En guerre, oui mais contre qui ? L'Etat islamique, objet terroriste non identifié. Partie 2 : que sait-on vraiment sur L'EI ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un leader de l'organisation terroriste.
Un leader de l'organisation terroriste.
©Reuters

Aux racines de l'organisation

Ancien toxicomane, vendeur dans un video-store de Jordanie... le fondateur de l'Etat islamique est tout sauf un sunnite rigoriste. Deuxième partie de notre série sur l'Etat islamique.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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>> Lire également la première partie de la série consacrée à l'Etat islamique : En guerre, oui mais contre qui ? L’Etat islamique, objet terroriste non identifié. Partie 1 : tout ce que le groupe islamiste n’est pas

Abu Musab al-Zarqawi, jihadi hors-normes

Commençons par le fondateur officiel et chef de l'Etat islamique (2003-juin 2006) "abu Musab al-Zarqawi", encore présenté (et loué) comme tel par de récentes (printemps 2015) vidéos de propagande de l'EI.

Il s'agit de Ahmad Fadhil Nazzal, al-Khalayleh (nom de son clan, dans la tribu des Bani Hassan). Il se dit "abu Musab" en référence à Musab bin Omar, compagnon du Prophète et "al-Zarqawi", pour la ville jordanienne de Zarqa, ou Zarka, où il est né.

Al-Zarqawi est tout, sauf un chevalier blanc du salafisme. Plutôt un paumé, un errant à la Lee Harvey Oswald : vendeur dans une video-store du fin fond de la Jordanie, voyou tatoué et toxicomane. Dans la décennie 1990, sa famille le fait désintoxiquer (purification et prière) par des salafistes. Le succès dépasse les espérances familiales car vers 1999, le jeune Ahmad Fadhil fonde un groupuscule jihadi, nommé (comme bien d'autres) "Jama'at al-Tawhid wa'l jihad" (association pour le monothéisme et la guerre sainte) ; en fait, une micro-secte mortifère.

Traînant déjà une réputation d'agent provocateur ou d'assassin à gages, le désormais "Abu Musab al-Zarqawi" part pour l'Afghanistan avec sa troupe. De 2001 à 2003, époque cruciale, son itinéraire international est bien repéré : nous verrons plus bas, rayon étrangetés, qu'il est même franchement étonnant.

En 2003, Zarqawi et ses hommes s'installent finalement en Irak, où il crée l'année suivante (2004) "Tanzim Qaedat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn" (al-Qaïda en Irak). D'emblée Zarqawi s'appuie sur les réseaux baathistes et soufi (1), qui l'aident et l'équipent ; notamment ceux du général Izzat al-Douri, un fidèle de Saddam Hussein. Là encore, de bizarres fréquentations pour un salafiste : des laïcs... des soufis...

Les atrocités prennent alors (décapitations face caméra, etc.) un tel éclat médiatique, qu'abu-Musab finit par être désavoué et maudit par son clan jordanien (al-Khalayleh) et sa tribu (Bani Hassan). Juin 2006 : al-Zarqawi est tué par une frappe aérienne américaine, près de Baquba (Irak). Lui succède alors un tandem : chef militaire (un Egyptien) abu Hamza al-Muhajer, aussi surnommé abu Ayoub al-Masri ; chef politique, abu Omar al Baghdadi, déjà cité plus haut. Tous deux sont tués en avril 2010 près de Tikrit (Irak) lors d'une opération militaire. Un mois plus tard, leur successeur est connu : c'est abu Bakr al-Baghadi, toujours en poste.

Le curieux état-major de l'E.I.

Retour aux fondamentaux : dès la fin de la décennie 1990, le groupe salafiste-jihadi conçu et dirigé par al-Zarqawi se veut un parangon du rigorisme sunnite. Il est lancé dans une lutte à mort contre les pires ennemis du sunnisme intégriste : les laïcs et nationalistes (à la Saddam Hussein, ou à la al-Sisi) et les chi'ites, que les salafistes tiennent pour une hérésie proto-chrétienne corrompant l'islam vrai. L'objectif final autoproclamé de l'EI est d'établir par le jihad un califat couvrant à terme la planète, où vivraient tous les musulmans du monde, dans l'observance de la charia.

Voilà la théorie ; ce qu'affiche la propagande de l'EI. Or à chaque pas, et déjà plusieurs fois dans ce texte, l'observateur butte sur de fort concrètes contradictions. Le président Mao dit jadis "la théorie se vérifie par la pratique" ; eh bien, avec l'Etat islamique, pas du tout. A tout bout de champ, la théorie et la pratique se contrarient - quand elles ne s'excluent tout simplement pas.

Considérons le commandement et l'encadrement de l'EI : souvent issus du camp de prisonniers américains de Bucca (2), nombre des chefs de l'EI sont, non des jihadis formés en Afghanistan ou ailleurs, mais des officiers de l'armée (laïque et multiconfessionnelle, chi'ites, sunnites, chrétiens...) de Saddam. Selon des sources recoupées, quatre membres du conseil militaire de l'EI, sept des "gouverneurs" de ses douze "provinces" ; son "ministre des finances", sont passés par Bucca.

Plus largement, on trouve comme cadres de l'EI de cent à cent-soixante officiers de l'armée de Saddam, en charge du renseignement, des arsenaux et des "programmes spéciaux" (armes chimiques, etc.).

Jusqu'en août 2015 (3), le N°2 de l'EI, chef de son conseil militaire et architecte de sa stratégie est Fadel al-Ayali, dit "Abu Mutazz", ex-major du SR militaire de Saddam, service peu enclin à se laisser infiltrer par des taupes salafistes...

Le n°3 de l'EI est "abu Ali al-Anbari", (nom inconnu), ex-baathiste et général-major de l'armée de Saddam, en charge des opérations militaires en Syrie.

Autre personnage important dans l'"armée" de l'EI, l'ex-colonel de l'armée de Saddam Taha Taher al-Ani. Durant les débuts chaotiques de l'occupation américaine, il s'est emparé d'énormes quantités d'armes et de munitions, ensuite dévolues à l'EI.

Dans ces états-majors et cet encadrement, mais où sont les islamistes "canal historique" ? Apparemment, nulle part. Curieux pour un "califat" ultra-sunnite.


(1) Ceux de l'ancienne et  puissante confrérie des Naqshbandi, entrée en guerre contre l'occupation américaine.

(2) Camp militaire, sis non loin de la ville irakienne d'Umm Qasr. Là, des années durant, l'armée d'occupation américaine a entretenu (involontairement, espérons-le) une superbe "couveuse à terroristes".

(3) Il semble avoir été tué près de Mossoul, au nord de l'Irak, par une attaque de drone, le 18 août 2015. Cf. sources de l'étude, 21/08/15, Reuters.

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