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Développement durable : pourquoi les insectes ne doivent pas finir dans toutes les assiettes
©Pixabay

L'insecte change du steak

Les insectes ont un intérêt réel sur le plan nutritionnel puisqu'ils sont riches en protéine animale offrant une alternative possible à la viande. Une exploitation à grande échelle relève encore de la science fiction mais les insectes vont tout de même finir dans certaines assiettes.

Béatrice  de Reynal

Béatrice de Reynal

Béatrice de Reynal est nutritionniste Très gourmande, elle ne jette l'opprobre sur aucun aliment et tente de faire partager ses idées de nutrition inspirante. Elle est par ailleurs l'auteur du blog "MiamMiam".

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Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Une étude indique que les insectes sont bons en cas de sous-alimentation et mauvais en cas de suralimentation. Quelles sont les qualités nutritionnelles qui en font une alternative éventuelle à la viande ?

Béatrice De Reynal : Effectivement, les insectes on beaucoup fait parler d’eux ces derniers mois, au motif qu’ils seraient plus sains pour la santé, et moins onéreux pour l’environnement. Certains experts trouvent pourtant à redire à ces affirmations. Les insectes ont fait l'objet d’une très grande attention de la part des Nutritionnistes occidentaux (donc chez qui les insectes ne sont jamais consommés), plus comme une alternative potentiellement durable pour l'environnement et avec des atouts nutritifs tels qu’ils pourraient substituer tout ou partie de notre consommation de viandes et poissons, et sachant que les sources de protéines végétales souffrent de défauts gustatifs assez rédhibitoires pour les gourmets que nous sommes. Des chercheurs de l’université d’Oxford ont testé l'hypothèse que les insectes seraient nutritionnellement préférables à la viande. Pour cela, ils ont sélectionné 183 produits de viandes et abats (bœuf, porc et poulet)  et six espèces d'insectes disponibles dans le commerce. Ils ont comparé les apports en énergie et en 12 éléments nutritifs. Les résultats montrent une grande variété de composition nutritionnelle des insectes selon les espèces. Aucun des insectes étudiés n'étaient significativement "plus sains" que les produits de viande. Les grillons, les vers palmistes et les larves de charançons, les vers de farine avaient un score significativement plus sain que le bœuf ou le poulet. Aucun insecte n’était statistiquement moins bon pour la santé que la viande. De fait, les insectes peuvent être une alternative, pour ceux qui le souhaitent, aux viandes. Ils ne sont pas "meilleurs", mais jamais "moins bons".

L'élevage de viande est coûteux, prend de la place, consomme beaucoup d'énergie et pose des problèmes environnementaux. Quels sont les avantages de l'exploitation d'insectes par rapport à la viande ?

Béatrice De Reynal : Côté environnement, certains auteurs estiment qu’ils ne sont pas forcément meilleurs. Les analyses ne tiennent pas compte de la qualité nutritionnelle de ce qui pourrait devenir un élevage industriel ! Là, ce sera une autre histoire. Les insectes, notamment les vers de farine ou le cricket, ont un impact CO2 plus faible que les autres espèces animales vertébrées. Ils occupent un moindre espace agricole, mais les besoins en énergie de leur culture est important puisqu’il dépasse celui du lait et atteint celui du porc*. Prenons donc quelques précautions intellectuelles et scientifiques avant de foncer tête baissée dans l’enthomophagie ! Il faut raison garder.

Bruno Parmentier : Les insectes sont des animaux à sang froid. Les animaux à sang froid sont plus écologiques parce qu'ils n'ont pas besoin de dépenser de l'énergie pour se réchauffer. Ils sont néanmoins plus exposés en cas de grand froid. Les grillions arrivent tout de même de leur côté à se réfugier sous la terre. En plus, ils se reproduisent à très grande vitesse. Le mieux du point de vue écologique est de manger des protéines végétales. Il y a des protéines dans toutes sortes de végétaux comme les fruits et les légumes. Les céréales essentielles à notre alimentation n'en ont pas beaucoup. Il y a certaines plantes comme les légumineuses qui ont un nettement meilleur taux en protéines. Toutes les grandes civilisations, lorsque l'on y réfléchit, ont gagné la guerre avec une bonne alimentation. La bonne alimentation ne contenait pas de viande tout en gardant une bonne association entre les céréales et les protéines. Les Incas par exemple mangeaient du maïs et des haricots, les arabes le couscous au pois chiche, et en Chine le riz et le soja. Au final il n'y avait pas beaucoup de viande dans le cassoulet au démarrage. On s'est ensuite mis à manger de la viande. Or manger de la viande c'est aussi manger beaucoup plus de végétaux. Il y a ceux qui accompagnent la viande et ceux qui ont été consommés par l'animal lui-même. Les végétaux consommés par les animaux servent surtout à ces derniers à se chauffer. Il faut 4 kilos de végétaux pour un poulet, 6 kilos pour le cochon et 11 pour le bœuf. Pour les animaux à sang froid, en général ils tournent autour de 2. C'est donc un taux de transformation nettement meilleur. Il faut environ 2 kilos de farine pour faire un kilo de sauterelle ou 2 kilos de farine pour 1 kilo de vers à farine. C'est donc très rentable. Le plus rentable reste cependant de manger des protéines végétales. Après avoir eu notre apport en protéine végétale, les protéines d'animaux à sang froid restent une solution beaucoup plus rentable que celles issues d'animaux à sang chaud.

