Mixité sociale à l’école : et si Najat Vallaud-Belkacem se penchait aussi sur l’enseignement privé musulman ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Et si Najat Vallaud-Belkacem se penchait aussi sur l’enseignement privé musulman?
Et si Najat Vallaud-Belkacem se penchait aussi sur l’enseignement privé musulman?
©Reuters

Interro surprise

Dans son plan pour la mixité à l'école, Najat Vallaud-Belkacem a dit vouloir revenir sur la carte scolaire. La ministre de l'Education Nationale a également souhaité associer les établissements privés sous contrat avec l'Etat à l'expérimentation qui sera mise en place dès la rentrée 2016. Parmi ces écoles privées, les établissements musulmans : le respect de la mixité n'y est pas vraiment au programme.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Le discours qui justifie ce dispositif confond, volontairement ou non, la mixité sociale et la mixité ethnique. En quoi est-ce un problème?

La ministre vient sous une forme nouvelle de relancer la question de la carte scolaire, réinterrogeant le problème de la mixité sociale. Il s’agit de créer des secteurs multi-collèges. On aurait ainsi par exemple trois collèges sur un même secteur, les écoles de celui-ci n’envoyant plus leurs élèves sur un seul collège mais plusieurs, en veillant à la mixité sociale. Le but en serait d’éviter que certains collèges accueillent majoritairement des publics favorisés au regard d’autres ghettoïsés. On élargit la démarche aux écoles privées, religieuses, sollicitées et incitées financièrement pour cela.

Tout d’abord, on entend soutenir un système scolaire public qui est censée combattre les inégalités sociales sur le chemin qui mène à la réussite scolaire, et on entretient un système complémentaire privé largement financé par l’Etat, qui lui, est totalement dérogatoire au regard de la mixité sociale, car Il choisit ses élèves. C’est bien d’ailleurs ce sur quoi comptent les parents qui mettent leurs enfants en école privée. Ils pensent que sous cette condition sélective, ils peuvent mieux réussir, parce qu’ayant de meilleures conditions pour travailler que dans des classes à fort taux d’élèves en difficulté scolaire (de faible niveau), ou en difficulté éducative (qui perturbent les cours). L’école publique elle n’a pas le choix de ses élèves. C’est donc encore fabriquer des inégalités entre public et privé, ce qui n’est certainement pas la solution.

Le problème qui est posé, dès qu’on évoque la mixité sociale, commence par le sens qu’on lui donne. L’expérience le montre, le dézonage de la carte scolaire a surtout permis à de bons élèves qui vivaient dans des quartiers prioritaires, où l’échec scolaire est élevé et le niveau des établissements faible, d’aller chercher dans d’autres établissements la réussite. On a ainsi favorisé encore plus la ghettoïsation. Si on entend par plus de mixité sociale, plus de mixité entre mauvais et bons élèves, la tâche va être ardue.

D’autant que l’on constate qu’à vouloir faire réussir tout le monde, on abaisse le niveau des enseignements et on tend vers une dévalorisation du diplôme, qui n’est susceptible de garder de la valeur, comme c’est le cas du Bac, qu’avec mention, induisant un nouveau cran de sélection. On voit déjà là que, sans prendre le problème à la racine, toutes les usines à gaz du type de celle proposée par la ministre, qui se surajoute à l’assouplissement de la carte scolaire, ne peuvent aboutir au final, qu’à renforcer encore les différences entre élèves, à l’éclatement de leurs situations. Nous n’aurons bientôt plus de repère commun en la matière. A quand une école sur mesure pour chacun qui n’aura plus aucune signification pour tous et efficacité de socialisation, ce qui est tout de même sa première mission, celle de faire des individus autonomes et des citoyens responsables à l’aune de références partagées par tous.

