Jacques Attali : "Un Président élu a tout pouvoir dans les trois premiers mois, après il n'en a plus aucun"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Jacques Attali et François Hollande.
Jacques Attali et François Hollande.
©Reuters

Grand entretien

Selon l'ancien conseiller de François Mitterrand et de Nicolas Sarkozy, co-auteur d'un programme politique en cours d'élaboration, le pays devrait privilégier le contenu des propositions faites par les candidats à la présidence plutôt qu'à leur personnalité.

Jacques  Attali

Jacques Attali

Jacques Attali est un économiste, écrivain et haut fonctionnaire.

Ancien conseiller de François Mitterrand puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, il dirige actuellement PlaNet Finance et a présidé la Commission pour la libération de la croissance française. Il a publié de nombreux essais et romans.

Voir la bio »

Atlantico : Le sondage que nous avons réalisé avec l'IFOP vous place en tête des personnalités non politiques qui ont le plus fort potentiel électoral à l'exception de Nicolas Hulot qui lui bénéficie de sa notoriété télévisuelle. Que vous inspire ce résultat dans le contexte actuel où l'on voit des Eric Zemmour et autres Michel Onfray tenir le haut du pavé médiatique ?

>>> Lire aussi - En quête d’un troisième homme pour 2017 : Nicolas Hulot et Jacques Attali devancent largement Eric Zemmour

Jacques Attali : C'est un sondage de notoriété. Lorsque l'on parle de politique, on s'adresse à des professionnels de la politique, à ceux dont les français savent qu'ils ont une capacité à gérer le pays ce qui suppose de s'être confronté à l'exercice du pouvoir. Donc ce sondage est plutôt un sondage de notoriété d'écrivain.

Peut-être êtes-vous la personnalité qui ressort parce que précisément vous avez été confronté à l'exercice du pouvoir ?

C'est possible, ce sondage lui-même n'indique rien de plus que la notoriété du moment.

On voit actuellement en France une très forte envie de candidats venus d'ailleurs puisque les gens semblent un peu désespérés du débat politique traditionnel. Quelles sont selon vous les priorités absolues auxquelles le pays devrait s'attaquer pour ne pas continuer à perdre sa vigueur à la fois économique, intellectuelle et même politique ?

Le moment venu, c’est-à-dire en février prochain, je ferai connaître au pays le programme qu'un grand groupe qui travaille avec moi et tous les Français qui veulent s'y associer sous le nom de France 2022. Pour l'instant je peux simplement dire qu'il faut que l'on cesse de parler des questions de personne et que l'on se concentre sur les idées. Plutôt qu'un sondage sur les personnes, il faudrait un sondage sur les dix réformes principales utiles sur l'avenir du pays. Il faut privilégier le contenu plutôt que les apparences.

En parlant d'apparences, le débat français semble s'enliser dans un fétichisme des droits acquis là où vous préférez parler de combat pour les droits réels, comment pensez-vous que ce thème pourrait être imposé auprès des Français ?

Vous employez des mots qui ne sont pas les miens donc je ne vais pas entrer dans cette problématique. Il y a des droits acquis qui méritent absolument d'être conservés puisqu'ils ont été gagnés après deux ou trois siècles de bataille et qui protègent les plus faibles. Il y a des rentes qui elles sont injustifiées et qui méritent d'être remises en cause. Il y a surtout des nécessités de préparation de l'avenir dans un monde qui change qui ne sont pas prises en compte.

Pour quelle raison croyez-vous qu'elles ne soient pas prises en comptes ? En 2007, vous aviez présidé une commission sur la croissance qui avait présenté à Nicolas Sarkozy 316 propositions de réforme afin que la France ne se retrouve pas dans la situation de l'ancien régime asphyxié par ses corporatismes mais très peu de choses en sont finalement sorties, l'économie de la rente que vous dénonciez à l'époque existe toujours très largement dans le pays...

