Nouvelle tendance dans la grande distribution : limiter le choix dans les rayons (mais dans votre intérêt ou dans le sien ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le PDG de Tesco a décidé de limiter le nombre de produits en rayon dans ses supermarchés.
Le PDG de Tesco a décidé de limiter le nombre de produits en rayon dans ses supermarchés.
©Wkipedia

Trop c’est trop

Tesco vient de limiter le choix de ses produits dans ses rayons. Cette stratégie commerciale peut se justifier de nombreuses façons : le manque de choix pourrait notamment être source de frustration pour l'acheteur.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : David Lewis le PDG de Tesco a décidé de limiter le nombre de produits en rayon dans ses supermarchés. Limiter le choix dans les rayons serait-il une stratégie marketing qui pourrait se révéler payante alors que l'abondance de choix semble être la stratégie la plus naturelle ?

Christophe Benavent : Je ne suis pas sur que ce soit une stratégie marketing, mais plutôt logistique : la réduction de coût obtenu en passant de 90 000 références à 60000 références, signifie de se concentrer sur les produits à forte rotation dans les rayons, à réduire les coûts de stockage, de commande quitte à perdre un peu d'attractivité auprès de clients qui ont des demandes spécifiques. Accessoirement, c'est aussi simplifier le choix des consommateurs.

Comment fonctionne psychologiquement le consommateur lorsqu'il fait son choix ? Une frustration peut-elle venir du fait qu'il ait trop de produits ?

Choisir demande un effort, il faut comparer et délibérer, il faut des ressources cognitives importantes. On sait depuis toujours que le consommateur n'est pas absolument rationnel, dans le sens où il examinerait toutes les opportunités et choisirait la meilleure. Depuis les années 60 et Simon, on sait qu'on n'envisage qu'un nombre limité d'alternatives et qu'on choisit la première qui satisfait les critères principaux sur la base desquels on forme son jugement.  C'est une idée que le marketing a toujours envisagé, notamment avec cette très vieille notion de l'ensemble de considération : le nombre de marques qu'on envisage acheter se limite à 2 ou 3, et l'enjeu de la publicité est justement d'inscrire la marque promue dans cette short list et parmi le plus grand nombre d'ensembles, c'est à dire de consommateurs. Le grand nombre de produits présents en magasin ne perturbe pas cela, dans la mesure où l'on sait à l'avance entre lesquels on va faire le choix. La diversité de l'offre permet simplement de faire face à la diversité des ensembles de considération. Quant aux choix, on enseigne au moins depuis les années 70 que les modèles de décision employés par les consommateurs ne font pas forcément la balance pondérée de tous les critères pour prendre le meilleur, mais généralement font la décision en prenant la marque qui surpasse les autres sur le principal attribut. 

Il faut cependant ajouter que dans le champ de l'économie comportementale, ces idées sont revenues en force depuis quelques années, avec les travaux d'un Dan Ariely ou d'un Barry Schwartz, qui renouvellent la question du choix et sa formalisation pour les économistes la pensent (un choix rationnel), mais ne font que renforcer les conceptions anciennes de la théorie du choix des consommateurs. Une de ces idées, est qu'un choix entre des options limitées demande moins d'effort et aboutit plus facilement à une décision. Trop de choix peut effectivement empêcher le choix, sauf si le consommateur dispose d'heuristique et d'outils. L'heuristique ce sont des systèmes de règles (la plus simple : acheter ce qui nous a déjà satisfait, et c'est la raison de la fidélité aux marques), les outils et les comparateurs que l'on a en main. C'est la raison pour laquelle nous ne pensons pas que la stratégie de Tesco s'appuie sur ce courant d'idée mais sur un point de vue bien plus financier et opérationnel.

