Julien Dray : "La gauche aurait tort de faire de l'anti-Macron pavlovien" <!-- --> | Atlantico.fr
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Julien Dray.
Julien Dray.
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Entretien politique

Par ailleurs, l'ancien député et conseiller d'Ile-de-France, tête de liste pour les élections régionales revient sur le sentiment de déception chez les Français en général, et les électeurs de gauche en particulier.

Julien Dray

Julien Dray

Julien Dray est ancien député PS de l'Essonne. Il est actuellement conseiller régional d'Île-de-France.

Il est l'auteur de L'épreuve (Cherche Midi, 2009), livre dans lequel il revient sur l'affaire judiciaire à laquelle il a été mêlé, et de La faute politique de Jean-Luc Mélenchon, (Cherche Midi, 2014).

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Atlantico : Pour ces élections régionales, vous avez lancé une fois par semaine le "#DirectDray", une réunion d’appartement d’un nouveau genre, retransmise en direct sur son Facebook. La première, mercredi dernier à Cachan a été regardée par environ 1 500 personnes. A quel point les nouvelles méthodes de campagne permettent-elles de pallier le manque d'intérêts des Français ?

Julien Dray : Nous sommes dans une période où nous devons réinventer la manière de faire campagne. J’ai lancé les réunions d’appartement en 1993, il s’agissait, dans un contexte très défavorable d’aller à la rencontre des citoyens indécis, d’échanger avec eux sur le fond des choses. Les gens qui assistaient à ces réunions étaient souvent satisfaits d’avoir vu le dialogue se nouer. C’est quand même dans ce dialogue entre candidats et électeurs que la démocratie vit. Cette fois-ci tout le monde peut assister à la réunion d’appartement via la vidéo en direct sur ma page Facebook et chacun peut poser des questions via Facebook ou via Twitter… Il suffit de se brancher, alors à bientôt !

Le manque d'intérêt pour ce scrutin est-il plus grand que pour les départementales ou les précédentes régionales ? L'électorat de gauche a-t-il envie d'entendre ses candidats ? 

Quand on explique les enjeux aux citoyens, ils s’intéressent. Les Conseils régionaux sont importants pour nombre de sujets : les lycées, les transports, la culture, la formation professionnelle… Il y a toujours une envie, la preuve à la fin de chaque réunion on en redemande. Et il ne s’agit pas de fan clubs, La réponse pour la gauche tient en deux mots : expliquer et s'expliquer, en sachant reconnaître les erreurs parfois, et en revendiquant la difficulté et la complexité, ce qui n'a rien à voir avec le renoncement au contraire.

Vous dites que le PS peut sortir du scrutin la tête haute. Concrètement, à combien de régions conservées par la gauche, fixez-vous le seuil du "soulagement" ? Quel serait l'impact de la perte de l'Ile de France ?

Ce n’est pas l’heure des chiffres. Rien n’est joué. Tout est à faire. Avec les équipes autour de notre chef de file Claude Bartolone la campagne va maintenant prendre toute son ampleur, donc chacun d'entre-nous connait son rôle : se battre pour convaincre et gagner des cœurs et des têtes.

Après l'avoir déjà fait pour les départementales, Manuel Valls et François Hollande ont fait de la lutte contre le FN la priorité de la campagne des régionales, la lecture des sondages semble pourtant indiquer que le PS paie un certain déficit de vision ou de propositions : la simple désignation d'un danger suffit-elle à générer l'adhésion pour les candidats socialistes ?

Il ne faut pas sous-estimer le FN mais j’invite aussi à ne pas céder à la tentation du "grand frisson", qui fait, par exemple vendre du papier, qui fait de l’audimat mais qui brouille le débat d’idées, le débat public. Je pense qu’il faut en revanche repartir à l’offensive, avancer notre programme, montrer que notre vision des choses est radicalement différente de celle de la droite et encore davantage de celle de l’extrême droite. Les Régions de gauche ont bien travaillé, regardez le pass navigo, les cantines scolaires, la bataille pour la santé, pour la culture... Nous avons réveillé ces institutions, nous les avons tournées vers la société, vers des projets concrets, utiles à nos concitoyens et à nos territoires.

Quel est d'ailleurs le plus grand danger ? Le danger d'un FN qui saperait les fondements de la République ou un FN dédiabolisé qui réussirait sa gestion à la tête d'une ou plusieurs régions -ne serait-ce qu'en évitant les dérapages- d'ici 2017 ? 

Le FN garde son ADN d’origine. Il me semble qu’il y a un danger à dire que le FN devrait arriver aux responsabilités locales et que cela permettrait de démontrer qu’il n’est pas compétent et que les solutions qu’il propose sont dangereux. Quand le FN gagne dans une commune, cela a un impact très important sur la vie politique locale, qui est durablement modifiée, cela modifie le paysage politique local en faveur de l’extrême droite. Donc je ne fais pas ce type de calcul, que je juge dangereux...

Que vous ont inspiré les différences affichées cette semaine entre Jean-Christophe Cambadélis et Manuel Valls sur la question d'un éventuel Front républicain et de l'attitude à adopter au soir du premier tour ?  

