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Petite note à l'attention des futurs investisseurs en Iran : l'accord sur le nucléaire loin de faire consensus sur la scène politique locale
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Analyse des risques

"Que les hommes d'affaires prenant ou reprenant le chemin de Téhéran se gardent d'un optimisme déplacé pour leurs activités futures. Le régime n'a pas changé !". Selon Camille Verleuw, le climat politique iranien répond toujours à des équilibres complexes.

Camille  Verleuw

Camille Verleuw

Camille Verleuw a étudié à l'Université Libre de Bruxelles et à l'Institut de philogie et d'histoire orientale. A vécu 40 ans en milieu chiite iranien, au Moyen-Orient, en Asie centrale, etc... Auteur ou co-auteur d'études et d'ouvrages, sous nom ou pseudonyles, dont "Atlas de l'Islam radical", CNRS Editions, 2007 ; "Trafics et crimes en Asie Centrale et au Caucase", PUF, 1999 ; "Atlas Mondial de l'Islam activiste", Paris La Table Ronde, 1991, etc.

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Atlantico : "Que les hommes d'affaires prenant ou reprenant le chemin de Téhéran se gardent d'un optimisme déplacé pour leurs activités futures. Le régime n'a pas changé !", avertissez-vous dans votre ouvrage "Iran 2015 : Qui gouverne à Téhéran, et comment ?" paru chez MA Editions. Parmi les risques évoqués, celui d'une instabilité politique. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les équilibres complexes caractérisant l'organisation du pouvoir à Téhéran et comment ils ont évolués ces dernières années ?

>>> Lire aussi - Qui gouverne à Téhéran (et comment) ? Le mystère majeur de demain : le prochain faqih

Camille Verleuw : Il est exact de parler "d'équilibres complexes" s'agissant de la gestion du pays. Déjà en son temps, l'ayatollah Khomeyni, réputé inattaquable, s'est rendu compte qu'il était instrumentalisé par divers courants politiques qui ne juraient ouvertement que par lui mais poursuivaient des objectifs qui n'étaient pas les siens. En pages 160 et 180 du livre, je rappelle qu'il accepte début 1988 que de jeunes religieux qui lui sont proches créent l'Association des Religieux Combattants pour faire le contrepoids à l'Association du Clergé Combattant où une tendance conservatrice a remporté la majorité. Les luttes entre tendances vont s'exacerber après le décès de Khomeyni le 3 juin 1989 et le choix difficile de son successeur, le hojjatoleslâm Seyyed 'Ali Hoseyni Khâmene'i. Il n'y a jamais eu que quelques idéalistes pour croire que le "gouvernement du jurisconsulte", cher à Khomeyni, allait aplanir les différends entre les Iraniens chiites et les conduire vers une vie meilleure. Le chiisme a toujours été traversé par des courants antagonistes. Les coups bas entre eux restent encore légion mais il y a suffisamment de religieux et civils, disons pragmatiques, pour empêcher qu'une tendance annihile totalement les autres et conduise à terme à la disparition du régime nationaliste-islamique iranien, chaotiquement comme en URSS ou méconnaissablement comme en R.P. de Chine.

Qu'est-ce qui aujourd'hui peut alimenter l'incertitude politique interne évoquée à plusieurs reprises dans l'ouvrage ?

Le livre est une introduction aux spécificités de l'Iran pour des hommes d'affaires, pas pour des politologues pointilleux. Il ne pouvait contenir les propos de tous les acteurs politiques iraniens chaque jour et en chaque lieu qui révèlent que les antagonismes persistent. Les lecteurs que le sujet intéresse davantage se rendront seulement pour quelques minutes sur la multitude de sites Internet multilingues du pays, comme ceux de chacun des députés du Parlement, des membres de l'Assemblée des Experts, des ministères, des partis, des associations, des religieux eux-mêmes, pour découvrir combien les différends subsistent sur les politiques dans tous les domaines. N'oublions pas qu'on a assisté à une véritable paranoïa de dizaines de députés iraniens tout au long des réunions sur le nucléaire et leurs déclarations ont été extrêmement haineuses. Vous en aurez encore la preuve dans quelques semaines quand commencera la campagne pour les élections législatives du 26 février 2016. Les critiques contre le président Ruhâni et son gouvernement sont continuelles, à l'image de ce qui se passe en France où les hommes politiques menacent toujours de détricoter les lois passées par leurs prédécesseurs.

Le 5 mars 2015, l'ayatollah Ali Khamenei l'actuel guide suprême de la Révolution islamique, a une nouvelle fois été hospitalisé. "Les médecins lui donneraient encore 2 ans à vivre", indiquez-vous dans votre livre. La question du prochain faqih se pose immanquablement. Un nom ou plusieurs noms s'imposent-ils déjà ? La stabilité politique du pays est-elle dangereusement en jeu ?

Aucun nom s'impose ! Surtout pas ! Celui qui laisserait entendre aujourd'hui qu'il se verrait déjà… serait de suite vu comme le Iznogoud local (petit clin d'oeil à Tabary et Goscinny) et tous les autres prétendants secrets n'auraient de cesse de le faire chuter. D'ailleurs, certains religieux qui s'étaient trop ouvertement investis dans des courants politiques ont constaté que leur "auréole", disons ici prestige, s'est considérablement détérioré à l'image des défaites électorales de ces mouvances ou de leurs dissensions internes. Ceux qui ont quelque espoir préfèrent aujourd'hui parler de la possibilité d'élire plutôt un Conseil de jurisconsultes le jour où décédera le faqih Khâmene'i. Comme je le note dans les quatre dernières pages du livre, plusieurs des Grands Ayatollahs n'approuvaient pas les idées de l'ayatollah Khomeyni et son régime. Pour faire une comparaison plus compréhensible pour un Occidental, disons que c'est un peu comme si les évêques avaient choisi un des leurs pour être pape en ne tenant pas compte des cardinaux et de la Curie. Actuellement, ce sont les fondamentalistes conservateurs qui ont la majorité dans la majorité des organes de l'Etat : le futur leader suprême ou l'éventuel conseil devrait en procéder.

