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Tony Blair a mis en garde contre le soutien croissant de l'idéologie islamique au sein des communautés musulmanes.
Tony Blair a mis en garde contre le soutien croissant de l'idéologie islamique au sein des communautés musulmanes.
©Reuters

Politiquement incorrect

Dans un discours prononcé au mémorial du 11 septembre à New York, Tony Blair a mis en garde contre le soutien important de musulmans à l'idéologie extrémiste islamique. Des propos qui font échos à ceux prononcés par David Cameron en juillet et la reine Rania de Jordanie en septembre.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Après David Cameron, la Reine Rania, Tony Blair a mis en garde contre le soutien croissant de l'idéologie islamique au sein des communautés musulmanes. Quelle analyse peut-on faire du constat, partagé par de plus en plus de politiques ?

Guylain Chevrier : Tony Blair a déclaré ce mardi que, l'idéologie des extrémistes islamiques, bénéficie du soutien de nombreux musulmans. Il a ajouté, qu’à des millions d'enfants à travers le monde on enseignait «une vision du monde et de leur religion qui est bornée, préjudiciable et dangereuse ...». A la suite, l'ancien Premier ministre britannique a aussi déclaré que sans extirper les préjugés religieux dans les communautés musulmanes, la menace des extrémistes ne sera pas vaincue. Cette déclaration nous interpelle sur la conception même du religieux, sur son enseignement, sur une forme de foi qui en ressort et peut participer à nourrir une lecture des principes démocratiques comme contraire aux textes religieux. Ce qui peut conduire peu ou prou à une accointance avec l’idéologie djihadiste qui diabolise l’Occident comme l’ennemi mécréant.

La tendance à l’enfermement communautaire que l’on voit se développer, tout particulièrement en France, à l’ombre de laquelle pourtant les endoctrineurs peuvent librement agir, n’est jamais évoquée sérieusement comme un des problèmes majeurs qui peuvent favoriser cette évolution gravissime, qu’évoque Tony Blair. Du côté des voix officielles, des conseils auprès de notre gouvernement, on ne veut pas en entendre parler. Il est un fait que se répand une forme de foi qui consiste à faire passer ses valeurs religieuses avant celles de la société, qui prend à contrepied notre modèle républicain d’intégration. Une majorité de musulmans se sont déclarés dans une enquête d’opinion, menée par l’institut Sociovision en décembre 2014, comme revendiquant cette attitude, dévoilant bien un angle mort de l’analyse du problème. Remettons-nous en mémoire que dans le manuel intitulé « Droit et religion musulmane », publié en 2005 par les avocats de la mosquée de Paris et de Lyon, aux éditions Dalloz, et constituant donc en la matière un modèle de référence, y était affirmé : « le droit n’a pas de prise sur la foi ». Une interprétation qui induisait cette orientation problématique d’une foi élevée au-dessus de la loi commune.

La laïcité dont on parle tant sans toujours bien la définir, est exactement le contraire de cette forme de foi, en portant au-dessus des identités particulières et des différences l’intérêt général, les valeurs de liberté, la loi commune qui nous protège tous… Cette forme de foi entend que seule la religion puisse dicter à l’individu son comportement, ses idées, ses valeurs, alors que notre système politique lui donne le droit inaliénable à son libre choix. 