C'est que vous ne parlez que de ça, réduisant le débat des régionales à une tactique de 2ème tour. Eh bien moi pour l'instant je m'occupe du premier car c'est lui donnera la réponse du 2eme. Pour le reste la gauche a toujours pris ses responsabilités, elle examinera les risques et comme d'habitude, contrairement à d'autres, elle sera là. Mais moi j'arrête de m'angoisser sur les combines journalistiques, nous sommes assez grands pour prendre nos responsabilités.

Malgré les tentatives de mobilisation de l'Europe, la crise des migrants perdure et les inquiétudes des populations européennes grandissent. Quelle réponse politique apporter aux angoisses d'une partie de la population française qui ne souhaite pas accueillir des migrants en France (voir notre sondage) ?

Ces sondages ne veulent rien dire, vous donnez la fièvre aux gens et après vous prenez la température... Grande découverte le patient a de la fièvre... Pour nos concitoyens les choses ne se passent pas comme cela. Les Français restent généreux et humains et face aux drames ils ne sont pas égoïstes. Les gens ne proposent pas de rejeter à la mer ces réfugiés, pour le reste il faut une solidarité européenne et collective. Chacun sait bien que là est l'issue, pas dans le rejet ou dans des fermetures qui ne servent à rien.

Vous êtes en campagne, que vous disent les électeurs ? Leur désenchantement vis-à-vis de la gauche au pouvoir porte-t-il plus sur la ligne politique affichée, celle qu'on a pu qualifier de social libéralisme, ou sur l'absence de résultats ? 

Il y un sentiment de déception latent et diffus. J’ai essayé au cours de mes réunions d’appartement de faire parler les personnes présentes. Il y a une déception mais qui ne s’incarne pas dans un exemple précis. Les personnes que je rencontre sont souvent acquises à l’idée que notre société est bloquée, qu’il faut la réformer. Mais il nous faut expliquer. Au début du quinquennat, j’ai critiqué la politique européenne de notre majorité, je le rappelle. J’ai aussi toujours pensé qu’il fallait être juste avec François Hollande et ses gouvernements. Nous vivons une période de grandes mutations, de bouleversements économiques, géopolitiques. Faire de la politique en 2015 n’a rien de simple et est certainement beaucoup plus compliqué qu’en 1985.

De nombreux journaux ont rapporté que François Hollande réfléchissait à l'heure actuelle sur la ligne politique à adopter pour la dernière ligne droite de son quinquennat. Vous faites partie de ses proches, que lui conseillez-vous ? Miser sur une ligne Valls-Macron de "libéralisation" de la gauche ou miser sur une gauche plus traditionnelle et plus susceptible de garantir l'unité autour d'une candidature Hollande 2017 ?  

La gauche, c’est la synthèse de différentes traditions. Nous avons besoin de tout le monde. Si j’insiste tant sur l’idée d’unité des socialistes mais aussi d’unité de la gauche c’est aussi parce qu’elle est la condition de la synthèse et de la résolution de certaines difficultés. Honnêtement, la gauche aurait tort de faire de l’anti-Macron pavlovien, elle doit au contraire discuter son propre projet, sa vision du monde. Cela ne veut pas dire "devenir libéral", cela veut dire qu’il faut que nous trouvions les moyens d’être davantage entendus et suivis des Français. Qui d’Emmanuel Macron ou de ceux qui lui font d’incessants procès est le plus écouté des Français ?

Faut-il changer de premier ministre ? Emmanuel Macron, qui fait beaucoup de couvertures de journaux et de magazines vous paraît-il un candidat crédible pour le poste ? 

Changer de premier ministre ne s'apparente pas à des kleenex et ce n'est pas une affaire de bon vouloir. Donc je vous laisse à vos spéculations autour d'un bon verre.

Vous connaissez bien Malek Boutih, que vous ont inspiré ses dernières déclarations sur le pronostic d'une victoire de Marine Le Pen et sur le diagnostic qu'il fait de l'état de la gauche ? 

C'est sa position moi je ne me situe pas du tout dans cette perspective car je crois au combat. Après, les commentaires ou prospectives changent comme le temps.

Le 26 octobre, 115 élus socialistes ont informé le Premier ministre de la situation de 900 000 retraités qui ont vu leurs impôts locaux "exploser", faisant naître un mouvement de grogne au sein du groupe majoritaire. Vous-même vous avez critiqué la gestion du dossier Air France par le gouvernement et notamment le vocabulaire employé, l'Elysée est-il suffisamment à l'écoute du peuple de gauche dont Jean-Christophe Cambadélis sollicitait par ailleurs l'unité ? 

Moi je crois au rassemblement, donc je ne suis pas dans le dénigrement des uns ou des autres. A ce stade on a besoin de tout le monde sans se rejeter ni se dénigrer. Le pari de Mitterrand c'était la synthèse, c'est la leçon qu’il nous a transmise et chacun d'entre nous doit avoir cela comme boussole.

Dernière chose, la gauche considère souvent que ce sont les difficultés économiques ou la souffrance sociale qui alimentent le vote FN, que vous inspirent le résultat des élections en Suisse et en Autriche qui ont montré que les partis populistes ou nationalistes prospéraient même dans des pays et des régions ne connaissant pas de problèmes économiques ?

On a besoin de redonner confiance en la France, elle n'est pas dans la nostalgie d'une histoire passée, sa grandeur. Sa force, elle la construit chaque jour en affrontant les problèmes et en rassemblant les Français... La France est forte parce que j'y crois plus que jamais.

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