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La France face à la perte de la maîtrise de son territoire - l'explosion de "braquages" de proximité
©Reuters

"22 v'la les flics !"

Selon le criminologue Xavier Raufer, nous assistons à "un vrai tsunami des braquages de proximité - d'autant moins contrôlable que le gouvernement voit peu et mal ce phénomène criminel, et en prime, le dissimule par une générale déqualification des faits. " Troisième épisode d'une série sur la sécurité en France.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Xavier Rauffer : Le 5 mai 2014, le ministre de l'Intérieur déclarait "L'urgence, c'est la sécurité pour tous les français. Il n'y aura pas de zone de relégation en France, ni de sanctuaire pour les délinquants".  

>>>>>>>>>>>>>>>>>> Lire aussi l'épisode 1 : Maîtrise du territoire et autorité de l'Etat : la descente aux enfers de la France

>>>>>>>>>>>>>>>>>> Lire aussi l'épisode 2 :La France face à la perte de la maîtrise de son territoire : la justice en perdition

>>>>>>>>>>>>>>>>>> Lire aussi l'épisode 4 :  La France face à la perte de la maîtrise de son territoire : ces victimes oubliées de la vague criminelle en cours

Notons d'abord le constant abandon - tout sauf innocent - du mot "criminel" au profit de "délinquant" - comme si c'était le vol de bonbons dans les épiceries qui posait problème et pas les tirs à l'arme de guerre sur la police. Mais passons aux faits : depuis la martiale rhétorique de Bernard Cazeneuve, les fruits n'ont pas tenu la promesse des fleurs.

On assiste même à l'explosion des vols à main armée sur tout le territoire, visant les commerces et d'abord, les supérettes et bureaux de tabac. Un vrai tsunami des braquages de proximité - d'autant moins contrôlable que le gouvernement voit peu et mal ce phénomène criminel et en prime, le dissimule par une générale déqualification des faits.

Commençons par rappeler aux non-criminologues que le "Vol A Main Armée", VAMA, ou "braquage", est un crucial baromètre de l'activité criminelle, sans le suivi précis duquel on ne comprend rien à l'activité de ce "milieu". Ainsi, qu'une vague criminelle enfle aujourd'hui en France et déferle bientôt se prévoit aisément par l'analyse évolutive des VAMA, qui a un fort caractère prédictif. 

Quand donc :

- Les magasins déjà braqués (Tabacs, etc.) le sont plus souvent encore,

- La prédation gagne de nouveaux territoires, jadis épargnés par les braqueurs,

- De nouveaux types de commerces sont ciblés par les bandits,

- Les braquages commis par des jeunes, ou des mineurs, explosent, ce qui démontre l'émergence d'une nouvelle génération criminelle,

... Une vague criminelle est inévitable. Or aujourd'hui, La France en est précisément là.

Depuis les années 2000 en effet, les VAMA se sont banalisés. Jadis des gangs professionnels ciblaient des transporteurs de fonds ou des centres-forts. Désormais, une masse croissante de jeunes voyous polycriminels "braque" entre deal de drogue et racket de proximité, pour financer leur vie courante et jouer les caïds dans leurs cités.

Face à ce phénomène en aggravation, la justice édulcore. Systématiquement, ces vols à main armée (crime passible de la cour d'assises) sont correctionnalisés  en "Vols-violence avec armes" ou "violences en réunion avec la menace d'une arme" (simples délits). Une dévaluation qui masque l'explosion dans les statistiques.

De son côté, la police suit un protocole-VAMA, jamais vraiment renouvelé depuis la décennie 2000. En théorie, la Police Judiciaire traite les "gros" braquages : banques... bijouteries... etc. ; la Sécurité Publique, tout le reste. Mais dans les faits, la répartition se fait plutôt au petit bonheur. 

Or la Sécurité Publique prend-elle ces VAMA bien en compte ? Pas sûr. Dans son "Bulletin quotidien" adressé au cabinet-ministre, samedi inclus, on trouve en effet une dizaine de rubriques (Faits marquants de la nuit... violences urbaines... troubles à l'ordre public... économie souterraine... action des services... suite des affaires... ) mais rien de précis sur des braquages au quotidien quasi-absents de ce bulletin - alors qu'en "zone police", il y en a sans doute plus de 10 par jour !Côté gendarmerie, le problème est celui de l'espace énorme à couvrir et de grosses pertes d'effectifs depuis une décennie.

D'où ces graves questions, posées aux autorités compétentes :

- Le ministère de l'Intérieur dispose-t-t-il d'une liste de TOUS les braquages de proximité commis au quotidien sur le territoire national ? Ce fichier (par exemple, sur 2014), peut-il le communiquer aux Français, avec l'évolution sur 2013 ?

- Dans les gendarmeries et commissariats, on dit que ces VAMA de proximité sont quasi-impunis, les enquêtes couronnées de succès étant ici rarissimes. Ce taux réel d'évaluation des braquages de proximité, quel est-il ?