Le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur les filières djihadistes, passe totalement à côté du sujet de façon consternante, alors qu’il dresse un tableau alarmant de la situation. Invité de Jean-Pierre Elkabbach le 8 avril dernier, il explique que "Le nombre de personnes françaises qui sont aujourd'hui en Syrie, a augmenté de 84% en un an", et qu’« en réalité, le fléau s'accroit (…) de jours en jours. » Il exprime « que le gouvernement a bien fait de prendre toute une série de mesures » parlant « d’une œuvre de longue haleine". Il voit deux principaux facteurs pouvant amener de jeunes Français à emprunter les chemins du djihad. " l'Internet et les prisons"... Selon lui, la religion n'a rien à voir avec ce choix : "la plupart des gens qui partent là-bas ne connaissent à peu près rien au Coran, ou des conceptions complètement fausses du Coran". Incroyable aveuglement, entretenu par l’absence d’une analyse de ce que Tony Blair, a sa façon, a tenté de mettre en lumière, à travers l’idée d’une certaine accointance entre l’extrémisme religieux et un enseignement religieux qui coupe de la société. Ce qui révèle combien nous sommes en retard sur un phénomène qui prend une ampleur inégalée, comme le juge antiterroriste Trévidic, dans une interview accordée à Parsi Match le 30 septembre dernier, au moment où il quitte ses fonctions, l’affirme. Selon lui, nous sommes à la fois devenus l’ennemi numéro un de Daech, plus vulnérable que les Etats-Unis en raison de notre situation géographique, de la possibilité d’infiltration qui existe à travers différents canaux dont les mouvements de populations venues de Syrie, avec de plus, une ampleur de la menace multiforme au regard de laquelle notre dispositif actuel est devenu « imperméable, faillible et n’a plus l’efficacité qu’il avait auparavant ». Il explique que par-delà les « scuds humains » des actions d’envergure se préparent, que la vraie guerre que l’EI entend porter sur notre sol n’a pas encore commencé. Il souligne que nos politiques prennent des postures martiales mais qu’ils n’ont pas de vision à long terme, alors que les islamistes ont pour axe de leur propagande une attaquent systématique des pays occidentaux et de leurs valeurs, particulièrement de la France mise en accusation d’être toujours coloniale, de revendiquer ses racines chrétiennes, d’être un soutien d’Israël…, qui opprimerait délibérément son importante communauté musulmane. Un discours qui invite à une forme de foi en guerre avec notre société, qui n’est pas sans échos. 

A lire aussi - Et Cameron donna l'explication la plus claire du terrorisme et de l'extrémisme jamais osée par un leader politique... mais pourquoi tant de réticences en France à dire la même chose ?

Haoues Seniguer : Avant toute chose, je souhaiterais attirer votre attention sur l’emploi de l’expression « idéologie islamique » qui, bon gré mal gré, peut donner l’impression que l’islam, a priori, est « idéologique » ou idéologisé. Je ne crois pas que ce soit « le soutien croissant à l’idéologie islamique au sein des communautés musulmanes » qui inquiète les personnalités que vous citez, mais le constat, étayé ou non, d’une progression des thèses radicales islamistes au sein desdites communautés. Toutefois, de mon point de vue, cette expression, visiblement utilisée par ces personnalités, est révélatrice du confusionnisme généralisé qui règne au sujet de l’islam et des musulmans notamment. Ainsi, ce qu’on peut dire, à l’aune de ces prises de position publiques d’acteurs politiques de premier plan, est que la thèse d’un « problème » musulman est de plus en plus partagée aussi bien par des personnalités de gauche que par des personnalités de droite, musulmanes ou non du reste, et que, par conséquent, un certain discours essentialiste à propos de l’islam et des musulmans n’est plus cantonné à un seul et unique bord politique, qui serait situé à l’extrême droite ou dans les milieux conservateurs, mais qu’il pénètre bel et bien, avec de plus en plus de facilité ou moins d’opposition farouche, aujourd’hui bien plus qu’hier, les rangs de gauche. C’est pourquoi, ce type de prises de position est également devenu monnaie couranteen France. Le monopole n’en revient  plus, et de loin s’en faut, aux seuls acteurs du Front national.

Philippe d'Iribarne : Prenant la parole au mémorial du 11 septembre à New-York, Tony Blair a fourni une explication de ce soutien : « Il y a des millions d’écoliers aux quatre coins du monde – et pas seulement au Moyen-Orient, à qui on enseigne tous les jours une vision du monde et de leur religion étroite d’esprit, pleine de préjugés et par conséquent, dans le contexte d’un monde globalisé, dangereuse ». Il a ajouté : « Si un grand nombre croit réellement que le désir des États-Unis ou de l’Occident est de manquer de respect envers l’Islam ou de l’opprimer, il n’est pas surprenant que certains trouvent que le recours à la violence est une moyen acceptable de rétablir la ‘dignité’ des opprimés. » ; « Si on apprend aux jeunes que les Juifs sont le mal ou que quiconque a une conception différente de la religion est un ennemi, il est évident que ce préjugé conduira, dans certaines circonstances, à agir en accord avec lui. »

La conviction de Tony Blair est que, si peu passent à l’acte, la vision du monde qui alimente  leur action tient une grande place dans les pays musulmans. Dès lors, les djihadistes peuvent être regardés comme l’ont souvent été au cours de l’histoire les révolutionnaires dont la noblesse de la cause conduit à pardonner les excès. Ainsi, les Français n’approuvent pas la Terreur mais ont du mal à condamner ses auteurs et, en dépit du Goulag, bien des Russes regardent encore Staline comme un grand homme.

