Europe, la mort par les Po-Po ? Déni de démocratie au Portugal & nationalistes au pouvoir en Pologne, l’UE tétanisée par l’austérité et la crise des migrants<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UE est tétanisée par l’austérité et la crise des migrants.
L'UE est tétanisée par l’austérité et la crise des migrants.
©Reuters

L'UE à l'épreuve

Dimanche 25 octobre, la Pologne est passée à droite avec une très large victoire des conservateurs. C'est le parti Droit et Justice, une formation nationaliste eurosceptique et particulièrement proche du traditionalisme de l’épiscopat polonais qui a remporté les élections législatives. L'Union européenne doit faire face actuellement à plusieurs défis nationaux.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Atlantico : Dans quelle mesure la montée du nationalisme - comme en Pologne ce week-end - au sein des pays membres de l'Union européenne peut-elle affaiblir cette dernière ?

Alain Wallon : L'ancien premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski et son parti Droit et Justice, le PIS, trouvent dans leur victoire aux législatives de dimanche une revanche complète sur les libéraux pro-européens de Donald Tusk et Ewa Kopacz. Cela se fait sur un effondrement de la gauche, incapable pour l'instant de se renouveler pour répondre aux enjeux actuels. Un premier pas dans ce retour aux affaires pour le jumeau de Lech Kaczynski, l'ancien président polonais mort dans un accident d'avion, avait été l'élection en mai dernier à la présidence du pays de Andrzej Duda, un ultra conservateur devenu un de ses hommes liges. Mais, comme vous l'avez noté, la relation à l'Europe de cette formation, ouvertement nationaliste, est très ambigüe. Elle devra à terme clarifier son attitude, marquée par l'opportunisme, cherchant à garder les bénéfices sonnants et trébuchants de son appartenance à  l'Union européenne tout en se présentant comme la force fédératrice de tous les mécontentements, avec la tentation de leur désigner l'UE comme bouc émissaire. Sans oublier l'impossibilité de se passer de l'Europe face aux menées de Poutine en Ukraine et plus largement aux marches orientales et baltes de l'UE.

Pour celle-ci, la poussée croissante des populismes en Europe et leur capacité à peser sur les orientations de ses politiques devient une question brûlante. Le danger est grand d'un grippage de toute la machine. Si rien n'est fait pour le prévenir - et la responsabilité du triangle institutionnel (Conseil, Parlement et Commission) est ici engagée - les réveils risquent d'être brutaux.

Gérard Bossuat : Oui la construction européenne s’effrite devant les attaques inutiles contre les institutions européennes. Cependant la grande idée fondatrice des pères de l’Europe, Monnet, Schuman, de Gasperi et Adenauer structure toujours nos esprits et nos cœurs : la paix entre les Européens grâce à un système de prise de décisions en commun inégalé dans le monde. Il est insuffisant certes, mais il fonctionne. Elle s’effrite aussi du fait d’une technostructure communautaire incapable de faire de la politique, i.e. de mesurer les souffrances des gens et de prendre des décisions pour les surmonter. Elle risque de s’effriter dans nos esprits si on ne veut pas relever tout ce que l’Union a apporté à chacun des citoyens européens. La construction européenne offre pourtant de quoi se réjouir : la paix est dans nos territoires. Elle a formé un espace politique original et pacifique dont la confiance franco-allemande est le moteur et l’emblème. L’autarcie européenne des années 30 a été remplacée par le libre-échange. La stabilité monétaire n’est plus discutée, le spectre d’une dévaluation abyssale a disparu. La crise institutionnelle, ouverte par de Gaulle, a été dépassée au prix d’un renforcement de l’intergouvernementalité et un abandon à court terme de la Fédération, ce qui devrait rassurer les souverainistes. La crise financière et bancaire a été surmontée par les Etats avec la création en 2012 de divers moyens de stabilisation dont un traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), une union bancaire avec un Mécanisme européen de solidarité (MES) qui peut lever €700 milliards, un Mécanisme de surveillance unique (MSU) et un Mécanisme de résolution unique (MRU) qui veillent sur les banques de l’euro-zone. Alors pourquoi de Varoufakis à Orban ou Kaczynski de Podemos à UKIP ; de Mélenchon à l’extrême droite en France, à Blocher en Suisse, Le Pen ou Berlusconi, tant de haine envers cette construction européenne ? Sans doute parce que, contrairement à une analyse des comportements socio-politiques et culturels classiques des citoyens sur la fin des nations, les peuples imaginent mal comment se sentir pris en charge par une entité si grande et si diverse, l’Europe.