Dans ce contexte, Hassan Khomeini, le petit-fils de l'ayatollah Khomeini, le guide suprême emblématique de la République, est en lice pour un siège à l'Assemblée des experts qui désigne et conseille le leader iranien et qui sera renouvelée en février prochain. Où se positionne ce quadragénaire sur l'échiquier politique iranien ? Comment sa candidature doit-elle être interprétée ?

Vu ce qui est déjà arrivé au hojjatoleslâm Hasan Khomeyni, fortement chahuté lors de manifestations religieuses ou politiques par des groupes fondamentalistes, il y a peu de chance qu'on le laisse acquérir une position dominante. On se rappellera que le régime s'est rapidement débarrassé des membres de la famille de Khomeyni qui ne suivaient pas les mots d'ordre officiels. De plus, Hassan n'a pas un niveau suffisamment élevé en théologie chiite pour que le Conseil des Gardiens, qui filtre les candidats, le laisse participer aux élections de l'Assemblée des Experts. Il pourrait éventuellement être accepté comme candidat à un poste de député au Parlement.

Du point de vue international, quels événements récents vous amènent à conclure que si "le régime est chiite en interne", il est "pragmatique à l'international" ? Comment cela s'est-il traduit lors des négociations sur le nucléaire ou dans les prises de position de Téhéran dans le dossier syrien ?

Il n'est pas difficile de savoir comme des millions de personnes que le Coran, la Sunnah (Tradition), les dits des imams chiites comme le Nahj-ul Balâghah (Chemin des Prescriptions) de l'imam 'Ali, ne disent rien sur la fission nucléaire, ni sur le droit maritime, le droit aérien, la propagation des ondes, la distillation du pétrole, l'exploration de l'espace, la construction de missiles balistiques, l'Organisation des Nations Unies, l'Union Postale Universelle, etc. comme des milliers d'autres réalités du monde moderne. Et pourtant l'Iran participe à toutes ces discussions et à toute cette modernité. C'est certainement être pragmatique que de ne pas vouloir revenir à l'époque du prophète Mohammad et de ses quatre premiers califes. L'Iran adopte en effet toute nouveauté technologique. Au niveau politique, l'Iran ne se rallie pas automatiquement aux pays qui se réclament aussi de Mohammad : elle continue d'aider l'Arménie chrétienne face à la Turquie ou l'Azerbaïdjan, elle entretient depuis 1989 des liens avec la Corée du Nord qui n'est pas à proprement parler un pays favorisant la religion, elle a contribué au maintien du régime d'Emomali Rahman au Tadjikistan confronté à une insurrection islamique,… Son soutien à Bachâr al-Assad ne peut masquer le fait que le régime de Damas n'a rien d'islamique, respectant toutes les religions avec 25% de Chrétiens, même si certains martèlent que "Alaouites" = "Chiites", ce qui est totalement faux à tous les niveaux, excepté pour un ou deux faits de l'histoire. A ce titre, on pourrait alors tout aussi bien dire que "Chiites" = "Chrétiens" parce qu'ils ont en commun des habits noirs pour le deuil et des tombes pour leurs morts, ce qui est totalement interdits chez les musulmans wahhabites d'Arabie saoudite.

Du point de vue économique, votre livre explique combien les sanctions internationales des dix dernières années ont profondément modifié l'Iran. Quels sont les principaux changements dont les investisseurs occidentaux, notamment français, seraient avisés de tenir compte ? Quels sont les principaux risques économiques aujourd'hui ?

Les investisseurs occidentaux seraient avisés de se rappeler que leurs pays avaient boycotté les achats de pétrole iranien alors que d'autres à l'est de l'Iran les poursuivaient en engrangeant dans leurs banques les milliards de dollars qu'ils ne pouvaient plus envoyer en Iran. Ces derniers ont déjà la priorité ou des avantages. De plus, il y aura compétition entre les pays occidentaux, peut-être encore plus féroce. Le risque est que tout aille trop vite dans tous les sens : gare à la boulimie de celui qui a été trop longtemps sevré. Néanmoins, l'isolation de l'Iran pendant des années a engendré un formidable développement des initiatives ingénieuses : il y a donc un terrain propice pour de judicieux choix, notamment dans l'axe qui va de Châh Bahâr à Mashhad, pour rejoindre ensuite l'Asie centrale encore très riche en ressources inexploitées.

Les incertitudes politiques ne sont pas les seules dont les hommes d'affaires devraient se préoccuper alors qu'ils réinvestissent l'Iran. Votre livre évoque notamment les questions de mœurs, les interdits politiques et les faux pas culturels. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Le livre n'est pas celui d'un voyeur qui recherche des scoops ou des révélations scandaleuses. Les sociétés qui ont connu des déboires se reconnaîtront, c'est suffisant. Il a été fait un tour aussi objectif que possible des dangers pouvant surgir du côté iranien mais il y en aura toujours qui proviennent essentiellement de ceux qui vont faire le voyage vers ce pays en se croyant plus malin que les autorités locales.

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