Il y a aussi un autre problème derrière cette notion de mixité sociale, c’est implicitement cette proposition qui voudrait que les élèves de familles pauvres, qui sont tendanciellement les plus en difficulté, sont toujours les mêmes victimes d’un système qui discriminerait socialement mais aussi ethniquement. Ainsi, la mixité sociale aurait un caractère de lutte contre les discriminations, les familles dites pauvres résonnant d’une dimension de diversité culturelle, à laquelle on raccroche l’idée d’une population plus particulièrement mise à part. Rappelons que 75% des familles vivant dans les zones prioritaires n’ont rien à voir avec l’immigration. Il y a derrière cette tendance à vouloir se convaincre que défendre la mixité sociale, c’est défendre une figure de l’opprimé qui rejoint l’immigré, souvent musulman, ramenant le débat à une question de discrimination voire de racisme. La mixité sociale est ainsi tirée vers une lecture ethnique de notre société. On encourage ainsi une tendance qui est déjà bien ancrée de victimisation, qui fait que des difficultés sociales se voient rabattues sur le plan des discriminations, de façon largement erronée. Ce qui conduit, contrairement au but recherché, au rejet de l’école républicaine elle-même, puisque ce seraient des discriminations qu’elle reproduirait d’où viendrait le mal, qu’il faudrait corriger. La République elle-même étant mise en procès de racisme permanent avec un malentendu qui ne cesse ainsi de grandir.

Comment la question de la mixité dans les écoles musulmanes, qu'elles soient ou non sous contrat avec l'Etat, se pose-t-elle ? De quelle mixité parlons-nous ?

La mixité dont que l’on défend du côté de la ministre, serait censée contrecarrer des discriminations sociales et ethniques aboutissant à une ghettoïsation. Mais est-ce bien cela, à supposer que ce postulat soit vrai, que l’on combattrait, autrement dit, cette ghettoïsation ? Certainement pas ! Parmi les élèves en difficultés, on explique qu’une large part d’entre eux le seraient en raison d’une situation d’exclusion sociale et ethnique qui leur serait faite, et donc d’exclusion parce que issus de l’immigration, très majoritairement musulmans en reflet de l’histoire de l’immigration de la France. Ainsi, en sollicitant des écoles musulmanes sous contrat pour ce dispositif, on risque d’encourager une prédestination de ces enfants par leurs parents vers ces établissements dans cet état d’esprit, répondant à cette victimisation par un repli. Des écoles pour lesquelles ce dispositif pourrait être ressenti comme un effet d’aubaine, avec un encouragement à y ouvrir de nouvelles classes, puisqu’il y a un accompagnement financier de l’Etat prévu à cet effet, pour celles qui y entreraient. Ce qui risquerait bien de se traduire par un  soutien au développement de l’école privée en même temps que favorisant une ghettoïsation et une communautarisation déjà en marche. Ce qui ne peut que constituer un poison pour notre vivre ensemble, et se traduire par une attaque de plus contre une République du mélange que les mises à part sapent un peu plus chaque jour. Il faut au contraire encourager ces enfants avec leurs familles à rester dans l’école publique, une école publique exigeante en faveur de l’égalité des élèves.

La mixité devrait être entendue aussi autrement, dans le sens de la mixité garçons-filles, qui convoque la question de l’égalité, qui comprend aussi des tensions sur le front de la problématique identitaire. Dans ces établissements, il est clair que la culture religieuse est présente et l’inégalité entre hommes et femmes (affirmée dans les sourates 2 et 4 du coran, jamais contestée) plus ou moins, qu’on le veuille ou non, en toile de fond. Il est un fait que la mosquée où l’on sépare hommes et femmes est un modèle des relations entre les sexes qui n’est pas sans conséquence sur la culture qui sert de référence, dans ce domaine, aux enfants.

Lutter contre le machisme ordinaire, autre forme de mise à part, d'exclusion sur le fondement de la différence des sexes, c’est lutter contre des rapports de domination hommes-femmes à la valeur parfois normative, à tirer leur légitimité de la culture ou/et de la religion. Quand on sait combien l'égalité hommes/femmes a été facteur d'émancipation pour toute la société, on en voit l'enjeu pour tous. Une dimension de notre citoyenneté, comme le préambule de la Constitution de la IVe République repris par la Ve République l’affirme haut et fort. 

Un problème qui n’est pas évoqué par les pouvoirs publics à cet endroit, curieusement, mais qui il est vrai, relève d’un tel déni, que le simple fait de le soulever met dans la tourmente immédiate d’un procès en islamophobie.

Quant aux écoles qui ne sont pas sous contrat, ce serait encourager des écoles qui sont ni plus ni moins de simples écoles religieuses ayant pour démarche de traduire le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance dans tous les aspects de l’éducation. Bien loin donc, de toute lecture d’une mixité sociale intégratrice, faite sur le fondement du mélange des classes sociales et de la luttes contre les inégalités de richesses. On ne ferait qu’encourager une logique qui nourrit une forme de foi qui fait passer les valeurs religieuse avant celles de la société, une séparation communautaire légitimée par le sacré qui est antagonique avec notre République, et qui contient mille dangers.