On observe d'ailleurs dans le commerce une autre tendance : celle d'élargir les offres au travers des marketplaces, car tout commerçant sait que l'attractivité d'un point de vente dépend de l'assortiment. Une solution quand la surface de vente est réduite, est d'ailleurs de digitaliser le point de vente et de permettre de commander dans le magasin via Internet, les références que l'on a pas en stock. C'est cette équation que Sephora tente de résoudre avec son nouveau concept de point de vente. Elle s'accompagne aussi d'un appareillement des consommateurs, pour réduire l'effort de choix : les listes de courses digitales, les aides à l'achat électronique, les simulateurs, les comparateurs, sont autant d'instruments qui permettent de résoudre partiellement cet effort.

D'un autre côté, le choix de la simplicité dans l'offre peut être l'apanage de certaines enseignes. Des Aldi ou Lidl qui offrent moins de 4000 références en sont caractéristiques : mais c'est encore 10 fois moins que Tesco qui ne rivalisera pas avec eux sur ce plan. Dans ce modèle l'attractivité perdue par la variété est compensée par celle des prix obtenus par une réduction des coûts. D'un point de vue marketing la stratégie de simplicité convient plus aux marques qu'aux distributeurs. Apple en est un bon exemple, Free l'a été dans le domaine des telecoms. Elle convient aux situations où l'on ne s'adresse pas à des consommateurs experts, où le marché est peu différencié, et où le poids de la marque dans la décision est peu important. Les stratégies de diversité sont essentielles quand les consommateurs sont divers dans leurs goûts, qu'ils ont des besoins très spécifiques, et que la concurrence est nombreuse. 

Une attente trop élevée pèserait à cause du nombre de choix de plus en plus important dans tous les domaines qu'il s'agisse du commerce, de l'éducation ou même au niveau des rencontres organisées par des applications. Serait-il préférable que nos choix soient limités au sein de notre société ?

Le jeu de la compétition conduit à la différenciation et à une offre très diversifiée. Mais ce problème de choix n'est pas celui que nous avons traité précédemment : celui d'une politique de gamme qui va de l'offre d'un nombre de produits très limité à celui d'une gamme large voire infinie avec la personnalisation qui revient à offrir à chacun un produit sur mesure. Elle est celui de la société de consommation, où les nombreuses sollicitations conduisent peut être à sur-consommer, et font que consommer est un véritable travail pour le consommateur en cela qu'il demande beaucoup d'effort et d'attention pour consommer sain, respectueusement et de manière économique.

Limiter les choix dans la société, serait-il encourager les monopoles ? Ce serait une folie car cela aboutirait à augmenter les prix, réduire le nombre de consommateurs, et que cela ne changerait pas vraiment l'offre, car le monopole est incité à multiplier les marques et les offres pour exploiter ce que les économistes appellent le surplus du consommateur ( la différence entre le prix qu'il paye et celui qu'il était prêt à payer) en offrant des marques pour les consommateurs à faible propension à payer et d'autres plus luxueuses pour les indifférents au prix. Une autre solution est la solution Maoiste : un seul costume pour tous ! C'est inacceptable.

Même si l'excès de choix peut être considéré comme une externalité de la société de consommation (comme l'est la pollution), il n'a pas forcément à être limité. Ce qui doit être limité c'est l'effort nécessaire pour bien choisir. On ne va pas réduire l'Amazonie à quelques essences et quelques animaux pour réduire l'effort que les amazoniens doivent faire pour apprendre à vivre dans la forêt comme dans un jardin.

Les solutions passent par autre chose : donner plus de capacités pour faire des choix informés et plus rationnels. Ca passe par la construction d'outils d'aide à la décision et avec le digital il y a plutôt prolifération, ça passe aussi par le renforcement des associations de consommateurs qui sont des contre-pouvoirs nécessaires, ça passe en partie par la normalisation et la labelisation pour éviter que les critères de choix inobservables par les consommateurs les amènent à de mauvaises décisions (pensons à la question du sucre dans les sodas), ça passe par un travail d'éducation à la consommation qui n'est pas fait. 

En réalité le problème n'est ni de réduire le choix, ni même de réduire l'effort produit pour le choix, mais d'améliorer la rentabilité de cet effort pour le consommateur. Faire qu'avec un même effort on puisse choisir parmi plus de produit, prendre des décisions qui soient meilleures pour soi et pour la société.