Sur quels exemples ce constat peut-il se vérifier ?

Guylain Chevrier : On n’a pas voulu entendre par exemple ce qui s’est passé à Lunel, petite ville de l’Hérault, qui a concentré le départ de djihadistes, avec une mosquée qui ne condamnait pas leur radicalisation. Lahoucine Goumri, le président alors de l'Union des musulmans de Lunel, qui gérait la mosquée El Baraka, pouvait dire : "C'est leur choix. Je n'ai pas à les juger. Seul Dieu les jugera. Si on doit condamner quelque chose, il faut condamner ce qui est condamnable. Pourquoi condamner ces jeunes qui sont partis au nom d'une injustice en Syrie et pas ces Français qui sont partis et ont tué des bébés palestiniens avec Tsahal l'été dernier ? Pourquoi est-ce qu'une mosquée condamnerait, alors que les autres religions ne le font pas ?" Le président ne voyait pas plus  pourquoi il ferait acte de prévention auprès des autres jeunes : "Je ne vois pas pourquoi je ferais un message, si dix personnes sont parties sur 6 000 musulmans, soit 0,04 % ? Les autres jeunes, ils ne partent pas. Pourquoi je parlerais aux jeunes ? » Pour lui, s'il devait y avoir prévention ou fermeture de site internet, c'était à l'État d'agir. On voit bien les dégâts de tels propos, même si le président de l’association a du laissé plus tard la place au vu du tollé local que ses propos ont provoqué.

La montée des revendications communautaires à caractère religieux qui envahit le débat public, avec combien d’accommodements dits raisonnables derrière le clientélisme de trop d’élus menés sans bruit, qui brouillent le message républicain, n’arrangent rien à l’affaire.

La fermeture par le Directeur de l’IUT de Saint-Denis (93) d’un local associatif transformé par une association  dite culturelle en salle de prière, ainsi que l‘interdiction de la vente de sandwichs halal dans l’enceinte de l’établissement,  n’a pas valu à celui-ci tout le soutien qu’il était en état d’attendre de sa hiérarchie. Il a reçu après cet événement des menaces de morts à caractère religieux, qui lui valent à présent d’être en permanence protégé par la police.  On voit là encore un extrémisme se propager derrière des faits qui sont loin d’être toujours révélés, avec un durcissement des tensions dans ce domaine qui créent un climat propice à l’accroche d’un discours de radicalisation.

On se rappelle des manifestations pro- palestiniennes de juillet 2014 à Paris, avec beaucoup de jeunes des quartiers et de nombreuses femmes voilées, où on avait entendu s’élever massivement des « Allah Akbar » et des « mort aux juifs ». Ce qui recoupe aussi cette situation de fracture qui s’aggrave.

Haoues Seniguer : Ce constat est à certains égards vérifiable, à la condition de s’entendre très précisément et au préalable sur les éléments factuels ou objectifs sur lesquels celui-ci peut être à quelque titre fondé. Il est incontestable que les thèses radicales de l’islamisme ou du néo-salafisme violent pénètrent des esprits musulmans en Europe, beaucoup plus aisément, compte tenu de la viralité du Net ou des réseaux sociaux. Des exemples peuvent être trouvés chez ceux qui décident de partir vers la Syrie, ou qui, plus rarement, parviennent à commettre des assassinats ou des attentats sur des territoires européens au nom de l’islam, à l’image des tragiques événements de janvier dernier en France. Néanmoins, il serait éminemment réducteur de chercher à rabattre l’islam et les musulmans d’Europe sur les agissements d’une minorité bruyante ou turbulente.

La Reine Rania de Jordanie avait regretté le manque d'engagement des musulmans "modérés" vis-à-vis de l'expansion de l'Etat islamique. La communauté musulmane ne souffre-t-elle pas d'un manque de communication et d'engagement à ce propos ? En quoi le silence qu'elle cultive l'enferme dans une caricature qui la dessert ?

