Pourquoi la droite commence à avoir peur pour les régionales<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Républicains espèrent gagner une dizaine de régions.
Les Républicains espèrent gagner une dizaine de régions.
©Reuters

Vaguelette bleue

Selon un récent sondage BVA, la droite et le centre gagneraient 8 régions sur 13 possibles. La "vague bleue" envisagée pourrait bien ne pas avoir lieu, ce qui inquiète les responsables de l'opposition.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Lors des futures élections régionales qui auront lieu en décembre, les Républicains se sont fixés des objectifs assez hauts souhaitant gagner une dizaine de régions. Or selon un sondage réalisé par l’Institut BVA publié le 23 octobre, la droite et le centre remporteraient 8 régions, le FN en gagnerait 2, la gauche ne conserverait quant à elle que 3 régions. Quels sont les risques pour la droite de ne pas voir "une marée bleue" lors de ce scrutin ? Quelles sont les raisons actuelles qui pourraient empêcher ce "raz-de marée LR-centre" ? Doit-elle commencer à s'inquiéter ?

Bruno Cautrès : Il faut tout d’abord rappeler à nos lecteurs la prudence qu’il convient d’avoir vis-à-vis d’estimations de vote qui sont encore un peu éloignées du jour du vote. Par ailleurs, les hypothèses de second tour ne peuvent, par définition, être totalement connues avant que le premier tour n’ait eu lieu. Une fois posées ces précautions de méthode, on peut effectivement voir que dans le sondage BVA que vous citez, la gauche serait en mesure d’obtenir trois des nouvelles régions, ce qui tracerait comme une coupure géographique entre une partie de l’Ouest (à gauche) et une partie de l’Est du pays. Si les prévisions de ce sondage, qui vont par ailleurs dans le même sens que d’autres sondages, étaient réalisées à l’issue des deux tours cela pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les élections régionales, par la taille des circonscriptions régionales, par leur mode de scrutin et par leur personnalisation autour des têtes de liste, comptent une composante nationale. Celle-ci va s’exprimer en particulier dans le vote pour les Front national, dans les deux régions où le FN semble être en mesure de gagner mais aussi dans d’autres régions. Les Républicains aussi vont en bénéficier mais la montée en puissance du FN, élection après élection depuis la dernière présidentielle, crée un effet de loupe sur les éventuelles victoires du FN dans une ou deux régions. Nous pouvons ensuite avoir une seconde explication : le  « vote sanction » contre le gouvernement et contre le Président Hollande a déjà trouvé plusieurs occasions de s’exprimer à travers la série d’élections désastreuses qu’a connu le PS en 2014 (municipales, départementales, européennes). 

Or, la sociologie électorale a bien montré que la dynamique du « vote sanction » s’exprimait particulièrement en milieu de mandat mais qu’elle pouvait être plus faible aux deux extrémités temporelles de celui-ci. La place des élections régionales de 2015 dans le « cycle électoral » représente un cas de figure particulier : la distance au mi-mandat sera déjà importante (celui-ci a eu lieu en décembre 2014, un an avant les régionales) sans que nous ne soyons déjà à la fin du mandat présidentiel (17 mois sépareront les régionales de la présidentielle). Les élections régionales de 2015 auront lieu alors même que trois élections en 2014 ont déjà donné l’occasion aux électeurs d’exprimer une sanction contre le gouvernement : que reste t’il en fait du « vote sanction » ? a-t-il épuisé ses ressorts et ses réserves ? ce qui conduirait à une abstention importante. Enfin, s’il ne fait de doute que les français continuent de ne pas être satisfaits du gouvernement et ont toujours du mal à savoir ou comprendre ce qu’est le « hollandisme  et s’il ne fait pas de doute que les échéances de 2017 vont être difficiles pour le PS et la gauche, l’attractivité de la droite n’en est pas pour autant assurée.

Le doute persiste dans l’opinion que la droite ferait mieux que la gauche aujourd’hui en France. En résumé, je dirais que la droite est de toute façon déjà inquiète de la dynamique du FN, avant ces élections régionales : mais lors de celles-ci, le phénomène sera-t-il limité aux régions dans lesquelles le FN a mis en avant deux de ses « stars » comme candidates (la présidente du parti elle-même et sa nièce). Mais la gauche peut également s’inquiéter même si elle remportait finalement 3 régions sur 13….elle n’en serait pas sorti de ses difficultés vis-à-vis de 2017.