Les choix trop nombreux de masters à l'université ont par le passé posé des problèmes d'orientation résolus par une limitation du nombre de masters accessibles. Sans changer de modèle de société, comment anticiper de tels phénomènes ?

Oui c'est un bon exemple. Effectivement, même si l'éducation du supérieur est largement dans le secteur public, le jeu de la compétition entre les universités a conduit à une multiplication phénoménale des dénomination des formations de licence ou de master, générant une anxiété parmi les futurs étudiants peu en mesure d'évaluer la qualité et l'intérêt de telle ou telle formation. Est-ce que l'uniformisation autoritaire du nombre d'intitulés facilite la décision des étudiants ? Et bien non, au contraire voilà qui complique le choix, car derrière des noms uniformes, se cache une grande diversité de contenu et d'équipe. Cette décision finalement va renforcer le rôle des marques (les universités ou écoles) encourageant les étudiants vers les plus connues, et les dissuadant d'aller dans les moins connues. Voilà qui encourage la création d'un marché de réputation qui n'est pas forcement corrélée à la véritable qualité. 

Il aurait mieux valu se pencher sur les dispositifs d'orientation publics et leur donner plus de moyens, qui se font concurrencer par les marchés de réputation que sont les salons et la presse (privée) para-éducative, et dans lesquels ce sont les marques les plus fortes et avec le plus de moyens qui dominent. Il serait bon que les syndicats d'étudiants s'intéressent un peu plus à ces questions d'orientation. Il serait nécessaire de faciliter l'effort de communication des masters (au moins public) de chacune des universités pour signaler (au sens de l'économie des signaux) les efforts qu'ils font, et donc d'accroitre les budgets de communication (qui sont nuls pour la plupart), de normaliser leur communication en les obligeant à afficher plus clairement les éléments de contenu (programmes et enseignants), de la même manière dont on oblige les marques alimentaires à afficher sur les étiquettes la composition des produits. Inciter les universitaires à être plus actifs dans les Lycées, dans tout les cas à agir de telle manière à faciliter le rendement du choix, plutôt qu'à le réduire de manière autoritaire. C'est au passage le rôle du marketing, et dans cet exemple d'un marketing public !

Sur un plan plus général, la question de la difficulté des choix traduit celui de sociétés complexes et diverses, une société dont les membres n'arrivent plus à la connaitre et à y circuler aisément. Redonner de la simplicité par l'autorité est une mauvaise solution car cela revient à mettre la poussière sous le tapis. On ne réduira pas la complexité de la société, on peut cependant rendre plus simples les choix, en donnant plus de capacité de juger et de décider au citoyen, au consommateur, au travailleur. La simplicité ne l'oublions pas est le jugement que nous formons quand nous jugeons l'écart entre la complexité d'une tâche et la capacité que nous avons à la résoudre. Calculer la dérivée d'une équation est impossible pour la plupart, c'est un exercice évident pour les matheux. Et si tout le monde n'est pas mathématicien, faisons en sorte qu'ils aient quelques notions de base et surtout qu'ils aient des calculettes fiables ! 

Si le choix est un problème dans notre société, ce n'est pas parce qu'il y en a trop, c'est parce que ceux qui y sont soumis n'ont pas forcément les capacités de les exercer. C'est le problème d'une démocratie moderne : elle ne peut fonctionner que si ses membres sont en mesure de juger les propositions qui leur sont faites, et dans le monde complexe qui est le nôtre l'enjeu c'est de faire des citoyens plus cultivés, mieux formés, mieux informés, mieux organisés pour défendre leurs intérêts, et mieux équipés pour décider. 

Pour finir sur une note politique, n'oublions pas que le parti du simplisme convainc  50%  de ceux qui n'ont aucun diplôme,  non pas qu'ils soient moins intelligents que les autres, mais étant plus démunis dans la capacité à choisir, ils peuvent être convaincus que les solutions simples sont faisables, y compris celle de n'avoir plus de choix, alors qu'elles sont simplement dangereuses.

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