Guylain Chevrier : Effectivement, il y a sur ce sujet un manque d’expression, ou plutôt ce que l’on entend ne sert pas cette cause. Lorsque le Président du Conseil Français du Culte musulman en appelle de la tribune de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), organisation affiliée aux Frères musulmans, à la construction de 2000 nouvelles mosquées en interpellant la responsabilité de l’Etat, un appel à rompre avec le principe de séparation de l’Etat des Eglises, ou à transformer les églises en mosquées, ou encore quand l’Observatoire contre « l’islamophobie » émanant du CFCM fait un procès permanent sur le thème des discriminations à la France, soutenant les jeunes filles qui, à défaut de pouvoir porter le voile mettent des jupes longues dites abayas dans les établissements scolaires, considérées par cette institution comme des résistantes, rien n’est fait pour apaiser ni pour permettre aux musulmans de trouver leur pleine place dans notre République. On a l’impression que ceux qui pourraient êtres les meilleurs interlocuteurs en faveur de nos compatriotes musulmans, ne sont pas ceux que l’ont entend. C’est un appel au respect des valeurs et lois républicaines, à l’adhésion à notre modèle laïque par exemple, qu’il s’agirait de lancer, dans un esprit de responsabilité et de modernité. Quelques voix tentent bien de s’élever mais restent trop dans la marge. N’est-ce pas en réalité d’abord aux pouvoirs publics de donner le ton, d’être avant tout clair sur le message à délivrer, pour aider à une clarification ? Le positionnement de l’ensemble des acteurs dans ce domaine pourrait alors suivre.

A ne pas vouloir voir le problème que pose Tony Blair, on ne le prévient pas et même bien au contraire, dans ce contexte de montée de la radicalisation dans notre pays, on lui donne des ailes. Le discours politique actuel est bien loin de la moindre mise en garde sérieuse des consciences de tous sur ce sujet, et des plus concernés, c’est-à-dire nos compatriotes musulmans. C’est d’autant plus vrai, qu’eux tout particulièrement ont besoin d’être prévenus et protégés de la pression de cette forme de foi qui fait passer la religion avant le reste, qui pousse au communautarisme et à l’assignation, mettant en cause leurs libertés. On donne, côté Education nationale, comme réponse aux événements de janvier dernier à côté d’une Charte de la laïcité, le renforcement de l’enseignement dit « laïque » du fait religieux à l’école, appuyant un peu plus encore sur les différences au lieu de faire prévaloir ce qui nous rassemble, avant tout, sur ce qui nous différencie, la confusion étant ainsi à son comble. L’illusion qui consiste à croire que c’est en connaissant mieux la religion de l’autre que l’on se respecte plus, et que l’on préviendra le risque d’affrontements interreligieux ou la dérive radicale, a déjà dans l’histoire montré ses limites. Irlandais catholiques et protestants du Nord, qui connaissaient très bien la religion de l’autre, ne se sont pas moins entretués pour autant pendant de nombreuses années ou aujourd’hui encore, juifs et musulmans en Palestine.

Dans le domaine de l’action publique dans les quartiers sensibles, on propose depuis quelque temps, la mise en place du community organizing, ce modèle anglo-saxon de participation qui remplace les associations par des représentants des groupes identitaires, religieux et culturels, avec des comités de quartiers composés d’un blanc, d’un noir, d’un musulman… Un modèle qui remet en cause le principe d’égalité de traitement de tous devant la loi. Un détail semble-t-il pour ses promoteurs. Un modèle auquel on invite les travailleurs sociaux qui interviennent auprès des populations en difficulté, dans les très officielles Actualités sociales hebdomadaires, en continuant de jeter confusions et malentendus, et huile sur le feu ! On voit bien que c’est en réaffirmant le sens de nos institutions et valeurs communes, liberté-égalité-fraternité, sans concession, en incitant à l’ouverture vers l’autre et au mélange par le fait de se considérer d’abord comme des égaux, cette liberté qui est une chance à saisir pour tous, que nous pourrons peut-être vaincre les préjugés religieux dont parle Tony Blair. Des préjugés religieux qui s’inséminent par une forme de foi de repli, comme un litige à hauts risques avec notre société démocratique, pouvant prédisposer au soutien à la radicalisation.  

