Drame de Puisseguin : l’enjeu de com’ fondamental qui se cache derrière la surmobilisation du gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Suite à l'accident d'autocar à Puisseguin vendredi 23 octobre, nombreux ont été les membres du gouvernement et de la classe politique en générale à se déplacer.
Suite à l'accident d'autocar à Puisseguin vendredi 23 octobre, nombreux ont été les membres du gouvernement et de la classe politique en générale à se déplacer.
©Reuters

Tourisme de catastrophe

Suite à l'accident d'autocar à Puisseguin vendredi 23 octobre, nombreux ont été les membres du gouvernement et de la classe politique en générale à se déplacer. Premier ministre, ministre de l'Intérieur, ministre de l'Ecologie, ministre de la Santé, députés, présidents de région. Un impressionnant cortège conduit par François Hollande s'est rendu en Gironde pour une cérémonie d'hommage.

Gilles  Laferté

Gilles Laferté

Gilles Laferté est chargé de recherche au Centre d'Economie et Sociologie Appliquées à à l'Agriculture et aux Espaces Ruraux. Il est spécialisé dans les appartenances territoriales, l'histoire sociale des sciences sociales, la sociologie et ethnographie économique, des élites, et des pouvoirs locaux.

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Atlantico : Quels sont les enjeux pour le gouvernement derrière ce déplacement, à l'approche des élections régionales ?

Gilles Laferté : Historiquement, les voyages présidentiels en province ont pour fonction première d'incarner la Nation. François Hollande est pleinement dans sa fonction, ajoutant ici une large délégation rappelant plus encore la forme politique qui a suivi les attentas de janvier. Mais à l'évidence, un second enjeu émerge puisque la montée du Front National dans les espaces ruraux angoisse les hommes politiques. Se mobiliser pour l’accident de Puisseguin offre aussi la possibilité de s’associer à une peine qui touche d’autres groupes que les agriculteurs, ici un groupe important et des résidents ruraux, les personnes âgées, un groupe consensuel car peu politisé en tant que tel. Les villages français sont pour beaucoup des villages de retraités, souvent en difficulté.

Mais plus fondamentalement, elle renvoie à une méconnaissance des enjeux sociaux des mondes ruraux tout simplement parce qu’ils ne sont plus depuis longtemps étudiés comme tels, et devenus, en tant que ruraux, invisibles. La coupure urbain / rural, largement dépassée, est depuis assez longtemps niée dans l’analyse politique et sociale de la France. Après la fin des paysans dans les années 1960 pour un groupe agricole modernisé et désormais minoritaire, on a longtemps pensé, intellectuels comme politiques, que la diffusion des services publics, l’accès égalitaire à l’école de la République, les 80% d’une génération au bac, bref, la nationalisation achevée des marchés de l’emploi et de l’éducation, gommeraient la frontière rurale/urbain pour une France finalement entièrement urbaine (au sens des modes de vie), même au fond des campagnes.

Ainsi, tant que le vote Front National restait confiné dans des espaces urbains en difficulté sociale, les banlieues, d’une certaine manière, chacun s’était habitué à l’idée de difficultés sociales et économiques concentrées dans les banlieues urbaines. Or à l’évidence, celles-ci sont tout aussi importantes dans beaucoup de zones rurales et le vote Front National ne fait que les révéler. C’est comme si une digue avait sautée, même dans les régions les plus modérées et historiquement catholiques comme la Bretagne, comme si ces groupes en difficulté criaient aujourd’hui une colère rentrée.

L'électorat rural peut paraître stratégique pour la droite et la gauche, alors que les études montrent qu'il participe sensiblement au succès du Front national dans les urnes. D'une manière générale, comment peut-on qualifier le rapport entre la classe politique et l'électorat rural ? A quelles difficultés les différents gouvernements sont-ils confrontés lorsqu'ils s'adressent à eux ?

La formule de l’électorat rural n’est pas très heureuse, on peut même dire, que l’électorat rural n’existe pas tant la difficulté est bien de caractériser sous un vocable commun des situations très hétérogènes. Par ailleurs, nous ne disposons pas d’études sérieuses sur le vote Front National dans les mondes ruraux, des travaux sont en cours. Ce que l’on peut dire aujourd’hui, sans se tromper, c’est que le vote "rural" est d’abord un vote des catégories sociales surreprésentées dans les mondes ruraux, en premier lieu, les classes populaires, avec une tonalité ouvrière renforcée. Le mondes ouvriers ruraux ont historiquement été moins encadrés par les partis de gauche et des franges plus significatives votent aujourd’hui, partout sur le territoire, pour le Front National à mesure de difficultés croissantes sur le marché de l’emploi. Le deuxième groupe singulier concerne les agriculteurs. Ils sont clairement à droite depuis longtemps, avec d’abord une adhésion très forte pour Jacques Chirac (depuis son passage au Ministère de l’Agriculture en pleine période de croissance), un effondrement notoire sous Sarkozy, et, depuis quelques années, une percée nouvelle du Front National. Cette percée touche les jeunes et les plus petits agriculteurs, les perdants du système, alors même que l’agriculture a depuis toujours puisé dans l’immigration et les fonds européens pour tirer sa force contemporaine. A de quelques exceptions géographiques près, l’électorat agricole vote peu à gauche. A l’inverse, les classes supérieures résident peu à la campagne, ou alors sur un mode temporaire ou secondaire. Mais elles incarnent une campagne récréative, patrimoniale, paysagère et écologique, goûtée par la bourgeoisie diplômée et urbaine qui elle vote pour les partis de gouvernement, qui en quelque sorte angoisse les classes populaires et les petits entrepreneurs des mondes ruraux qui souhaitent avant tout développer les usages productifs des campagnes. Chaque création de parc naturel ou chaque hectare perdu pour un grand projet (ligne TGV, stade, piste cyclable…) est vécu comme une violence de la ville sur la campagne.

Qu'attend l'électorat rural comparativement à l'électorat urbain, les reproches adressés sont-ils du même ordre ? 

Particulièrement pour les classes populaires, les enjeux politiques spécifiques aux mondes ruraux concernent avant tout les questions de l’accès aux marchés de l’emploi et aux services (santé, éducation, commerce) incarnés par la ville. Liée à ces enjeux, la question des transports, de l’accès à internet, est essentielle. Pour le groupe agricole, bien sûr, le débat est centré sur la place de l’Europe et la réduction à venir des subventions, mais plus encore, sur le tournant écologique de l’agriculture après des décennies particulièrement réussies de productivisme. Cette réorientation des politiques agricoles occasionne là, un divorce entre les élus et les groupes agricoles qui avancent vers cette échéance à reculons.

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