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Natacha Polony : "Nous sommes la France", mais qui est ce "nous" ?
©REUTERS/Eric Gaillard

Bonnes feuilles

Après les attentats de janvier 2015, 4 millions de Français ont défilé sous le slogan "Nous sommes la France". Mais qui sont ce "nous" et cette France ? Il est essentiel d'affirmer ce qui nous rassemble, au-delà des diversités, à travers la France et la République, pour ne pas voir les fractures se creuser et les plaies s'infecter. Extrait de "Nous sommes la France", de Natacha Polony, publié aux éditions Plon (1/2).

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Que nous dit Renan de la Nation ? Que son principe fondateur n’est pas une race, pas une religion, pas même une langue ni une géographie. « Une Nation, dit-il, est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

>>>>>>>> A lire également : Natacha Polony : ce que révèle la réaction de ceux qui n'ont pas condamné les attentats de Charlie Hebdo sur l'état de la France

Passé et présent. « Possession en commun d’un riche legs de souvenir » et « volonté de continuer à faire valoir l’héritage ». Cette conception française de la Nation, formulée en 1882 dans Qu’est-cequ’uneNation ?, s’oppose explicitement à la conception allemande. Renan s’emploie à invalider les thèses de l’anthropologie et de la philologie allemandes qui font reposer l’idée de Nation sur la race et la langue. Ces thèses, pourtant, auront au xxe siècle une triste postérité. Au contraire du fantasme de définir une « race pure », il insiste sur le principe essentiel qui permet de faire, à partir de Burgondes, de Francs et de Normands, un même peuple parmi lequel les différences sociales ne refléteront pas les différences ethniques. Renan cite d’ailleurs la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et l’Angleterre : « Qu’est-ce qui caractérise ces différents Etats ? C’est la fusion des populations qui les composent. » Une fusion qui ne signifie nullement une uniformisation, mais le refus de statuts différents. La fédération yougoslave, avec ses « nationalités » inscrites sur l’état civil, ne forma jamais une Nation, et c’est bien tout le drame. Deuxième point fondamental, d’ailleurs, Renan formule dès 1882 la notion de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Puisque la Nation relève d’une volonté, rien ne sert d’y maintenir de force une population et un territoire qui veulent s’en détacher. La Nation et les peuples sont une prophétie autoréalisatrice : ils existent quand des êtres humains se sentent former un peuple et constituer une Nation.

Cependant, pour qu’il y ait cette « volonté », pour que perdure cette « âme », ce « principe spirituel », il faut qu’il y ait « héritage commun ». L’enjeu est encore plus crucial quand s’ajoutent aux populations déjà présentes des populations venues d’ailleurs, qui ne sont pas porteuses, par les récits familiaux, par une culture commune, de cet héritage. S’agit-il de dire que des enfants nés français de parents immigrés seraient moins français que les autres ? Non. Mais si personne ne songe à leur transmettre l’héritage qui est le leur en tant que Français, alors la France n’existe plus comme Nation. Elle n’est qu’une forme administrative vide, substituable à n’importe quelle autre. Or il ne semble pas que le fantasme d’un individu libre et détaché de tout lien dans une entité neutre régie par le droit et le marché soit réellement l’idéal recherché par une majorité d’êtres humains. Pour preuve, ces identités de substitution que tant de gens investissent pour combler le vide existentiel laissé par l’effacement des appartenances et l’éradication des institutions qui en sont la manifestation.

Pourtant, la réduction de toute forme de patriotisme à un nationalisme xénophobe – Le  Monde, « journal de référence », avait en 2002 surnommé les défenseurs de la souveraineté de la Nation et de l’expression du peuple à travers les institutions républicaines de « nationaux républicains » (toute ressemblance avec le national-socialisme étant en la matière rien moins que fortuite) –, le refus systématique de transmettre le patrimoine culturel, historique et littéraire, jugé discriminant pour ceux qui ne le possèdent pas, tous ces réflexes idéologiques ont depuis des décennies cherché à détruire toute spécificité française. Pourquoi ?

L’appartenance à une Nation, comme tout autre lien affectif et moral qui structure la vie d’un homme, est le meilleur frein à l’extension indéfinie du marché. Elle est la preuve que nous ne saurions être réduits à des individus rationnels poursuivant leur seul intérêt et cherchant à maximiser leur plaisir, ce qui est la définition de l’être humain dans la pensée libérale classique et celle du consommateur dans les sociétés contemporaines. Il s’agira donc de présenter l’attachement à la Nation comme un renfermement « rance » et xénophobe, selon  le vocabulaire consacré, pour mieux permettre l’extension des échanges libérés des contraintes que peuvent être la protection des peuples, la prise en compte de leurs spécificités, de leur histoire… Une fois de plus, les gentils libertaires « citoyens du monde » ouvrent la porte aux libéraux les plus déterminés.

La France, donc, n’est qu’une formule imprimée sur un passeport. Elle est pur présent. Il faut en effacer le passé, soit pour se faire croire qu’on va rendre l’humanité plus généreuse quand elle n’aura plus de racines, soit pour lui permettre d’acheter, partout dans le monde, les merveilles produites à bas coût par la société industrielle. Il est d’ailleurs frappant de voir à quel point certains tentent de réduire la France à sa dimension comptable, à ces chiffres sans grandeur et sans passé : les immigrés ne seraient venus que pour remplir les usines, qui plus est à notre demande. Quoi, pas un qui n’ait cru en la promesse de notre histoire ? Pas un qui ne soit venu parce qu’il avait cru trouver cette France de Voltaire et de Victor Hugo à laquelle on croit encore ailleurs que dans nos frontières ? Ah si, quelques-uns tout de même, mais à condition qu’on puisse leur faire dire que la réalité les a bien déçus.

Extrait de "Nous sommes la France", de Natacha Polony, publié aux éditions Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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