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"Loin des penseurs aux abois et des censeurs aboyeurs, la revue Éléments (re)met en circulation de nouvelles idées fortes”
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Sans censure ni retenue

Avec Michel Onfray et Patrick Buisson au menu de son nouveau numéro, la revue Éléments surfe sur les nouvelles lignes de force du débat intellectuel. Et si la droite avait (enfin) des idées ? Six questions à Pascal Eysseric, le rédacteur en chef d’un bimestriel d’idées fondé il y a quarante-deux ans…

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

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Pascal Eysseric

Pascal Eysseric

Pascal Eysseric est rédacteur en chef de la revue Elements.

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Atlantico : Pourquoi ce changement de formule d’Éléments ?

Pascal Eysseric, rédacteur en chef d’Éléments : L’idéologie dominante est plus faible que jamais. Dans Le Monde, Nicolas Truong s'est alarmé : "La Nouvelle Droite est en train de gagner la bataille des idées". L'hégémonie culturelle de la gauche part en lambeaux. Elle ne pense plus. Son cœur est vide. Elle aboie comme les chiens qui ont peur mais la caravane passe ! L'aveu le plus stupéfiant est venu de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS : "Depuis dix ans, la gauche a perdu la bataille des idées". Quant à la droite, elle s'est habituée à vivre sous encéphalogramme plat depuis quarante ans minimum. Chacun sent bien que les vieux clivages droite-gauche se fissurent et que des rapprochements inédits se font jour. Longtemps précurseur, Éléments se donne les moyens d'être au centre du reclassement idéologique en cours – grâce à une nouvelle formule magazine (90 p. en couleurs tous les deux mois, avec une grille rédactionnelle renouvelée).

Depuis plus de quarante ans, notre originalité réside dans une alliance inédite d'une communauté de journalistes, d'universitaires, d'écrivains, de cinéastes et de philosophes. C'était l'objectif de Jean-Claude Valla, le premier rédacteur en chef d'Éléments, et créateur par ailleurs du Figaro Magazine. Quelques mois avant que la maladie ne l'emporte, il m'avait fait promettre de remettre Éléments au cœur de l'actualité des idées – on l’oublie, mais Éléments a aussi été une formidable école d’écriture et de journalisme.

Est-ce que les lignes de front bougent tant que ça ?

Les lignes de front, non, mais des brèches s'ouvrent. Enfin ! Le politiquement correct se lézarde. La citadelle de la pensée unique est assiégée. Le magazine Éléments a donc plus que jamais sa place à tenir au cœur de cette fameuse bataille culturelle puisque le mot est devenu à la mode dans les états majors politiques. L'objectif d'Éléments est donc de construire un lieu unique de rencontres et de dialogues inédits, par-delà les chapelles politiques, où l'on peut croiser Michel Onfray et Patrick Buisson sans chercher à instrumentaliser ni l'un ni l'autre. Notre mission a toujours été et demeure encore aujourd'hui de chercher à comprendre et à faire comprendre la nature du moment historique dans lequel nos contemporains évoluent.

Peut-on parler d’une "nouvelle ligne" éditoriale ?

Ce n’est pas parce que nous lançons une nouvelle formule que nous remettons en cause notre ligne éditoriale ! La ligne d'Éléments est somme toute assez simple : chercher à penser le monde de demain plutôt qu’à se lamenter sur celui qui s’efface. Pour nous, l’avenir n’est pas au retour en arrière. L’avenir est aux démarches transversales, aux nouveaux clivages. Comme l'écrit Alain de Benoist dans son éditorial, les nouvelles lignes de fractures idéologiques sont à rechercher non plus entre la droite et la gauche, mais autour de l’identité, de l’individualisme et des communautés, du capitalisme libéral, des formes nouvelles d’aliénation sociale, des valeurs marchandes.

Mais avec qui allez-vous donc débattre ?

Difficile de répondre à cette question. Nous débattrons avec qui le voudra bien entendu ! Récemment, nous avons ouvert nos colonnes à Gaël Brustier, un essayiste proche du parti socialiste comme à Éric Zemmour. Deux auteurs qui chacun à leur manière ont repris des thèmes et les outils conceptuels développés par Éléments sur l’"hégémonie culturelle" notamment. Pour le reste, la classe dirigeante a épuisé ses défenses immunitaires à force d’installer des "cordons sanitaires", des "digues" et des "fronts" républicains. Elle ne sait plus débattre. Elle ne sait plus réfléchir. Elle surjoue l’indignation: "Le retour au années trente !", "Nouveaux fachos !", "France moisie !", etc. Charles Champetier, un des anciens rédacteurs en chef d’Éléments, expliquait que les grandes mutations idéologiques seraient fatales "aux dinosaures de l’esprit". Les ultimes crispations de leur vindicte, écrivait-il, seront aussi les dernières convulsions de leur agonie.

La revue Éléments s'est longtemps distinguée par un positionnement particulier à droite, celui d'une droite qui a pu être qualifiée de païenne, de racialiste ou défendant la supériorité d'une civilisation européenne et blanche. Vous interrogez Michel Onfray qui considère que vous avez évolué, dans quelle mesure est-ce le cas ?

