Peur pour la République ou peur que le FN fasse ses preuves à la tête d’une région ? La nature trouble des pulsions de retour au Front républicain<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a estimé que "tout devra être fait pour empêcher" des victoires du FN aux prochaines élections régionales.
Manuel Valls a estimé que "tout devra être fait pour empêcher" des victoires du FN aux prochaines élections régionales.
©Reuters

Faux-semblants

Manuel Valls a estimé que "tout devra être fait pour empêcher" des victoires du FN aux prochaines élections régionales qui se tiendront au mois de décembre. La crainte exprimée par le Premier ministre, avec en filigrane l'irruption d'étendards anti-républicains, voire "fascistes", est-elle sincère ?

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Alors qu'il était l'invité du Bondy Blog mardi 27 octobre, Manuel Valls a estimé que "tout devra être fait pour empêcher" des victoires du FN aux prochaines élections régionales qui se tiendront au mois de décembre. Que peut craindre concrètement le PS d'une ou de plusieurs victoires du FN ? 

Jean Garrigues : Une implantation territoriale des élus frontistes est probablement, à l'heure actuelle, la raison majeure des élus socialistes de craindre une victoire du FN aux régionales. Dans le Nord, le FN a principalement conquis un électorat de gauche, anciennement communiste ou socialiste. Ce sont aujourd'hui dans des anciens bastions socialistes que s'implantent les maires du FN comme à Hénin Beaumont. Ce phénomène de transfert est bien entendu inquiétant pour le PS, notamment dans le Nord, mais cela commence aussi à l'être dans le Sud-Est. C'est une implantation beaucoup plus massive que les premières poussées du Front national dans les années 80 ou même dans les grandes villes de Provence-Alpes-Côte d'Azur aux municipales de 1995. C’est un véritable maillage d’élus qui risque de s’installer et l’on sait qu'une implantation d'une force politique dans les pouvoirs territoriaux est le socle nécessaire à une implantation nationale durable.

Pour autant ce n'est pas la seule motivation du PS. Il ne faut pas non plus oublier que la culture de la gauche française a été nourrie par une opposition frontale vis à vis de l'extrême droite depuis la fin du XIXème siècle. Ces affrontements ont culminé au moment du Front populaire, qui est né après le 6 février 1934 d’un réflexe de défense antifasciste. Il y a donc une forte culture de la défense républicaine au PS, et cette culture a été spectaculairement réactivée face à Jean-Marie Le Pen lors du deuxième tour des élections présidentielles de 2002. Pour les socialistes, cela apparaît comme une évidence de constituer un barrage des partis modérés contre l'extrême droite. Mais évidemment c'est beaucoup plus difficile de le justifier auprès des électeurs d’aujourd’hui, après la mutation-normalisation du Front national. La ligne de Marine Le Pen et Floriant Philippot accorde beaucoup d'importance aux préoccupations sociales, donc elle parle aux électeurs populaires que le PS prétend défendre. De manière objective, sur les enjeux de la protection sociale, le FN d'aujourd'hui peut apparaître comme plus à gauche que le gouvernement Valls, par exemple sur le retour à la retraite à soixante ans.  

Jean-Philippe Moinet : Non, simplement, comme il l'avait fait avant les élections départementales, le Premier ministre reprend sa casquette de chef de la majorité parlementaire et sonne le tocsin pour lancer la campagne des régionales. L'expression "tout devra être fait" peut susciter l'interrogation (des socialistes eux-mêmes) ou provoquer la polémique, mais elle est sans doute faite aussi pour cela: polariser l'attention. La crainte du PS, qui préside aujourd'hui toutes les régions sauf une, l'Alsace, est d'abord qu'il soit rejeté dans une large majorité de régions et que dans l'un de ses bastions historiques, le Nord-Pas-de-Calais (la région d'un autre hôte de Matignon socialiste, Pierre Mauroy), la berezina et l'humiliation soient totales avec une victoire de Marine Le Pen. Une telle victoire de la Présidente du FN serait, en effet, un tremblement de terre politique. Surtout pour la gauche, mais aussi pour la droite et le centre. La peur est, au-delà d'hypothétiques résultats de gestion FN, que le premier mouvement d'extrême droite en Europe soit ainsi sur un tremplin à 18 mois de l'élection présidentielle. On imagine aisément l'exploitation que ferait la leader du FN d'une éventuelle victoire régionale.

La crainte exprimée par le Premier ministre, avec en filigrane l'irruption d'étendards anti-républicains, voire "fascistes" vous semble-t-elle vraiment sincère ? A quel élément rationel peut-elle répondre ?

Jean Garrigues : Cette crainte relève à mon sens davantage de l'ordre du fantasme que d'une réalité politique dans la mesure où le FN a connu une incontestable épuration de ses cadres. Le nouveau FN les a filtré et parfois de manière spectaculaire, y compris avec la mise à l’écart de Jean-Marie Le Pen. Maintenant il demeure tout autant incontestable qu'en dépit de cette épuration, le FN reste marqué par une culture de l’exclusion identitaire qui par bien des aspects peut être considérée comme extérieure au socle des valeurs de l’humanisme républicain. Pour dire les choses simplement, et sans même parler des dérives néo-fascistes ou néo-pétainistes, il y a des relents de fermeture, de racisme, de xénophobie et d’autoritarisme qui ne sont pas compatibles avec la culture républicaine. Mais plus encore que cette crainte plus ou moins fantasmée par la gauche de la culture frontiste, il y a la crainte de voir se diffuser les thématiques d’exclusion du FN par le truchement des réseaux d’élus territoriaux. Laisser se déployer un tel réseau d'élus frontistes porteurs de ces valeurs représente un risque à terme de voir ces valeurs devenir dominantes. C'est le problème de la dynamique acculturatrice du FN, un problème qui se pose de manière plus aiguë aux Républicains de Nicolas Sarkozy (et dont il est en grande partie responsable) car on voit qu'une grande partie des militants sont de plus en plus sensibles aux thèmes d'exclusion identitaire.