L'exploitation généralisée et intensive d'insectes n'existe pas encore. Est-il néanmoins possible d'imaginer qu'ils finissent dans nos assiettes pour constituer une alternative à notre besoin en protéine animale ?

Bruno Parmentier : Si l'on s'oriente vers l'élevage, il faudra utiliser des insectes qui nous sont familiers. Nous savons par exemple que le scorpion est parfaitement comestible. Imaginons un instant qu'une personne pose une demande d'avis de construction en Bretagne pour un élevage de scorpions. En France on s'orienterait vers des exploitations de vers de farine, de sauterelles ou de grillons. Il faudra cependant faire en sorte que ces insectes ne sortent pas de leur cage bien évidemment. Il y aura une évolution différente dans les pays où l'on a déjà l'habitude de manger des insectes des pays où il n'y en a pas. Ceci peut bien entendu évoluer puisque l'on a peur de manger des sauterelles alors que l'on raffole des escargots. Pour le reste de l'humanité, les français mis à part, les escargots sont dégoutants. Il n'y a que les français qui en mangent. Donc tout cela est très culturel. La culture évolue très lentement. En Chine, en Thaïlande, à Madagascar, il est probable que se développent des élevages d'insecte en vue de les consommer ensuite. Là le défi c'est de passer d'une économie de la cueillette à une économie d'élevage. Pour le moment, les insectes consommés dans ces pays-là sont cueillis. Ce sont des insectes sauvages que l'on attrape au filet. L'on devrait donc très probablement voir l'arrivée de fermes d'élevage.

Concernant les réticences culturelles, rien n'empêche de faire des élevages de vers de farine et faire cuire les vers pour les transformer ensuite en farine protéinée. Rien n'empêche d'incorporer ces farines dans des plats cuisinés ou des barres chocolatées hyper protéinées. D'ici 15 ou 20 ans, dans les barres chocolatées qui font le bonheur des enfants à leur goûter, il y aura sûrement plus de vers de farine que de cochon. L'on peut également nourrir des animaux avec. Un poulet dans la nature va manger une sauterelle qui passe devant lui. Donner des sauterelles à manger au poulet n'a rien de choquant puisqu'il s'agit d'un phénomène naturel. Nos poulets actuellement se nourrissent de maïs et de soja importé d'Amérique latine qui amène l'apport en protéine. La demande de soja explose même si le prix du soja a baissé cette année. Globalement dans les 20 ans qui viennent la demande ne va faire qu'augmenter puisqu'il faudra nourrir les poulets et les cochons des consommateurs issus des pays émergents qui ont une demande en viande beaucoup plus forte. Ce n'est donc pas de la science-fiction que d'imaginer dans 20 ans un élevage de sauterelle à côté d'un élevage de poulet en France. Celles-ci seront élevées pour compléter le maïs donné au poulet. Nous risquons donc fort de manger des protéines d'insecte sous forme de protéine animale. De la même façon nous mangeons déjà tous des OGM lorsque nous mangeons du poulet et du cochon. Actuellement 80% du soja cultivé dans le monde est fait à partir d'OGM. Il n'est pas exclu qu'un jour nos aliments actuellement remplis d'OGM contiennent à la place des vers de farine, des sauterelles ou des grillons.

L'élevage pourrait-il constituer une solution dans des pays où la famine est récurrente ?

Bruno Parmentier : C'est une solution envisageable dans des pays en proie à des famines ou quand il y a une augmentation gigantesque de la population qui fait que la demande de protéine animale explose. A Madagascar, pays extrêmement pauvre, l'alternative à la viande que peut constituer les insectes est très intéressante pour lutter contre la sous-alimentation. En revanche, c'est une chose de dire j'achète un filet, je me balade dans la campagne, j'en attrape un et je le fais cuire. Une autre est de dire je vais faire une ferme d'élevage, ce que l'on ne sait pas faire actuellement. Là nous sommes un peu dans la science-fiction. Nous ne connaissons pas tous les problèmes que poseront les élevages d'insectes. Pour le moment il n'y en a quasiment pas en tout cas sur le plan industriel. Il y a de nombreux inconvénients. L'un de ces inconvénients est qu'il faut une cage et un filet d'une certaine qualité qui empêche un million d'insectes de s'échapper. Pour toutes les questions de famine la FAO le recommande très chaudement.

*Vries & de Boer (2010) - Environmental impact of mealworms compared to other animal products

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