Pourquoi la droite pourrait ne pas être la seule à bénéficier de la déroute de la gauche ? En quoi le FN trouble ce "jeu" ? Est-ce un phénomène nouveau que de voir un autre parti hormis celui de l'opposition bénéficier de la faiblesse du parti au pouvoir ?

Cette question est importante ; elle nous rappelle que depuis le début des années 2000, notamment 2002, l’espace idéologique français repose sur ce que les chercheurs du CEVIPOF ont appelé la « tripartition ». La compétition politique et électorale n’est plus, en France mais sans doute dans d’autres pays européens, seulement organisée par un axe gauche-droite le long duquel les partis politiques issus des clivages de la société industrielle se positionnent. Un second axe est apparu et dont le rôle s’est accentué : un axe culturel sur lequel les partis s’opposent sur les questions de société, les valeurs, les questions d’identité, les nouveaux enjeux de la société post-industrielle. Et c’est cette bi-dimensionnalité de l’espace idéologique qui explique la « tripartition » : le fait que si la gauche et la droite continuent de fortement s’opposer sur les questions socio-économiques, elles se différencient de l’extrême droite sur les autres questions, plus « culturelles ». Cette description du paysage idéologique est elle-même susceptible d’évoluer : en voit bien à quel point la droite est traversée de courants divers sur la stratégie à adopter pour réduire la « tripartition » à un retour vers la « bipartition ». 

Quoi qu’il en soit, ces évolutions du paysage idéologique sont de puissants facteurs explicatifs du problème que nous analysons ici : il semble bien qu’aujourd’hui deux invités et non plus un seul sont autour de la table pour se partager les bénéfices de l’impopularité du parti au pouvoir. Si ce phénomène avait pu se manifester déjà par le passé, il n’a jamais ou presque connu une manifestation aussi forte. Nous ressentons chaque jour dans notre vie politique une forme d’épuisement du système partisan français actuel. En dehors de ces facteurs nationaux, d’autres facteurs régionaux expliquent bien sûr l’ampleur du vote FN dans certaines régions : la situation économique et le taux de chômage de ces régions, l’épuisement des grands partis de gauche et de droite qui ont dirigé les exécutifs locaux depuis longtemps et les logiques d’implantation, élection après élection, du FN.

Si au niveau comptable la droite ne parvient pas à atteindre son objectif (10 régions) faudra-t-il parler d'échec ? Nicolas Sarkozy pourrait-il en être impacté ?

Non, je ne crois pas. Bien entendu au soir des deux tours des élections nous assisterons à la bataille habituelle d’interprétation sur les résultats et chacun clamera qu’il a gagné, qu’il a stoppé ses défaites ou qu’il est en orbite pour 2017.  Mais si la droite et le centre gagnent ensemble 8 des 13 régions, on ne peut appeler cela un échec….surtout si l’on compare au nombre écrasant des régions précédemment dirigées par le PS.

Je pense qu’en fait, l’interprétation politique de ces élections, outre l’éventuelle victoire du FN dans une ou deux régions, sera donnée par les résultats d’Ile de France et de Rhône-Alpes-Auvergne. Si la droite et le centre gagnent ces deux régions, avec leurs têtes de listes régionales qui sont deux des figures fortes et montantes des Républicains (L. Wauquiez et V. Pécresse), en battant au passage le Président de l’Assemblé nationale (C. Bartolone), il sera quand même bien difficile au PS de communiquer sur le thème du « raz de marée » de la droite qui aurait été stoppé. Si les résultats que vous indiquez se confirmaient, le PS tentera sans doute de montrer qu’il a tout fait pour jouer le jeu de l’unité de la gauche (référendum Cambadélis), qu’il a su faire campagne et remporter deux ou trois régions et que cela annonce une remise en ordre de bataille pour 2017.

Pour la droite, plusieurs paramètres seront à regarder de près : parmi ceux-ci, l’abstention, bien sûr et notamment dans les régions où les Républicains ont marqué des points lors des scrutins locaux de 2014 (cela a-t-il un effet d’entraînement ou pas?) et les scores du FN dans les zones de force habituelles de la droite.

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