Haoues Seniguer : À mon avis, il n’est vraiment pas fondé de parler, tout de go, de « silence » ou de « manque d’engagement des musulmans modérés » dans le combat, fût-il symbolique (comment pourrait-il en être autrement !), contre les agissements de groupuscules radicaux ou d’organisations hyper violentes telles que l’État islamique. Par ailleurs, de quels musulmans parlons-nous au juste ? Ce n’est pas parce que nous ne les entendons pas, du fait pour la masse de ceux-làde ne pouvoir accéder à l’espace médiatique, que les musulmans ordinaires notamment, qui constituent quand même l’essentiel des communautés musulmanes de par le monde, ne dénoncent pas ce qu’ils estiment être une déformation manifeste et horrifique de l’islam qu’ils peuvent cultiver peu ou prou dans leur vie quotidienne. En outre, ne serait-ce qu’en France, des responsables associatifs à l’échelle locale ou des organisations plus importantes à l’échelon national dénoncent également régulièrement les agissements coupables de ceux qui prétendent agir au nom de l’islam pour commettre toutes sortes de spécieux forfaits.

Toutefois, il n’en demeure pas moins vrai que dans les mosquées de France, des responsables tendent quelquefois à se recroqueviller et à fuir le débat critique ou contradictoire lorsque des interventions sont par exemple proposées par des universitaires au sujet des conflits du Moyen-Orient. C’est comme si les responsables de lieux de culte craignaient un amalgame systématique entre l’islam qu’ils pratiquent et les phénomènes de violence commis par d’autres musulmans en France ou à l’étranger. Or fuir le débat peut donner le sentiment, à tort ou à raison, qu’il n’y a pas vraiment de clarté, précisément dans la dénonciation du radicalisme islamiste, et qu’ils ne chercheraient pas, à cet égard, à véritablement le désamorcer.

Il y a dans la conscience collective une dichotomie qui place d'un côté les "bons et gentils" musulmans, et de l'autre les méchants qui soutiennent. (Comment expliquer ce manichéisme ?) Quelles nuances faut-il faire ? En quoi existe t-il plus de zones grises qu'il n'y parait ?

Haoues Seniguer : Cette dichotomie est fautive en plus que d’être moralisante. Je pense que le radicalisme islamiste n’est appréhendable que si l’on identifie et situe très précisément ses sources qui se nourrissent l’une l’autre, renforçant ce faisant, en dernier lieu, ledit radicalisme (il n’y a pas d’ordre d’énonciation prioritaire) : premièrement, la persistance des régimes autoritaires dans le monde arabe majoritairement musulman ; on peut citer les cas libyen, égyptien ou yéménite ; deuxièmement, une islamophobie ou un racisme antimusulman qui progresse et s’enracine en Europe ; troisièmement, les dysfonctionnements du système politique international où la hiérarchisation des priorités des grandes puissances mondiales interroge fortement ; à titre d’exemple : pourquoi intervenir contre Daech et ne rien faire de substantiel contre Bachar al-Assad ? Pourquoi ne s’intéresser, et à juste titre, qu’aux seules minorités chrétiennes et non à la masse des musulmans sunnites fuyant la Syrie pour persécution ? Pourquoi délaisser le conflit israélo-palestinien alors que l’absence d’État palestinien et la progression de la colonisation en Cisjordanie sont des sources violence mais qu’elles ne semblent plus véritablement des sujets majeurs pour la diplomatie américaine ? Etc. Tout cela alimente fortement la propagande islamiste ou néo-salafiste, laquelle exploite justement à plein la fibre musulmane victimaire pour élargir son public et crédibiliser de cette façon sa prétendue « croisade » contre l’Occident.

Philippe d'Iribarne : Dans la vision républicaine, toutes les religions ont droit par principe au même respect. Toute distinction faite entre elles relève d’une attitude discriminatoire. Comment éviter que cette conviction souffre de l’observation de l’islam empirique, et au premier chef de la violence islamique ? Le seul moyen est de déclarer que cette violence n’a rien à voir avec l’islam, qu’il s’agit d’une conception aberrante de celui-ci, dressant ainsi une muraille de Chine séparant les « vrais musulmans », adeptes d’une « religion de paix », d’esprits dérangés dont l’action ne concernerait en rien l’islam. Mettre en évidence, comme le fait Tony Blair, une certaine continuité entre l’islamisme violent et l’islam ordinaire n’est dès lors pas acceptable. Une nouvelle ligne de défense est alors, plutôt que de considérer les faits, de taxer d’islamophobie celui qui met en lumière des vérités dérangeantes.

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