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Réchauffement climatique : quand un expert du GIEC explique pourquoi son organisme choisit délibérément de publier des synthèses difficilement compréhensibles
©Reuters

Pompe à connards

Une étude publiée par la revue Nature explique que les synthèses des experts à l’attention des décideurs politiques et du grand public sont "incompréhensibles". Parallèlement, le GIEC indique "qu'une réflexion est actuellement en cours pour mieux partager les connaissances sur le climat", qui n'est pour autant pas souhaitable dans toutes les situations.

Jean-Charles  Hourcade

Jean-Charles Hourcade

Jean-Charles Hourcade est directeur de recherche au CNRS et directeur d'étude à l'EHESS, spécialiste reconnu de l'analyse économique du changement climatique, en particulier des questions énergétiques.

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Atlantico : Une étude publiée par la revue Nature explique que les synthèses des experts à l’attention des décideurs politiques et du grand public sont « incompréhensibles ». Comment peut-on expliquer ce problème de communication ?

Jean-Charles Hourcade. Pour bien comprendre, il faut dissocier deux choses : le rapport en tant que tel, écrit par les scientifiques, et la synthèse du rapport.

Dans le rapport, le vocabulaire utilisé peut être technique, mais ce n'est pas tant le problème, car personne ne lit les rapports. Les hommes politiques ne lisent pas les rapports. Ils lisent les rapports de rapports, c’est-à-dire, ceux écrits par les journalistes ou les ONG, ou bien les rapports d'étapes, qui sont des raccourcis, simplifiés et sans arête.

L'incompréhension réside davantage dans les synthèses qui partagent un contenu très peu clair, car il résulte d'un dialogue entre les scientifiques et l'assemblée générale du GIEC. Ainsi, il est le fruit d'un compromis de langage. Tout ce qui comporte des arêtes est adouci. A force de faire cela, le contenu technique peut devenir assez flou.

En outre, nous sommes obligés d'interpréter leur contenu, car ils ne sont pas complets.  Chaque compte rendu va mettre en exergue un élément et va donner son interprétation.

Le GIEC indique qu’une réflexion est actuellement en cours pour mieux partager les connaissances sur le climat. Quelles pistes peuvent être étudiées pour améliorer la communication des scientifiques ?

Il est vrai que les scientifiques pourraient faire mieux. Sauf qu'il faut savoir que le GIEC n'est pas financé. Très peu de moyens sont mis à disposition. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de progrès à faire. Mais avant d'inventer des mécanismes de meilleure communication entre les scientifiques et les pouvoir publics, il faut pouvoir les financer. Le GIEC a mis en place un nouveau bureau le 5 octobre, attendons-donc de voir les résultats.

Lorsqu'un rapport est écrit, il est relu par une centaine de personnes. Chacun envoi ses remarques qui sont ensuite insérées. A chaque chapitre, les auteurs se mettent d'accord sur un rapport. A ce niveau-là, il faudrait mettre en place des moyens afin que ces rapports soient réellement lisibles, car ils sont forcément techniques et doivent intégrer beaucoup de remarques des gouvernements.

Par exemple, en faisant davantage de relectures de ces rapports, cela permettrait de les rendre plus lisibles, et ainsi de pousser les personnes à les lire, et à ne pas se contenter uniquement des synthèses. 

Aussi, il faudrait prendre le temps de réaliser un vrai travail de forme de telle sorte à passer d'un travail scientifique et technique à un travail communicable et compris des personnes qui n'ont pas les mêmes formations. 

Pour le moment, nous n'avons absolument pas le temps, ni l’argent pour le faire. 

Quels sont les limites de cette clarté ? Comment trouver le juste milieu entre la transparence et l’entente de tous les pays ?

Je ne crois pas qu'il faille attendre des rapports de synthèse autre chose qui soit plus clair. Ils ne peuvent pas ne pas être ambigus. Il y a tellement de vision du monde, tellement d’intérêts différents en fonction des pays… Vous avez autour de la même table l'Arabie Saoudite, les Américains, etc… Comment voulez-vous qu'ils puissent s'entendre sur un rapport très clair ? Nous ne pouvons pas faire autrement qu'avec une incompréhension. Dans notre monde où les politiques sont dictés par les intérêts propres de chaque Etats, nous ne pouvons pas demander aux pays de s'accorder sur une synthèse d’un document scientifique.

Nous pouvons faire des progrès, mais nous ne pouvons pas rêver d’une transparence totale. Prenons l'exemple de la Pologne. Son développement se fait en parti sur le charbon. Il est ainsi logique que les Polonais s'opposent à tous les éléments qui peuvent faire penser que le Carbone est mauvais. Ainsi, la synthèse du rapport qui sera fait sur la question du Carbone sera plus compliquée, plus ambigüe, de telle sorte à ce que chacun interprète à sa manière.

La clarté dessus devient mensongère. Il vaut mieux avoir une tension entre la science et les politiques : c'est le rôle du rapport de synthèse. Cette tension est inscrite dans la réalité du monde.

En revanche, il est certain qu’il faut améliorer la lecture des rapports eux-même. Nombreux sont passionnants et seraient bien utiles aux politiques. Il faut donc améliorer la lisibilité de ces rapports.

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