Or si l'appareil d'Etat les néglige plus ou moins, ces braquages inquiètent la population. Que le lecteur regarde la rubrique faits-divers d'un quotidien de province : sous la brève de vingt lignes évoquant le dernier VAMA ("Braquage à l'épicerie X".) il lira ceci : "5 000 vues" - parfois 10 000 vues et plus. Clairement, la population s'inquiète - surtout celle de la "France périphérique". Comme une poche de grisou enfle dans une mine. Gare à l'explosion.

Dans quelle mesure confirmez-vous les propos de Xavier Rauffer?

Patrice RibeiroIl y a une banalisation à double titre.

Tout d'abord une banalisation chez les voyous, pour qui auparavant le vol à main armée (VAMA) était l’apanage d’une certaine catégorie qui avait déjà derrière eux un cursus criminel qui allait crescendo. Il s’agissait d’une catégorie très particulière, presque de noblesse.

Dans une deuxième temps, à l’époque ce crime était passible des assises, et l'on pouvait rester en prison très longtemps. Ainsi, ils ne braquaient que certaines catégories d’établissements. Ils braquaient les banques, les fourgons, les casinos… Cela nécessite une très haute technicité, du matériel et de la préparation… Cela ne se fait pas comme cela.

Parallèlement, il y a toute une génération de petits voyous qui va au plus près, avec des méthodes plus simples et plus accessibles: la boulangerie du coin, le bar tabac. Il y a donc une banalisation chez les criminels, qui en même temps est conjuguées avec une explosion de la violence. Les VAMA sont aujourd’hui l’apanage de voyous qui ne sont pas des professionnels, qui sont extrêmement violents et qui, pour la plus part, sont déjà connus des forces de l’ordre. Ils n’ont pas de limites, sont des amateurs, paniquent très vite, et peuvent être très violents.

En outre, il y a une banalisation du côté de la justice. Autant un VAMA dans un casino est passible des Assises, autant les magistrats ont tendance à banaliser les braquages de proximité. Cela s’explique soit par une culture de l’excuse et par des magistrats qui en sont imprégnés idéologiquement, soit  parce que ces braquages se multiplient tellement qu’à certains endroits ils deviennent un contentieux de masse. Même des personnes qui ont braqué à multiples reprises un commerce ne vont pas systématiquement en prison.

La banalisation est des deux côtés : chez ceux qui font, et ceux qui sont chargés de traiter.

Le glissement sémantique permet d’étouffer la réalité. Il y a une correctionnalisation des VAMA. Il y en a tellement que nous devrions convoquer des cours d’assises en permanence, ce qui n’est pas possible. Les correctionnaliser les font passer en chambre correctionnel normal. Donc, les statistiques mentent. Nous pouvons les faire parler comme nous le souhaitons. La volonté des politiques est d’habiller la réalité sous un jour plus favorable.

Comment sur le terrain observez-vous cette explosion ?

Patrice RibeiroElle est concomitante avec l’explosion de la violence, en particulier contre les policiers. Il s’agit du même profil de personnes : elles n’ont pas de limite. Généralement ces voyous ont commencé mineur, et la justice ne leur a pas posé de limites. Ils n’ont aucune idée de ce que peut-être une sanction. Ils sont violents avec leurs victimes et avec les policiers car ils n’en ont pas peur. Tout ce qui se passe aujourd’hui, l’agression des policiers, est une tendance qui s’observe depuis plusieurs années, ce n’est pas nouveau. Nous allons retrouver dans ces équipes des dealers, qui le lendemain vont braquer la station service qui n’est pas loin de chez eux, et qui le surlendemain vont arracher le téléphone portable d’une femme en la frappant... Ils sont multitâches.

En quoi cela peut participer à un épuisement chez les forces de l’ordre, et selon vous, quelles mesures mériteraient d’être étudiées pour redorer l’institution ?

Patrice Ribeiro : Il y a une problème général d’absence pénale. La campagne de la garde des sceaux depuis 2012 est d’éviter l’enfermement à tout prix. Or, un certain nombre de personnes devrait être en prison et n’y est pas. Le respect de l’autorité de l’Etat est la base. Tant qu’il n’y aura pas de politique pénale cohérente, cela continuera. Il manque entre 20 et 30 000 places en prison. Tout ceci provoque épuisement chez les policiers et une vraie perte de sens du travail. 

Parce que vous vous demandez à quoi vous servez. 

Parce que c’est toujours les mêmes que vous croisez.

Parce que dans les zones de tensions qui s’étendent, vous sortez de votre véhicule vous êtes insultés par tout le monde y compris la population dont on nous explique qu’elle aime la police, mais c’est faux. Il y a des quartiers où manifestement elle est hostile à la police. Il s’agit d’un problème plus général.  Nous sommes là pour redorer l’image de la police, non pas auprès des voyous, mais des gens normaux, qui payent leurs impôts, qui sont honnêtes et s’arrêtent au feu rouge. Mais nous voulons être craints par les autres. 

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