Au-delà des écoles privées, quelles sont les conséquences du plan prévu par Najat Vallaud Belkacem?

Que va-t-on faire de cette « mixité» aux conceptions concurrentes ? La réponse est au-delà effectivement de cette nouvelle annonce, elle touche au sens que l’on donne à l’école et au paradigme, à la grille de lecture que sous-tend depuis des années la démarche qui y est à l’œuvre. Elle part d’une analyse qui parle de mixité et qui élude son vrai sens en réalité, celui de l’égalité affirmer de tous les élèves, par-delà leurs différences, au lieu de s’appuyer sur elles pour justifier cette politique de l’éducation. Telle qu’on la retrouve d’ailleurs à travers une laïcité qui sert à justifier un renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école, qui appuie sur ce qui sépare, au lieu de ce qui rassemble et nous fait nous ressembler.

Ce ne serait pas le grand soir de la mixité sociale, pas de révolution donc, dit Madame la ministre, pour rassurer. Mais tout de même, il s’agit de lancer des expérimentations susceptibles d’être généralisées ensuite… Ce qui n’est pourtant pas de l’ordre du détail.

La règle de l’école d’aujourd’hui, c’est de la faire à géométrie variable, c’est d’avoir de moins en moins de règles communes, à l’adapter en la détricotant, aux conséquences de ce qui se joue au départ à quoi on ne touchera pas. Nous sommes le seul pays à avoir des programmes d’histoire élaborés au niveau national, par exemple, et qui s’applique à tous, voilà le sens qui doit nous inspirer. Au nom de plus de diversité on fabrique de plus en plus de dispositifs qui traitent la réalité en répondant par toujours plus de dispositifs spécifiques, alors qu’il faudrait peut-être tout simplement revenir à la règle commune, partout le même collège unique et les mêmes exigences en s’en donnant évidemment les moyens. Mais aussi que l’école offre de la perspective par un marché de l’emploi qui en propose en la prolongeant, car elle ne vit pas en vase clos et ne peut résoudre ce qui de l’extérieur et malgré elle s’y impose.

De quelle lutte en faveur de la mixité sociale parle-t-on, lorsqu’on renvoie l’image d’un territoire où on vit comme inévitablement négative, au point de vous expliquer que la seule façon de réussir, ce serait d’aller étudier ailleurs ? En appuyant ainsi dans le sens d’un sentiment de relégation de quartiers, perçus par leurs habitants eux-mêmes ainsi comme mauvais et donc, d’y être  frappés de ségrégation, doublé là de déclassement.

Mesure-t-on bien toutes les conséquences ici, de donner de ces quartiers l’image qu’il faut les fuir, pour ceux qui y vivent, et pour les autres, les éviter ? C’est là où les familles et les enfants vivent qu’il  faut se lancer à l’assaut de cet idéal d’une autre école, sans concession aux minorités et autre diversité, sans le recours à l’école privée qui renforce la dépréciation du rôle de l’école publique d’utilité sociale et d’intérêt général universel qui est le sien, qu’aucune autre école ne peut remplacer comme service public. Il faut faire une école qui mette les moyens pour tous, avec l’exigence que tous s’y conforment, pour faire que partout on encourage la même école et peut-être alors, que l’on donne à tous l’envie d’aimer la République parce que vraie, à être sincère dans ses prétentions, accueillante, autant que lisible dans ce qu’elle exige.
Les valeurs repérables de la mixité sociale reviennent à ce que, contrairement à d'autres pays, on ne se sépare pas, que ce soit en fréquentant des lieux de vie différents selon les revenus ou le statut social, selon la religion, selon le sexe, qu'il n'y ait pas de séparation. Ce n‘est qu’un des aspects de la vie de l’école mais qui participe de l’esprit de nos institutions et de la garantie d’une cohésion sociale bien comprise, sans quoi ici on ne peut, au regard d’elle, que se perdre.

Il en va du contrat social, qui fait de nous des citoyens avant quoi que soit d’autre. Mais est-ce bien cela que l'on cherche encore avec l'école?

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