Jean-Philippe Moinet : Oui, cette crainte me semble sincère même si, en politique, convictions et calculs sont souvent entremêlées. De l'extrême gauche à l'extrême droite. Pour le PS et Manuel Valls, une rationalité est de tenter de réaliser avant le premier tour des régionales ce que le "referendum" lancé par Jean-Christophe Cambadélis n'a pas réussi à provoquer : la réunion des "gauches plurielles", socialistes, écologistes, néo-communistes (PC et Front de gauche) en une seule liste. Il est manifeste, dans la région Nord-Picardie tout particulièrement, que la gauche réduit toutes ses chances en partant actuellement divisée à la bataille du premier tour.

Dans l'espace républicain, l'irruption actuelle semble moins être celle de la crainte des menaces "fascistes" que la crainte d'une vague xénophobe, qui existe bel et bien, en France et dans le reste de l'Europe et qu'utilisent de tous temps les mouvements nationalistes. Cette vague xénophobe porte, en son sein, des virulences racistes et antisémites dont la dangerosité ne doit pas être sous-estimée. Une étude d'opinion, commandée par la Fondapol et rendue publique il y a un an lors de la convention nationale du CRIF, montrait que le plus fort pourcentage d'opinions antisémites se trouvaient dans deux catégories de la population : chez les électeurs de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielles de 2012 et chez les personnes se disant appartenir à la religion musulmane. C'est l'une des réalités du mouvement lepéniste, que masque la stratégie de "notabilisation" menée par Marine Le Pen et Florian Philippot.

Mais cette acculturation n'est-elle pas un processus déjà commencé ? 

Jean Garrigues : On peut effectivement se demander si le combat n'est pas un peu tardif, car cette acculturation correspond à l'évolution la plus importante de nos valeurs politiques dans la dernière décennie. Cela  constitue d'ailleurs un échec important pour la droite comme pour la gauche. Pour le Parti socialiste, la question est donc de savoir comment récupérer l’électorat populaire séduit par les thématiques du Front national, et c'est en ce sens que plusieurs intellectuels de gauche - comme Laurent Bouvet notamment- demandent courageusement à la gauche de prendre à bras le corps les questionnements sur ces thématiques. Il s’agit de sortir du discours lénifiant ou incantatoire en essayant de mieux coller aux aspirations et aux angoisses, c'est-à-dire à l'insécurité culturelle des couches populaires qui se sentent menacées sur tous ces champs sociaux et identitaires.

Selon le Premier ministre, cet empêchement d'une victoire du FN doit être faite quitte à retirer des listes PS dans l'entre-deux tours. Dans quelle mesure peut-on y voir aussi une tactique en vue des élections régionales du mois de décembre ?

Jean Garrigues : Comme toujours, et malheureusement, ce qui prévaut dans le discours politique à l'aube d'une campagne électorale, ce sont les préoccupations tactiques. C'est par exemple ce qui avait motivé le référendum sur l'unité de la gauche, et les déclarations de Manuel Valls en sont une extension. Dans un premier temps on a essayé d'appeler à l'unité de la gauche plurielle dans la perspective du premier tour, et dans un deuxième temps on vise au rassemblement de la droite et de la gauche au second tour en appelant à un désistement républicain. Manuel Valls est dans son rôle en appelant à ce réflexe de défense républicaine, mais la ficelle est un peu grosse. C'est aussi une façon de pousser la droite républicaine dans ses retranchements et de préparer les lendemains d’élection. De la même manière que l’appel à l’unité de la gauche était destiné à pointer du doigt la responsabilité du Front de gauche et des Verts dans l’échec programmé du premier tour, le refus par la droite du désistement républicain permettrait au Parti socialiste de lui imputer d’éventuels succès du FN, dans le Nord ou en PACA. La politique est toujours un jeu de billards à trois bandes.

Jean-Philippe Moinet : Il semble clair que la logique du "désistement républicain" - et non du "front républicain", qui impliquerait des listes communes PS/Les Républicains - est dès à présent dans les esprits, beaucoup de responsables de gauche étant prêts à faire l'impasse sur le 2ème tour pour éviter que le FN prenne une région (dans le Nord et en Provence). Mais cet état de fait des réflexions de la gauche est à double tranchant car, en paraissant précipiter le débat du soir du 1er tour, le Premier ministre peut aussi affaiblir son camp avant ce 1er tour. Les jours semaines qui viennent montreront rapidement si c'est l'effet unité et mobilisation qui prévaudra à gauche ou si, au contraire, c'est le sentiment de la défaite du PS qui l'emportera avant l'heure, dans le Nord en particulier. En ce cas, Xavier Bertrand cherchera à bénéficier, avant l'heure aussi, d'un phénomène de "rassemblement républicain" pouvant s'amorcer dès le premier tour, en vue de resserrer l'écart qui le sépare encore fortement, selon certains sondages récents, de Marine Le Pen. Mais dans cette région clé, la campagne ne fait que commencer, et tous les électeurs sont loin d'avoir décidé fermement de leur vote et pour certains d'aller simplement voter.

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