'agit de ce que l'on nomme le "tiger-kidnapping", de plus en plus courant en France et bien connu en Belgique. La famille d'un commerçant, banquier, bijoutier… est pris en otage et les criminels forcent la personne à ouvrir le coffre du commerce. Les séquestrations à domicile de ce type se répandent. Les malfaiteurs s'emparent du butin au domicile, ou alors ils retiennent en otage la famille pendant qu'un autre se rend physiquement sur les lieux du commerce pour récupérer les biens.

Les kalachnikovs sont de plus en plus courantes même si on n'en trouve pas à chaque coin de rue ! La puissance de feu et la symbolique sont importantes dans le milieu criminel, néanmoins il ne s'agit pas de l'arme la plus répandue.
En effet, depuis les années 90 avec les guerres d'ex-Yougoslavie où les stocks d'armes des différentes casernes des anciens Etats de la région et l'effondrement de l'Albanie en 1997, on a constaté une vague d'importation de kalachnikovs essentiellement par des filières serbes ou assimilées. Les kalachnikovs, lances-rocket ou explosifs venant en France découlent d'un trafic de fourmis organisées.

La situation en France est de plus en plus problématique en matière d'armes. Ainsi, on a doublé les saisies d'armes, toutes armes confondues (armes de guerre, arme de poing, armes de chasse…) depuis 2010. En 2010, environ 2700 armes avaient été saisies en France, l'année dernière le nombre s'élevait à 5300. Il faudrait se pencher sur le détail des armes saisies, à savoir quelle est la part de chaque catégorie dans ces saisies.  

Suite aux attentats de janvier en France, une première prise de conscience a eu lieu. Avant ces évènements, les services de police se sont aperçus que les armes de type kalachnikov, arme de guerre étaient de plus en plus utilisées dans des règlements de comptes, comme à Marseille. Traditionnellement, ces armes servaient aux braquages de fourgons notamment, pour des actions ciblées nécessitant une puissance de feu conséquente. Aujourd'hui, les criminels ont recours à ces armes dans des conflits peu importants. Cette situation est nouvelle. Les armes de poing continuent à être fréquentes même si la kalachnikov est davantage mise en avant par les médias que d'autres armes.

Aujourd'hui est-il aisé de se procurer des armes illégalement en France ?

Non ce n'est pas particulièrement facile ! Evidemment si vous avez des contacts dans le milieu criminel, il est possible de se procurer une kalachnikov pour environ 1000 euros. Pour un simple citoyen, lambda, ce ne sera pas si facile. Les collectionneurs quant à eux pourront s'échanger des pièces d'arme plus que des armes. Il ne faut pas exagérer le phénomène qui est en augmentation notamment grâce à internet ; cela reste compliqué sans contact. Ceux qui sont dans le trafic d'armes évitent d'en vendre aux terroristes. La pression policière n'est pas la même. Le problème c'est qu'avec les profils des personnes ayant participé aux derniers attentats, et ce, même s'il est difficile de faire la distinction entre les criminels et les terroristes. En effet, les personnes arrêtées ou actuellement recherchées pour faits de terrorisme ont toute été arrêtées auparavant pour petite, moyenne ou grande délinquance. En janvier dernier, un vendeur d'arme de Charleroi s'était livré à la police belge parce qu'il avait vendu des armes à Amedy Coulibaly. Il pensait, lors de la vente, que ce n'était qu'un simple braqueur, or, les peines ne sont pas les mêmes.

Quelles ont été les politiques menées contre ce fléau ces dernières années en France ? En Europe ? Quelles autres mesures permettraient d'être plus efficace sur ce point ?

Cela remonte à vendredi 13 novembre 2015 ! Un plan national de lutte contre la détention illégale d'armes a été annoncé par le ministère de l'Intérieur ce jour-là. Ce plan se divise en 5 axes : l'identification et la connaissance des filières clandestines à travers l'étude des organisations criminelles, l'étude des réseaux sur internet avec le "darknet" notamment, des actions ciblées grâce à l'office centrale de lutte contre le crime organisé, les douanes également impliquées dans cette lutte comme le montre la mort du douanier à Toulon dans le cadre d'une fusillade au M16 sur fond de trafic d'armes. Il faut aussi noter le développement de la coopération européenne au programme ; une directive européenne sur les armes datant de 1991 est en cour de révision. Enfin, des actions de communication envers la population devraient bientôt voir le jour à destination de ceux qui détiennent illégalement des armes par le biais d'héritages familiaux par exemple. S'il ne s'agit pas des armes utilisées pour mener des actions de grand banditisme, elles peuvent néanmoins être à l'origine de graves accidents ou faire l'objet de vol.

A l'échelle européenne, on remarque un problème d'harmonisation sur le plan de la législation et des pratiques de neutralisation des armes lorsqu'elles sont saisies. En Espagne, la neutralisation est très légère, et un armurier du dimanche peut très facilement remettre en état des armes neutralisées au préalable. Il y a aussi la question des armes de poing tirant à blanc, souvent des armes turques ou tchèques, qui peuvent être facilement modifiées pour pouvoir tirer à balle réelle. Suite aux évènements sanglants ces derniers jours, je pense que tout cela sera remis à plat sur plan européen. On peut donc espérer obtenir une harmonisation européenne quant à la neutralisation des armes.

Les mesures annoncées sous l'état d'urgence seront-elles suffisantes pour éradiquer la présence d'armes de guerre sur le territoire ?

Cela facilite les descentes des forces de l'ordre dans les banlieues, mais en soi, cela a peu d'influence sur la lutte contre le trafic d'armes.  
L'harmonisation européenne sur les armes étrangères peut facilement être remise en état. Il est aussi nécessaire de faire du renseignement criminel, d'étudier les réseaux, ce qui est valable aussi dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le radicalisme à travers par exemple le renseignement humain dans les zones sensibles où ces phénomènes ont lieu. Cela demande du temps et des moyens. 

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