La (mauvaise) éducation sentimentale : comment les réseaux sociaux façonnent nos dérives amoureuses 2.0 <!-- --> | Atlantico.fr
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Les réseaux sociaux invitent à plus surveiller son partenaire amoureux.
Les réseaux sociaux invitent à plus surveiller son partenaire amoureux.
©Reuters

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Facebook, Instagram, Snapchat... Ces réseaux sociaux sont bien plus que des divertissements, ils ont également un impact incontestable sur notre comportement.

Sylvie Duchamp

Sylvie Duchamp

Sylvie Duchamp est psychanalyste, psychologue clinicienne, (Master II pro, Master II recherché), université Paris Diderot. Consultation jeune adulte et adolescent à l’Hôpital Sainte-Anne et activité libérale.

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Atlantico : Une post doctorante en psychologie ainsi qu'une étude basée sur 156 étudiants malaisiens se sont intéressés aux "iDésorders". Il s'agit de troubles obsessionnels accentués par la présence sur les réseaux sociaux. Ce type de troubles n'est pas nouveau, ont-ils évolué avec l'impact des réseaux sociaux ? Comment ?

Sylvie Duchamp : Les réseaux sociaux sont, me semble-il, le moyen privilégié d’une frange de la population, et notamment les adolescents et jeunes adultes, pour entrer en contact avec l’autre. La rencontre de l’autre parait se faire plus simplement par le biais d’un réseau social que dans la réalité. En effet un ensemble d’information sont accessibles d’emblée et les inhibitions qui peuvent freiner la rencontre de l’autre sont en partie levées – on est face à un écran et non face à la personne.

Mais l’individu reste le même avec ses névroses ou autres troubles indépendamment de sa présence sur les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux sont un magnifique terrain de jeux où l’on peut observer tout cela de manière concentrée. Et comme sur tous terrain de jeux ces troubles apparaissent comme au travers d’une loupe grossissante.

Ce que cette étude met en évidence c’est l’exacerbation de la névrose obsessionnelle. Juste à titre de rappel, Freud définit la névrose obsessionnelle comme un entrelacs étroit entre le conflit œdipien et le conflit entre amour et haine. Les obsessions résultent du déséquilibre affectif lié à ce que la haine soit plus forte que l’amour.

Qu'est-ce qui, dans le principe des réseaux sociaux, grossit ces failles que nous avons tous ? Se manifestent-elles différemment chez chacun d'entre nous ? Peuvent-elles atteindre des proportions inquiétantes, voire dangereuses ?

On peut lire l’acte compulsif d’aller surveiller les faits et gestes de l’autre au travers des réseaux sociaux comme l’expression des doutes de ces personnes quand à le lien (amour) qui les unit. La composante de haine échappe à la conscience du sujet qui justifie son acte par des rationalisations. Les réseaux sociaux sont cette cour de recréation où ces compulsions trouvent toutes les possibilités d’expression. Tout est accessible en profusion, c’est une fenêtre grande ouverte sur l’autre. Sans limite.

L’étude met en évidence une différence entre homme et femme quand à cette propension à surveiller l’autre via Facebook. Je pense qu’il s’agit aussi de l’expression de symptômes différents. De manière très caricaturale, l’hystérique va chercher des éléments qui vont la rassurer que quelque chose dans la relation n’est pas satisfaisant et par là entretenir sa névrose. Le résultat paraît le même mais il est l’expression de conflits internes différents.

De plus, l’étude fait mention de l’attachement. Pour John Bowlby qui est l'initiateur des recherches cliniques modernes sur l’attachement, il est un besoin primaire comme d'être nourri, il ne découle d'aucun autre. Pour s'attacher à un adulte, le bébé développe un ensemble de réactions et comportements afin de s'assurer de la présence, de la proximité et de la disponibilité de la figure maternelle. Cet attachement existe chez tous les primates, mais il est vital pour les humains qui sont les plus démunis à la naissance, les plus longtemps dépendants de soins d'un adulte. Cependant, l'attachement, loin de n'être qu'une dépendance, est un moyen pour l'enfant de développer une sécurité qui le mènera vers la possibilité d'explorer autour de lui, puis vers l'autonomie. L’individuation (comme processus progressif de construction identitaire issu du mouvement de séparation et de différenciation  d’avec l’autre (mère ou substitut maternel)) de l’enfant se réalise par combinaison du maintien solide des ses attaches et par son ouverture vers le monde extérieur. Ce n’est que lorsque ses besoins de proximité sont satisfaits qu’il peut s’éloigner de la figure qui le sécurise sur le plan vital mais aussi affectif pour explorer ce qu’il ne connaît pas.

Cet attachement va aussi conditionner les comportements de chaque sujet sur les réseaux sociaux comme dans la réalité. Encore une fois les réseaux sont comme un aquarium au travers desquels on voit des comportements exacerbés.

Nombreux sont les psychologues et psychiatres américains qui étudient les réseaux sociaux pour en comprendre les impacts. Au vu de leur diversité qui ne cessent de s'amplifier doit-on s'attendre à des conséquences plus inquiétantes ?

Je ne pense pas en ce qui concerne les idisorders, qu’il s’agisse d’une nouvelle pathologie. Les réseaux sociaux font flamber les obsessionnels dont il s’agit dans cette étude mais aussi les hystériques.

Ne parlons pas sur les sites de rencontre de la flambée des « pervers ».

C’est cette flambée qu’il convient de déjouer. Les différents moyens mis en œuvre, bloquer les interlocuteurs, signaler les comportements déviants sur les sites sont des tentatives pour aller contre les conséquences. Cependant il ne s’agit que d’un comportement humain.

Il conviendrait que la société grandisse et les réseaux sociaux aussi. Finalement Facebook a été créé par un adolescent après une rupture sentimentale ?

Facebook serait le réseau qui exacerberait le plus nos vilains défauts et notre tendance à l'espionnage, qu'est-ce qui en fait un site privilégié pour nos failles - plutôt qu'Instagram par exemple ?

Tout ce que j’ai dit plus haut explique ce qui confère à Facebook ce caractère. Chaque sujet a des facettes obsessionnelles, hystériques et phobiques elles se trouvent exacerbées sur ces réseaux.

C’est un peu « Fenêtre sur cours » d’Alfred Hitchcock. Une vitrine sans limite sur la vie de l’autre. Et derrière la vitre on va chercher, et le plus souvent on y trouve ce qu’on est venu chercher.

Instagram a une dimension plus artistique et Snapchat. Un peu moins la « vraie vie » si tant est que sur Facebook ce le soit.

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