Absolument c'est une commission bipartisane qui avait présenté des réformes qui n'ont pas été faites. Une droite démocratique et une gauche démocratique pourraient ensemble décider d'un programme commun. Mais aucun homme politique n'a eu le courage de mettre en place le corps commun de réformes qui s'imposent. Cela s'explique parce que les hommes politiques ne cherchent en général que le pouvoir et lorsqu'ils l'ont s'empressent de ne rien faire pour ne pas être impopulaire. L'évidence démontre pourtant que l'impopularité est un des signes de l'action et qu'elle doit être préparée par un débat démocratique dans les années et les mois qui précèdent l'élection. C'est pourquoi je m'emploie à faire que le débat soit sur les idées et non pas sur les personnes

Pour vous la méthode politique pour sortir de ce blocage est d'abord d'imposer un débat dans le champ public. Mais ensuite, une fois qu'une personnalité susceptible de porter ces méthodes-là serait élue, comment réussir à les mettre en œuvre et vaincre les corporatismes ?

La seule façon de les mettre en œuvre est de les mettre en œuvre rapidement avec des présidents élus qui se sont engagés à mettre en œuvre leur programme intégralement dans les trois mois qui suivent leur élection.

Pensez-vous qu'un tel président puisse trouver une majorité pour les mettre en œuvre ? Un candidat un peu plus courageux que les présidents précédents pourrait se trouver rapidement confronté à sa propre majorité parlementaire qui, elle, représente différents intérêts

Un président élu a tout pouvoir dans les trois premiers mois, après il n'en a plus aucun.

>>> Lire également : Recherche nouvelles têtes désespérément : quand les Français peinent à se résigner au quatuor Hollande-Sarkozy-Juppé-Le Pen pour 2017

Donc si je vous suis bien, il s'agit avant tout d'une question de volonté de celui qui sera élu président ?

C'est une question de volonté des électeurs de faire en sorte que les dix-huit mois qui précèdent portent uniquement sur les trois mois qui suivent l'arrivée au pouvoir du futur président. Si on arrive à faire en sorte que le débat qui va commencer soit centré sur les trois premiers mois de la prochaine majorité élue, alors la France redeviendra un grand pays. Si on continue à se battre pour savoir si c'est Mr Juppé ou Madame Le Pen qui est en situation de remporter la présidentielle, le pays sera condamné à son propre déclin.

Dans la liste du sondage réalisé par l'IFOP, il y a également un certain nombre de noms tels que Michel Onfray, Eric Zemmour ou encore Alain Finkielkraut. Dans la tribune que vous avez publiée dans l'Express cette semaine, ces personnalités sont pour vous des tenants du souverainisme qui, pour vous, est en France de droite voire d'extrême droite...

Non le souverainisme rassemble les gens qui ont une forte tendance à se parler. La gauche souverainiste et l'extrême droite souverainiste ont beaucoup de choses en commun et font comme si elles étaient adversaires. De même la gauche démocratique et la droite démocratique refusent de se parler alors qu'elles ont beaucoup en commun.

Vous pensez donc qu'il serait possible de reconstruire le paysage politique français ?

Le paysage politique français se divise en trois catégories : ceux qui pensent que c'était mieux avant, qui sont d'extrême gauche et d'extrême droite, ceux qui pensent qu'il ne faut surtout rien faire, ceux-là sont au pouvoir depuis trente ans, et enfin ceux qui pensent que la France peut être bien meilleure dans l'avenir que dans le passé et qui, eux, n'ont jamais été au pouvoir depuis trente ans.

Les polémiques et les sondages qui agitent surtout la France en ce moment se concentrent beaucoup autour des questions d'identité, du contrôle des frontières, de l'immigration, des ratés de l'intégration. Dans un projet politique présidentiel qui essaie de renouer avec une action politique véritable, quel discours pensez-vous qu'il faille tenir sur ces problématiques ?

Il faut un discours qui montre que l'identité française doit se construire et qu'elle n'est pas figée dans le passé. Elle est une question de culture et se joue dans les écoles maternelles dont personne ne parle. Une identité française n'est pas un obstacle à la construction d'un projet européen puisque la France a le privilège d'avoir une identité francophone et européenne qui ne se contredisent pas mais qui se complètent. La construction d'une identité française sera une dimension majeure d'un projet qui la dépasse.

La crise des migrants a montré que la France n'est plus très présente ou influente sur la scène européenne...

Oui j'en suis très triste... et quand on voit que la France va passer de 2 réfugiés pour 10 000 habitants à 4 pour 10 000 et que cela déclenche une polémique, c'est désolant. Cette polémique est dérisoire et ne devrait pas exister.