Au Portugal, le pays fait face à une impasse démocratique depuis les élections au début du mois. Est-ce là aussi un élément pouvant effriter l'Union européenne ?

Alain Wallon : Je ne pense pas que le Portugal restera très longtemps dans cette impasse entre un gouvernement minoritaire au Parlement et une opposition de gauche divisée mais majoritaire en sièges, restant au bord du Rubicon d'une coalition pour l'instant impossible. De plus, le pays a su remonter en partie la pente et montrer sa capacité à gérer puis surmonter ses difficultés. Je pense même que ce sera un des pays les plus constructifs au moment de relancer la construction européenne en s'opposant à ses forces les plus centrifuges qui en menacent la pérennité.

Ces résultats électoraux marquent-ils l'échec du projet européen, ou du moins, d'un pan de ce projet ?

Gérard Bossuat : Si lorsque la Gauche arrive au pouvoir quelque part cela provoquait un effritement de l’Union, on risquerait en effet de ne plus avoir d’Europe organisée ! Il faut distinguer ceux qui, à gauche et à droite aussi, ne veulent plus d’Europe ; ce qui signifierait un retour aux pratiques diplomatiques bilatérales. On est au XXIe siècle, se serait un retour en arrière extraordinaire et impensable. Tsipras en Grèce, conscient des conséquences graves s’il n’appliquait pas le plan de sauvetage financier, a fait adopter par les électeurs la potion amère (trop amère sans doute) des institutions communautaires et du FMI. D’autres veulent une autre Europe et il faut les prendre au sérieux, car les peuples semblent la suivre. Ils veulent être protégés par l’Europe comme ils le sont par leur Etat en termes de travail et de protection sociale ; ils veulent moins de mondialisation économique mais tout autant de mondialisation touristique et un contrôle sur les migrations de masse. La Pologne vient de se donner à la droite conservatrice et anti-européenne du PIS, tout comme la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Il semble que la peur des migrants, des hommes et des femmes d’une culture différente, ait motivé ce vote de rejet d’un partage des responsabilités envers les exilés de la guerre au Moyen-Orient ou en Afrique.

Donner un sens à l’unité, retrouver la fraicheur de l’idéal de 1948-1950, exigent de mettre la Démocratie en action, contre les pratiques du système communautaire européen quelles que soient ses qualités technocratiques. Seule la Démocratique pourra permettre de contester l’euroscepticisme, la défiance, le repli et le nationalisme. Les citoyens doivent pouvoir questionner démocratiquement les dirigeants européens sur leur politique car ils ne sont pas convaincus que l’Union protège et prépare leur avenir. Résoudre la plaie du chômage, ouvrir un horizon civilisationnel ambitieux et généreux est une nécessité pour donner du sens à la construction européenne. Les choix politiques de Barroso et de Juncker sont-ils pertinents ? L’action du couple franco-allemand, souvent mise en exergue, a-t-elle été efficace ? La solution est de rendre les institutions européennes responsables devant le Parlement et de développer des médias plurinationaux, libres et multilingues afin d’unir les consciences en faveur de l’intérêt général européen tout en restant loyal envers les cultures et les nations des pays membres.

Trois secteurs devraient être gérés selon une méthode fédérale: Premièrement, les politiques sociales, monétaires, économiques et fiscales. Deuxièmement, les politiques migratoires et le contrôle des frontières extérieures. Enfin, les politiques d’innovation écologique et environnementale, et le développement d’un nouveau modèle de production. Ainsi peut-on espérer écrire un roman historique européen, respectueux des histoires nationales, ouvert à l’avenir plurinational des peuples de l’Union. Allons-nous vers un dépassement de la crise ou vers une explosion de l’Union ? La période que nous vivons est instable. La guerre est à nos portes. Tout peut basculer. Rien n’est acquis. La leçon de Monnet et de Schuman est une leçon d’audace et d’innovation politiques. On cherche aujourd’hui qui peut s’en prévaloir.

Alain Wallon : En eux-mêmes, ces deux résultats, de nature très différente, ne démontrent rien de comparable. C'est surtout la déroute des forces pro-européennes, de gauche ou libérales, en Pologne qui est préoccupante. Le troisième plus peuplé des 28 États membres et qui avait réussi avec doigté son installation au coeur du système européen, se voit passer du jour au lendemain sous la férule quasi monopolistique d'une formation dominée par des conservateurs attachés aux positions les plus rétrogrades de l'Eglise polonaise, et dont le nationalisme étriqué, mâtiné d'un pro-américanisme de guerre froide, est à l'opposé des valeurs fondatrices de Solidarnosc. Or, pas de véritable démocratie sans une opposition portant un projet d'alternance digne de ce nom. Elle renaîtra seulement â ce prix. Se contenter de dénoncer les mesures réactionnaires voire ubuesques (Eglise plus OTAN, ça ne fait pas un programme !) que le PIS est susceptible de prendre ne suffira évidemment pas.

La nouvelle donne en Pologne va surtout profiter, au plan européen, à un David Cameron qui ne manquera pas de s'appuyer sur les conservateurs polonais dans sa tentative de renégocier les conditions d'adhésion du Royaume-Uni à l'UE. Une très mauvaise nouvelle, donc, pour la France, pour laquelle il ne faut rien céder sur l'essentiel au partenaire britannique. Une nouvelle alarmante pour tous ceux, l'Allemagne en tête, qui espéraient un assouplissement de la position polonaise sur l'accueil des réfugiés fuyant les zones de guerre.

Comment expliquer cette perte de confiance des populations européenne en l'UE ? Peut-on parler d'un début de fin de l'Union européenne actuelle ?

Alain Wallon : Elle est due pour beaucoup au sentiment qu'elles ont en commun de ne pouvoir influer sur les décisions politiques qui les concernent directement et affectent leur environnement immédiat : qu'il s'agisse de la carte hospitalière dans les régions rurales ou la carte scolaire dans les grandes agglomérations, de la fermeture d'un site industriel dans une région déjà touchée par un chômage de masse, d'une obligation de mises aux normes européennes ruinant la rentabilité d'un secteur artisanal ou de l'ouverture à la concurrence mondiale de productions jusque là rentables et soumises soudain à des prix de dumping, ou encore le sentiment du déclassement, de la perte de repères dans des lieux de mixité sociale où l'autorité centrale ou locale a cessé d'exercer son pouvoir de régulation et de médiation. La trop grande distance creusée entre ces questions concrètes et les responsables politiques créé une frustration croissante qui atteint â un moment donné un tel état de saturation, un tel fatalisme amer qu'il devient la proie facile de la démagogie populiste, passée maitre dans l'art de la canaliser à son seul profit électoral. L'Union européenne est confrontée pour la première fois de sa jeune existence à une confluence très dangereuse de ces courants qui, parce qu'ils sentent avoir le vent en poupe, sont prêts à mettre à l'épreuve l'édifice européen sans lequel pourtant leur pays se retrouverait précipité sans armes sérieuses dans la fosse aux lions de la mondialisation. Bloquer un tel processus et son éventuelle contagion est possible. A condition d'en faire une priorité immédiate. L'Europe est à la croisée des chemins. Elle ne doit pas craindre la confrontation avec ceux qui voudraient la balkaniser. Elle doit et elle peut refonder un leadership de ses États membres fondateurs et démontrer par des actes à ses citoyens qu'elle ne fuit pas ses responsabilités.

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