Michel Onfray a un énorme avantage sur nos détracteurs : un jour il a décidé d’ouvrir et de lire un numéro d'Éléments ! Comme lui, j'invite le plus grand nombre de vos lecteurs à le faire pour juger sur pièce. Nous allons d'ailleurs leur faciliter la tâche puisque nous travaillons sur la numérisation de l'ensemble de la collection d'Éléments. Les lecteurs que j'espère les plus nombreux possibles découvriront alors cette chose extraordinaire : Éléments n'a jamais fait paraître un seul article "défendant la supériorité d'une civilisation européenne et blanche" ni même le moindre article "racialiste". En réalité, Éléments n'a cessé de dénoncer l'idée qu'il existerait des cultures ou des civilisations supérieures. Un an après son premier numéro, en novembre 1974, Eléments publiait un entretien avec Alain de Benoist intitulé "Contre tous les racismes". Un texte que chacun peut consulter (http://grece-fr.com/?p=3385). M'étant plongé dans les archives pour le numéro anniversaire des 40 ans d'Éléments que j’ai eu l’honneur de diriger, j'ai découvert des textes forts, comme celui paru, en mars 1979, sur les immigrés "esclaves des temps modernes", qui dénonçait "le patronal libéral et les pouvoirs publics irresponsables [qui] ont encouragé cette importation de main-d'œuvre peu coûteuse et non syndicalisée, donc facilement exploitable." En mai 1980, dans un des plus fameux numéros d’Éléments "Pour en finir avec la civilisation occidentale", nous dénoncions l'"occidentalisme qui nie l'identité de l'Autre, qu'il perçoit d'abord comme un non-chrétien, non-civilisé ou non-développé". Cette formule résume bien les positions différentialistes que nous avons toujours défendues. Son titre : "Il n'y a pas de monde blanc".

Les réponses apportées par Patrick Buisson dans le premier numéro de votre nouvelle formule montrent une certaine continuité entre les thèmes sur lesquels travaille Éléments et les siens : quelle évolution cela révèle-t-il le plus selon vous ? Est-ce Éléments qui s'est rapproché d'une droite plus chrétienne, plus conservatrice et donc moins à la recherche d'un ordre nouveau ? Ou bien le catholicisme d'inspiration maurassienne de Patrick Buisson qui s'est rapproché de votre conception plus ethnique de l'Europe ?

En quoi le fait d'interviewer quelqu'un pourrait-il signifier que l'on adopte sa façon de voir, ou qu'il adopte la nôtre ? Éléments, de ce point de vue, ne se distingue pas des autres périodiques. Pourquoi poser dans son cas des questions que personne ne pose quand les mêmes personnalités sont interviewées dans Le Monde, Le Figaro, L'Express, Le Point, etc. Et j’ai à mon tour une question subsidiaire : où Éléments a-t-il jamais exprimé son désir de "recherche d'un ordre nouveau", expression qui n'a jamais figuré dans son vocabulaire ?

En plus de quarante ans d'existence, Éléments a rencontré les esprits les plus libres : Jean Anouilh, Mircea Eliade, Claude Imbert, Guy Hocquenghem, Raoul Girardet, Peter Handke, Serge Latouche, Jacques Vergès, Henri Vincenot, Alexandre Zinoviev, et tant d’autres encore. Nos archives recèlent des trésors insoupçonnés. Mais elles donnent aussi un aperçu déprimant du rétrécissement du débat intellectuel et du recul de la liberté d’expression en France. Quand Éric Rohmer raconte longuement et en exclusivité le tournage de "Perceval Le Gallois" dans Éléments, il n'y a personne pour reprocher à cet immense cinéaste de cautionner un magazine "racialiste". Quand le directeur de la revue Esprit – et intellectuel catholique – Jean-Marie Domenach choisit Éléments pour dénoncer les agissements de Jacques Attali destinés à l'écarter de son poste de professeur à l’École Polytechnique, le père de Nicolas Domenach (pour les plus jeunes) n’en devient pas pour autant païen !

C'est dire combien l'on revient de loin. Les censeurs succèdent toujours aux penseurs. C'est dans l'ordre des choses. Ils font régner une terreur molle – de plus en plus vacillante, c’est vrai. On reste dans le verbalisme incantatoire. Ce que Michel Onfray appelle, dans l'entretien-fleuve que nous faisons paraître, le "pavlovisme" des coteries parisiennes. "Un marqueur de la presse de gauche", nous a-t-il dit. Zemmour à droite, Onfray à gauche, Houellebecq nulle part montrent le contraste saisissant qu'il y a entre la nation et ses représentants, politiques ou médiatiques. Les éditorialistes s'indignent que la parole se libère. Quel aveu ! Ils devraient se réjouir de la force révolutionnaire de la vérité, au lieu de s'en alarmer comme au temps de la gérontocratie brejnevienne. Mais, ici comme là-bas, les murs sont appelés à tomber…

Propos recueillis par Grégory Pons

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