Et renouer avec l'Allemagne, reconstruire un couple franco-allemand qui semble s'être totalement effiloché, cela vous parait une priorité d'un quinquennat à venir?

Le couple franco-allemand existe, s'il n'existait plus c'est toute l'Europe qui s'effondrerait.

Mais n'est-ce pas ce qui est en train de se passer ?

Non, mais on peut en effet le craindre. On doit en permanence se nourrir de projets communs. Depuis 20 ans on ne voit pas apparaitre de projets communs franco allemands qui ont conduit à Schengen, à la monnaie unique, toutes ces choses qui sont importantes, qui fondent l'Europe et qui ont abouti à 50 ans de paix, ce qui est une très courte période après des siècles de guerre en Europe.

Pour ceux des Français qui, sans être racistes, sont inquiets des flux migratoires et peuvent craindre de ne plus être eux chez eux, quel discours tenir pour les rassurer sur le fait que le vivre ensemble est encore possible ?

Un Français sur quatre a un grand-parent d'origine étrangère. Tout Français sait qu'être chez soi doit vouloir dire accueillir et intégrer et créer les conditions pour que ceux qui arrivent parlent et vivent en Français. Il faut créer les conditions pour que l'intégration se passe bien et elle se passe bien dans 95% des cas. Ceux qui arrivent sont des Français comme les autres et même mieux que les autres très souvent. La France est une nation construite par les gens venus d'ailleurs comme toutes les grandes nations.

A l'heure actuelle, un certain nombre de citoyens ou de personnalités françaises considèrent que l'islam pose des enjeux différents des vagues migratoires précédentes, ou en tout cas que les gens venus des pays arabo-musulmans apportent quelque chose de différent à la construction que vous évoquez, s'agit-il de points de vue que vous comprenez ?

Non, ce constat n'est pas vrai puisque l'intégration de l'islam se passe très bien, à quelques exceptions près, comme ce fut le cas avec les Polonais et les Italiens au début du XXème siècle. On crée des problèmes là où ils n'existent pas même si aujourd'hui il est difficile d'être musulman en France en raison des plafonds de verre qui s'imposent à la communauté musulmane et en particulier aux jeunes dans leur milieu professionnel et social. L'islam laïc évidemment a toute sa place comme le christianisme dans une société française laïque elle-même par nature.

Vous parlez d'islam laïc mais l'islam a également une dimension politique et c'est parfois ce qui gêne.

Comme le christianisme et le judaïsme aussi. Ces dimensions n'ont pas leur place dans la société française.

Le sondage montre qu'un nombre conséquent de Français serait intéressé par les propositions que vous portez. Pensez-vous qu'il y ait une France "attaliste" silencieuse? Je ne parle pas en termes de personne, mais en termes d'adhésion à cette volonté profonde de réforme. Cette France on la voit très peu dans les médias.

Je me bats contre la personnalisation. C'est pour cela qu'il faut enlever cet adjectif imaginaire que vous avez inventé. Il y a une France qui pense que son avenir peut être meilleur et plus prometteur que son passé. C'est cette France qui m'intéresse.

Et justement ce sondage avec toutes les limites qu'il a, est un indicateur que cette France pourrait être plus majoritaire que l'impression qu'on peut en avoir. 

Elle n'est pas majoritaire. Elle existe. Vous avez raison de dire que certains sondages pourraient aider à la faire émerger.

Dans le champ politique traditionnel, est ce que vous voyez une personnalité susceptible de proposer puis de mettre en œuvre un programme qui relèverait la France dans le sens que vous exposez ?

Non, pour l'instant ce n'est pas le sujet. Le seul sujet, c'est de faire qu'existe un et des programmes. Mon rêve est qu'il existe 5, 6, 10 programmes complets. Dans ce cas j'aurai accompli ma mission.

Dernier point, est ce que la gauche démocratique et la droite démocratique que vous avez évoquées tout à l'heure peuvent réussir à gouverner dans le cadre des structures partisanes actuelles ?

Si un président de la république est élu sur un programme qui suppose des réformes courageuses que la droite démocratique et la gauche démocratique approuvaient jusqu'à présent en secret sans le dire au public, alors oui.

Propos recueillis par Jean-Sébastien Ferjou

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !